Le système féodal du streaming doit s’arrêter !

Les chiffres faramineux du streaming au premier trimestre 2015 sont tombés. Enfin, se sont envolés, oui ! Plus 36 % par rapport à la même période en 2014. Ce qui nous donne selon le puissant SNEP (Syndicat National de l’Édition Phonographique) le prodigieux total de 7,5 milliards d'écoutes en ligne.

Avec de tels chiffres vous me direz que ça doit en générer du revenu publicitaire pour les diverses plateformes de streaming, pour les éditeurs et pour les auteurs compositeurs ! Chaque semaine, c'est en moyenne 288 millions d'écoutes payantes ou gratuites sur ces plateformes.

Et pourtant voyez la répartition, sur un abonnement à 9,99 €, les artistes se partagent la portion congrue, soit 0,68 €, plus 1 € en droit d'auteur quand l’État se fait 1,67 € de TVA et que le producteurs touche quasiment la moitié de l'abonnement !

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En juin, c'est le géant Apple qui s'est mis au streaming, suivi en juillet en France par ce bon vieux E. Leclerc ! C'est bien qu'il y a de la grosse thune à en tirer, pas philanthropes pour un sou, ces mecs !

C'est le chanteur Omi qui prend la tête du classement avec 26,5 millions d'écoutes pour son « Cheeleader » (nommée au NRJ Music Award de la chanson internationale 2015), les goûts et les couleurs qui ne s'expliquent qu'en étant imposés par les radios commerciales, ce n'est pas notre sujet, ici, mais bon… En tout cas, ce sont, selon l'opaque SNEP (voir notre article du 22 avril), 30 titres qui ont dépassé les 10 millions d'écoutes en streaming (les écoutes de moins de 30 sec sont éliminées) pendant cette période janvier-juin 2015. Donc, c'est au minimum 300 000 000 d'écoutes par les mêmes trente artistes, soit à la louche plus de 5 % des écoutes totales, ce qui révèle une plus grande diversité qu'à la radio où l'on « écoute ce qu'on veut »… Pour les radios commerciales la nouvelle règle des quotas serait une attaque des majors pour favoriser les sites de streaming dont elles sont souvent actionnaires… Diversifiez-vous donc car sur 288 millions d'écoutes, il doit bien y avoir quelques titres en français… Je vous aide, faut cliquer sur la loupe pour les trouver.

Selon Pascal Nègre, PDG d'Universal Music France et aussi président de la SCPP (Société civile des producteurs phonographiques) - vive ce cumul… -, il y a environ 2,5 millions de personnes abonnées au streaming payant, ce qui représente tout de même 20% du chiffre d'affaires du secteur musical en France ! Pour ce bon Pascal qui déclarait encore au Figaro en 2011 que le disque avait encore de l'avenir mais que « l'artiste est redevenu un saltimbanque. Un artiste qui fait un disque d'or gagne aujourd'hui 2 000 euros par mois. S'il est auteur-compositeur, cela veut dire 500 euros au plus par mois. » Pendant que lui-même, selon un article de Mediamass paru aujourd'hui, domine le classement des « hommes d'affaires les mieux payés en 2015 » avec des revenus estimés à près de 82 millions d'euros… Comment disait Marie-Antoinette déjà ? « Ils (nda : les gens du peuple) n'ont pas assez de pain ?  Mais alors, qu'ils mangent de la brioche ! » Évidemment, si un disque d'or permet de gagner 2 000 € par mois à son auteur, les autres saltimbanques moins vendus n'ont en effet qu'à aller bosser chez Harris pour pouvoir toucher de la brioche de près pendant que les producteurs s'en goinfrent...

Alors j'en viens au cœur de notre sujet : la répartition du revenu lié au streaming.

Écoutez-donc dans la vidéo suivante ce que pense le brillant harmoniciste Jean-Jacques Milteau de ce « système féodal » et Pascal Nègre encore qui y déclare que « si 20 % des Français avaient un abonnement, on reviendrait au chiffre d'affaire avant la crise » avant de poursuivre en souriant : « Et je vous le dis, à ce moment-là, y aurait absolument aucun débat sur le partage de la valeur » Mais oui ! Milteau toucherait encore des clopinettes et Nègre passerait les 100 millions de revenus annuels ! Ce n'est parce qu'un chiffre d'affaire augmente que la répartition des revenus change !

Pour rappel de ce que nous vous annoncions dans notre article du 22 avril dernier "Portishead, droits d'auteur, pourquoi continuer ?", le gâteau est énorme ! : « Selon les chiffres publiés par l'IFPI (Fédération internationale de l’industrie phonographique) le 14 avril dernier, en 2014 pour la première fois de l'histoire la vente de musique numérique égale les ventes physiques à 46% des revenus totaux chacun, les 8% restants étant générés par les musiques de publicité ou de films et des droits de radiodiffusion. » Et selon le SNEP : « la part du streaming représente en effet 55% du chiffre d'affaire généré par la musique en ligne, soit 72 600 000 €. »

La ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin, a donc confié en mai une mission de médiation à Marc Shwartz, conseiller maître à la Cour des comptes, sur l'exploitation numérique de la musique, le gouvernement se réveillant enfin sur ce sujet brûlant : « Nos pratiques culturelles sont bouleversées par l’émergence du numérique et l’apparition de nouveaux modes de diffusion de la création artistique. Ainsi, le streaming a révolutionné l’accès aux œuvres, et tout particulièrement à la musique. » Le but de cette mission de médiation partait d'un bon sentiment : « assurer aux artistes une rémunération reflétant équitablement leur apport à la création de valeur, ainsi que de préserver la diversité de la création artistique et de sa diffusion. »

Alors que le projet de loi de Fleur Pellerin relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine sera examiné cet automne, il est grand temps pour elle de parvenir à des accords entre les différents acteurs du milieu culturel représentés, avec la grande ambition de « de placer la culture et les artistes au cœur de la transition numérique en améliorant le niveau de protection des droits des artistes-interprètes et en insufflant davantage de transparence et de régulation dans les relations entre les différents acteurs de la filière : artistes-interprètes, producteurs phonographiques et plateformes de musique en ligne. » J'en chialerais tant c'est beau si ce qu'est en train de faire Macron ne me séchait pas les larmes par son inhumanité à l'égard des travailleurs.

Or, il y a de profonds désaccords entre les représentants des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et des plateformes de musique en ligne. Donc, ce brave Marc Schwartz avait pour mission de médiation de « faire converger les positions des parties prenantes et d’aboutir à un accord, d’ici fin septembre 2015 ». Et on y est !

Puisque le délai annoncé est aujourd'hui 30 septembre, et que si aucun accord n'était trouvé, l’État aurait pris la main et aurait imposé une gestion collective sur le modèle du droit d'auteur géré par la Sacem, que s'est-il donc passé les 28 et 29 septembre ?

Le 28 septembre, les artistes et musiciens, représentés par l'Adami (administration des droits des artistes et musiciens interprètes) et la Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes), se sont tout simplement désolidarisés de la mission de médiation de Marc Schwartz. Comme l'explique l'Adami dans un communiqué : "Après plusieurs mois de négociation, les propositions des artistes ont été rejetées une à une par les autres parties prenantes. Au final, les mesures proposées ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées au sujet de la question essentielle de la rémunération des artistes". Quant à la Spedidam, elle déclare que cette mission est un échec car les propositions sont « dérisoires, voire provocatrices » car « s'opposant à toute perception de rémunération pour les artistes interprètes pour l'exploitation de leurs enregistrements par les services à la demande."

Les négociations se sont tout de même poursuivies avec à la table : Snam-CGT, SFA-CGT, CFDT, CGC, FO, CFTC ainsi que la Guilde des artistes de la musique (GAM). Et pour la ministre Fleur Pellerin "Si elles venaient à être finalisées, il s'agirait d'un accord historique, majeur pour l'avenir de la filière musicale"… Même sans l'Adami et la Spedidam…

Hier, 29 septembre, la ministre de la Culture annonce fièrement qu'un accord a été trouvé, alors que FO n'a pas signé non plus. Ne me demandez surtout pas les termes de cet accord historique car ils n'ont pas encore été rendus publics… En tout cas, selon Fleur Pellerin : « À travers cet accord, les acteurs de la filière musicale s'engagent mutuellement pour un développement équilibré assurant une juste répartition des fruits des nouveaux modes de diffusion de la musique. » Avant de déclarer que c'est une « très belle journée pour les artistes »… Chère camarade Fleur, tu nous permettras de juger un peu plus tard, par les faits, cette déclaration car quand "Les producteurs s'engagent à partager avec les artistes tous les revenus reçus des services de musique en ligne" et à "leur garantir une rémunération minimale, en contrepartie de l'exploitation numérique de leurs enregistrements", ce que j'en retiens surtout, c'est l'expression « rémunération minimale »...

Le contenu de l'accord sera publié dans les jours qui viennent. On saura alors si le roi Nègre aura à vous balancer, amis artistes, plus que quelques miettes de brioche…

Yann Landry

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