Eels au Trianon (24.04.2013)


C’est Le Trianon, à Montmartre, qui accueille Eels pour la première date parisienne de sa tournée 2013.

Les 1000 sièges de l’ancien temple du music-hall sont déjà bookés depuis belle lurette pour ce soir là.

A 19h30, l’assistance s’amuse de la 1ère partie : un divertissement fugace d’un boys-band en duo parodiant la scénique de guitaristes de métal usant de forces moulinets sur de fictives guitares. Puis, l’auditoire découvre intéressé la deuxième artiste : Nicole Atkins, chanteuse de folk rock du New Jersey. Elle a des accents de Jeff Buckley au féminin et une jolie voix, dont elle harmonise le timbre avec sa guitare rock’n’roll.

On s’aperçoit que  l’éclectisme musical de Eels draine un public au diapason. Les mélodies folk, les riffs rock, les ritournelles country, les accords garage acérés, les envolées du progressif medleys assumés du songwriter rassemblent les genres, les sexes et les âges. Pas de style vestimentaire défini.

Il est 20h40 lorsqu’une voix off annonce Eels, gros son de guitare saturée à l’appui.

Les guitaristes The Chet et P-Boo, le bassiste Koool G. Murder et le batteur Knuckles s’installent et démarrent le set et le 1er titre "Bombs Away", sur lequel arrive Mark Oliver Everett. Acclamé.
Le band est au complet et identique à celui de l’album Wonderful, Glorious, qu’il entreprend d’emblée de nous interprêter.

Le dress-code vient du combo himself : 5 gars en tenue de survêtement bleu marine à bandes blanches -qui ressemble à s’y méprendre à la marque Adidas-, barbe de cinq jours et lunettes noires mafieuses. E. coiffera une casquette en guise de couvre-chef et qui le positionne comme tel.

La formation est installée de façon très démocratique, on peut voir tous les musiciens. De part et d’autre du devant de la scène le batteur (pas commun) et E., à l’arrière en rangée les 2 guitaristes et le bassiste au centre. Chacun sur leur estrade.

La salle est chaude, chaude. Mark Oliver Everett va alterner le jeu sur sa (belle) guitare blanche et le bâton de pluie qu’il brandit.
"Kinda Fuzzy" enchaîne avec les 4 garçons aux chœurs. Les guitares saturées donnent le ton.

Magicien de L’E. posture ou public acquis ?

E. va adresser ses premiers mots au public : "Did I tell you that Paris is …" le reste de la phrase  hélas couvert par les hurlements du public.

Il semble s’amuser du haut de son attitude docte. L’humour qui le caractérise sera déclinée tout au long de la soirée par le biais d'une mise en scène récurrente où il fait appel à l’un des membres du groupe pour qu’il vienne lui faire l’accolade "give me a hug". Pour l’heure c’est au tour de Koool G. Murder de s’y coller. Celui-ci descend de son plot, va à E. et accomplit le rituel.

Au morceau suivant M.O.E empoigne les maracas qu’il secouent énergiquement. Un combat de guitares s’engage, un son mat habille le tout. Un bon gros rock bien carré. Et là on est dans du vrai live ! De la musique qui prend vie, pas une resucée d’album. Le public ne s’y trompe pas et applaudit à tout rompre.

La mise en scène est subtile car elle paraît absente : E. l’impassible, la pose campée des musiciens, les tenues uniformes. L’éclairage sobre est composé essentiellement du vaste rideau qui tapisse le fond de la scène. Il rayonne d’une lumière colorée se renouvelant à chaque morceau, coordonnée avec le faisceau de quatre rampes de spots placées derrière les musiciens.

Les intermèdes procèdent de cette mise en scène, ils amorcent aussi la transition vers les titres des albums précédents.

Pour Hombre Lobo ce sont joutes guitaristiques au style Allman Brothers et chant a’capella de E. qui donnent le la sur "Tremendous Dynamite".

Souvent pendant le concert, on sera emballé par l’harmonie qui se dégage de la formation des guitares, qui tantôt se constituent en duellistes, tantôt l’une ou l’autre se singularise en jouant son style propre, tantôt l’une et l’autre rivalisent dans un son à la Shadows ou hendrixien. Le tout, piloté par Mr. E., en chef d’orchestre, qui lie l'ensemble de son jeu mélodique ou rythmique.

On apprécie l’esprit Doors qui habite "Tremendous Dynamite". Dans la fosse, les fans manifestent leur approbation avec force démonstration de headbanging, la tête oscillant d’avant en arrière. La salle entière hurle lorsqu’elle peut se faire entendre, pendant les passages decrescendo de la musique.

Ca roule pour Eels et ça semble confirmer les premiers propos de M.O.E"Paris, is the best place…."


 


Une respiration. Le climat alors rock, rock, rock est apaisé par les arpèges égrenés de "In my Dreams".

On décolle à nouveau vers Wonderful, Glorious, "On the ropes", sublimé en comparaison de la version album. E. entonne la chanson d’une belle voix profonde, le jeu de Knuckles est feutré et les guitares aériennes enrichissent la dimension folk-country.

Jouant sur les variations de climat, "Peach Blossom" s’illustrera par ses passages rock progressif  mis en relief pendant que M.O.E. tambourin en main, gesticule comme un grand singe alternant bras et jambes levés.

La magie durant ce concert c’est que le public réagit au quart de tour, au doigt et à l’œil, sauf que là, il n’y a ni doigt, ni œil. Magistral,  E. n’invite pas l’assistance à se manifester, elle le fait de sa propre initiative, applaudissant pendant les morceaux ou chantant spontanément dès l’intro comme cela se produira pendant le rappel.

C’est à partir de ce moment que la tonalité prog rock se met en place "The turnaround", "New Alphabet" déchaînent les ovations.

La transe du public se poursuit avec "Little time" (End Time) et autres luttes guitaristiques, avant que E. ne reprenne la parole "Paris, you are the best audience of the Tour. Thank you". Ce qui n’apaise pas les bruyantes démonstrations de joie.

Celles-ci vont se muer en écoute amusée lorsque Mark Oliver Everett simulera une cérémonie d’union sous la bénédiction de Koool G. Murder, le bassiste (dont on apprend qu’il exerce également le sacerdoce de révérend). The Chet est appelé à rejoindre E. qui lui demande s’il " accepte de prendre E. pour lead singer". Celui-ci prononce un "oui" solennel et c’est au tour de M.O.E de s’engager à "prendre The Chet comme guitariste". Un clin d’œil opportun au lendemain de l'adoption de la loi sur le mariage pour tous à l'Assemblée.

Le batteur conclura la cérémonie en exécutant l’un de ses titres "Go Knuckles", c’est évidemment un solo de batterie, à la poigne ferme, ponctué d’une seule phrase répétée en boucle !

Parenthèse fermée, le concert repart de plus belle.

Rock à la Beatles influence Lennon, grunge et rock progressif avec simulation du bruit d’avions de combat qui se rapprochent dans le ciel, tout cela rien qu’à l’aide des instruments guitares, basse et batterie.
Le jeu d’éclairage avec effets stroboscopique rythmés sur la musique, les lumières jaune-orange complètent le tableau.
Une référence au visuel de la tournée où figure un avion qui largue des bombes ?

C’est sur des cris, des sifflets, des applaudissements, des ovations décuplées que E. salue "Merci beaucoup ladies and gentlemen" avant que d’enchaîner en guise de final "Wonderful, Glorious".

E. lève les bras en croix, adresse un sourire aux spectateurs.

 

Le concert s’arrête là.

Mark Oliver Everett sort de scène, suivi par le reste du groupe.

Fatalement, une ambiance telle depuis la toute première minute du concert laisse entendre qu’on ne va pas en rester là.
Et pour ce faire, la salle s’est mise d’accord : applaudissements nourris, ovations, cris, mains et pieds viennent à la rescousse pour demander le rappel.

C’est Knuckles qui apparaît en premier, les guitaristes et puis Mr. E. qui ferme la marche.

"The look you give that guy", l’incontournable chanson romantique est-elle destinée à calmer les esprits pour clore tout-à-fait le concert ?

Mr. E. prend le temps d’isoler la phrase de fin de cette magnifique ballade, "I'd never let you down", ce qui provoque inévitablement un sursaut dans l’assistance qui répond à cette déclaration d’amour en criant.

"We’re gonna do another one" dit-il.

… on comprend mieux le survêt, c’est un véritable marathon que court Eels !

Le public se met à chanter spontanément sitôt les premières notes de guitares de "Mr. E.’s beautiful blues". Il tape des mains, danse sur place et entonne en chœur avec Eels le "oh-oh" du refrain.
On ressent le plaisir de M.O.E qui esquisse un sourire tout en chantant. Et quand M.O.E esquisse un sourire ça donne ça : la lèvre supérieure droite qui se soulève et qui entraîne la bouche pincée qui s’agrandit. On imagine derrière les lunettes sombres les yeux d’un gamin facétieux qui brillent de plaisir.

Dominant les cris et ovations il déclare en anglais "c’était épuisant, je suis fatigué maintenant". Il appelle toute sa bande à venir se recueillir en cercle, comme le ferait une équipe sportive pour concilier ses forces.

Quel showman ce Mark Oliver Everett ! Ce soir là, il nous emmène là où il veut du haut de sa posture minimaliste.

Force cris et ovations ne retiendront pas la bande qui déclare forfait, les bras levés. Eels quitte la scène pour la deuxième fois.

Addictif, Eels ?

Le public en redemande et s’exprime de plus en plus bruyamment, cette fois mettant à contribution hurlements et tapage des pieds.
Il y croit ferme et son insistance aura raison de Eels qui parait à nouveau pour le 2ème rappel.

Ambiance rouge-rouge qui émane de l’ample rideau et du faisceau des spots. Les silhouettes de la bande se détachent de l’obscurité. Des effets de lumière stroboscopique d’une intensité frénétique accentuent le malaise.
On en a plein les yeux et l’endroit participe de la mise en scène, les rais de lumière venant se heurter aux percées des fenêtres en demi-lune qui ouvrent sur la salle de bal… Le Bal des vampires !
Sans oublier les hurlements -justement- de vampire poussés par E. qui jouent à plein.
Le climat angoissant de "Fresh Blood" est très réussi.

C’est la voix éraillée que Mark Oliver Everett tire sa révérence "Merci beaucoup". Il est 22h10.

Le concert s’achève après cette friandise.

La salle est rallumée, révélant à nouveau les étoffes rouges et les fresques or.

Les multiples accès du lieu ont permis une sortie fluide et rapide à la moitié de l’assistance. L’autre moitié d’irréductibles lutéciens ne se contente pas de regarder le staff remballer le matériel, elle guette le rideau noir sur la droite qui débouche des coulisses. Et manifeste bruyamment.

Pendant près de 10 minutes ce ne seront que clameurs et hurlements quémandeurs de rappel.

Et c’est bien là, du rideau noir, à droite derrière la scène que déboulent les musiciens de Eels… satisfaisant au 3ème rappel…

Même ceux qui l’espéraient n’en croient pas leurs yeux… et leurs oreilles. Mr. E. ferme la marche, comme toujours, et est accueilli sous les cris hystériques. Les spectateurs qui étaient en train de partir se réinstallent.
Mark Oliver Everett négocie et impose sa prestation sur scène aux techniciens, qui de guerre lasse, finiront par patienter en entamant une partie de frisbee.

Le Trianon éclairé plein feux, Eels se livre à un numéro déjanté sur un rock grunge barré.
Toute l’auditoire, de la fosse aux balcons, danse, se trémousse et bat des mains.

3 minutes de bonheur total … et le temps paraît suspendu !


Le public rassasié, laisse enfin repartir Eels et Mr. E., non sans les honorer d’une salve d’ovations.

Il est un peu plus de 22h20. C’est la fin-finale, cette fois, après 1 heure 40 de concert .

Ce que je retiens, c’est que le concept E. ne s’arrête pas là où commence la scène. L’album Wonderful, Glorious, que Mark Oliver Everett est venu défendre ce soir, même s’il est moins inspiré que d'autres productions, bénéficie de la maîtrise, du talent, de la loufoquerie et des dix ans de complicité qui le lient avec sa bande. Au final, son public aura assisté à un show magistral.

Alors Eels, oui, ça vaut le détour !

Il est encore temps, en France le groupe vient de rajouter des dates à sa tournée Eels in Performance. C’est le 22 août prochain à Charleville Mézières dans la programmation du festival Cabaret Vert. Foncez !

Nb. Qui m’aurait dit un jour que ça pouvait avoir de la classe de passer la soirée avec un homme en survêt !

 

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