La Route du Rock – 13 au 16 août 2014

« Le plus petit des grands festivals » français maintient ses exigences. Une fois de plus sa programmation a tranché dans le paysage calibré de nos rendez-vous estivaux. Ici, pas d’habiles machines de guerre éclipsant de jeunes pousses reléguées au petit bonheur, mais une ligne forte, authentiquement indé – et très majoritairement anglo-saxonne, qu’on le déplore ou non. Il suffit de comparer l’affiche de La Route du Rock avec celle du très hype et très onéreux festival Pitchfork de Paris (début novembre à la Villette) pour admirer la solidité du petit navire malouin conduit et co-programmé par François Floret. Occasions offertes aux aficionados, pour la saison à venir, de conversations du type : « Pas mal, la soirée ! – Ouais, enfin, X, Y, déjà vus à la Route du Rock… ». Le constat est donc fort réjouissant, au vu des inquiétudes financières de ces dernières années et des déboires climatiques à répétition. A noter d’ailleurs, pour l’été prochain, de grands travaux dans le Fort Saint-Père (Vauban, excusez du peu) qui permettront un drainage plus efficace des eaux de pluie et la protection des câblages.

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Devant la scène du Fort vendredi, de la paille et encore de la paille


Côté fréquentation, plus de 26000 spectateurs, chiffre quasi record, derrière les 30000 que les Cure ramenèrent en 2005. Mais en faisant le choix de rameuter ses propres groupes phares, l’édition 2014 ne s’expose-t-elle pas au danger de se « normaliser », au détriment des inédits et des découvertes ? A moins que le retour de Portishead n’est grevé le budget, au point d’empêcher de véritables prises de risques. A moins encore que la pop, certes not dead, ne soit pas dans une phase bien florissante… Si cette édition fut plaisante, elle pourrait apparaître, pour les fidèles et a posteriori, en demi-teinte. Traversée de celle-ci en quelques jalons.

Les Anglais de Portishead firent un retour remarqué, traversant l’ensemble de leurs trois albums pour un concert solide, maîtrisé et spectaculaire tant au niveau du son que de la vidéo. Et si le seul échange avec le public fut un commentaire, bref quoique émouvant, du guitariste chenu (« We were here sixteen years ago… ») on peut bien pardonner cette réserve. Vendredi 15 août autour de 23h, la densité de population était bien sûr maximale devant la scène du Fort. Si on est d’humeur à affronter la foule, au choix : l’on communie les yeux fermés (c’est l’Assomption, non ?), ou l’on respire et l’on prend sur soi.

Mais une tête d’affiche aussi « classique » devait être étayée par des surprises et des révélations. Et c’est justement l’absence de celles-ci que l’on déplore dans le reste de la programmation. Slowdive, groupe noisy pop culte ressurgi à cette occasion et n’ayant pas sorti d’album depuis 1995, véhicule un charme délicieusement désuet, mais sent cruellement le réchauffé. Les petits génies de Temples ressuscitent la pop psychédélique des sixties, mais leur set reste à l’image de leurs albums : propre et lisse. Caribou, redoutable usine à rythmes, fait toujours preuve d’une classe certaine. Dommage que les moments forts du concert soient les tubes de Swim (2010) – comme s’ils nous rejouaient leur concert de 2011. Dans l’attente de la sortie de Our Love en octobre, s’impose la crainte que Dan Snaith ne se soit endormi sur ses lauriers. Le projet de Nicolas Jaar et Dave Harrigton, Darkside, nous permet de garder le sourire tout en laissant nos espoirs déçus. Là encore, toujours du doigté et de la classe, mais décidément, les atmosphères et envolées sont trop pinkfloydiennes pour nous faire réellement décoller (amer paradoxe). Liars, de retour au Fort, martèle bien précipitamment et bien foutraquement l’ensemble dark et synthétique de Mess, leur dernier opus, réjouissant, mais loin des audaces expérimentales du reste de leur discographie. Devant la crash barrière, les uns peuvent se défouler les pieds dans la boue ; devant la régie, les autres grimacent.

Que dire d’autre ? Le supergroupe de producteurs Moderat, mis à part l’excellent et déjà culte « A New Error » avec lequel ils ouvrent le bal, propose une techno inégale, versant parfois dans une pop convenue, somme toute peu habitée. Mac Demarco, phénomène charismatique ovationné avant même d’entamer une seule note, se la joue absurde et mal réveillé, fume, rigole beaucoup, casse une corde, slame courageusement à travers la foule ; mais quelle déception à l’écoute de ses compositions pop dilettantes, sympathiques mais sans grand relief en live… Baxter Dury, autre incarnation de la désinvolture pop anglo-saxonne, mais de l’autre côté de l’Atlantique, revient deux ans après son passage à l’Edition hiver du festival, charmant, british, paradoxalement racé, sans faire de vagues.

Traînant devant la petite scène des Remparts, on tombait sur davantage d’inédits à la Route du Rock, et on trouvait son plaisir : Perfect Pussy, quatuor punk hardcore américain mené par une adorable garçonne, n’inventant rien et noyant tout dans les larsens en deux minutes chrono ; The Fat White Family, punk encore, Anglais cette fois, et ô combien maladivement alanguis sur des synthétiseurs minimalistes ; Toy, montagnes russes psychédéliques prenant en live une dimension véritable… J’en passe. Pour sa première venue à la Route, Anna Calvi est programmée certes sur la grande scène, mais à 19h20, elle qui trônait en haut des têtes d’affiche il y a deux ans à peine. On le regrette presque, tant l’Anglaise semble ici l’une des seules, parmi ses jeunes coreligionnaires rock, à défendre un style véritablement singulier. 

Alors ? Alors on se prend à dépenser tout cet enthousiasme, celui qui n’a pas pu exploser plus tôt, dans la nuit du samedi (parce qu’on veut pas que ça s’arrête, quand même). Jamie XX (encore un revenant) et Todd Terje auront su nous faire danser, avec talent. Terje, producteur norvégien au sommet de la vague dont est récemment paru le premier opus (It’s Album Time), artisan d’un groove retro fun et imparable (qui a dit que le son jazz fusion des seventies-eigthies était ringard ?). Et voilà, on plie déjà les tentes. Une débauche de talents en somme, et aucune fulgurance. Etrange frustration.

route du rock 2014

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