Hypno5e – Sheol

Après l'ambitieux A Distant (Dark) Source sorti en 2018, le groupe français de metal d’avant-garde signait en 2021 une captation live remarquée de ces compositions. Deux ans (et quelques modifications de line-up) plus tard, voici aujourd’hui son sixième album studio, Sheol, nouvelle étape du parcours unique d'un groupe devenu incontournable sur la scène progressive.

On retrouve sur Sheol les sources et les rives perdues du lac paléolithique Tauca, au pied de la Cordillère des Andes, déjà au centre du précédent opus A Distant (Dark) Source. Cette source sombre et lointaine était le théâtre de la quête d’un homme à la recherche du fantôme de la femme qu'il aimait. "Sheol est l'histoire de ce qui était avant cette nuit", explique Emmanuel Jessua, principal compositeur. "Les deux albums sont construits, comme le mythe de Sisyphe, en un cycle. 'Sheol' commence là où 'A Distant (Dark) Source' s'arrête et 'A Distant (Dark) Source' se termine là où 'Sheol' commence. "

Entre suite et préquelle, les limites se brouillent sur ce nouvel opus très dense. Cinq titres sur les huit dépassent les 8 minutes, ce qui n’a rien d’étonnant pour un groupe qui a l’habitude de planter des décors évocateurs par une approche progressive avant-gardiste. Le cru 2023 est cependant plus lumineux et plus chaud avec l’arrivée du bassiste Charles Villanueva et du batteur Pierre Rettien au sein du groupe. Ce dernier apportant une richesse jazzy dans ses touches qui complète la profusion et la variété des sonorités de guitares (électriques, traditionnelles d’Amérique du Sud, portugaises). L'ajout de cordes accentue également ce côté exploratoire mais aussi organique du son développé par Hypno5e sur ce dernier opus.

D’emblée le décor est planté, et Hypno5e se révèle toujours aussi imprévisible dans les arrangements et les différents univers qui cohabitent au sein d’un même titre. Les grosses attaques, et les riffs très post metal, souvent accompagnés du chant écorché d’Emmanuel, accouchent de petites touches jazzy avant l’arrivée de samples de voix, de cordes, et de passage délicats de toute beauté, avant que le groove ne reparte de plus belle. C’est le cas par exemple de "Sheol - Part II - Lands of Haze", qui peut évoquer les sonorités les plus récentes du combo allemand The Ocean.

À l’inverse, c’est une douce mélancolie qui ouvre "Bone Dust", où le combo joue avec subtilité entre de belles mélodies et montées en puissance, avant un retour à la délicatesse avec des harmonies vocales que l’on retrouve à plusieurs reprises sur l’album. Les transitions instrumentales (de doux arpèges aux riffs lourds) et vocales, entre douceur et rage sont impressionnantes, et souvent inattendues.

La puissance visuelle, cinématographique, émane de l’utilisation toujours judicieuse de samples variés. Au fil de l’album, les voix surgissent. Des poètes déclamant leurs propres œuvres comme César Vallejo, Jean Cocteau, Anne Sexton, des textes de Desnos ou encore un extrait du chef d’oeuvre cinématographique Les Enfants du Paradis pour un interlude poétique sur "Slow Steams of Darkness - Part I: Sacred Woods". De la poésie, Hypno5e en a à revendre, et ce sont de délicates lignes de guitare classique et de piano qui accompagnent le chant clair du vocaliste encore souligné d’une ligne harmonique, accentuant le potentiel éthéré de ce très beau titre immersif et lent. On est transporté.

Hypno5e band 2023
Emmanuel Jessua, Jonathan Maurois, Pierre Rettien, Charles Villanueva. Crédit photo : Cyrielle Thélot

Passés maîtres dans l’art de l’oxymore, les quatre musiciens soufflent le chaud et le froid. Deux morceaux comportent les passages les plus aériens mais aussi les plus lourds, d’innombrables explosions de puissance et de retours chaotiques à des accalmies, comme si la bande s’amusait à se rendre insaisissable. Une certaine folie règne dans "Lava From The Sky", qui regorge de rythmiques épileptiques et de passages déconstruits, de soudains ralentissements et passages calmes – bien sûr, là où on ne les attend pas. Cette profusion de sonorités expérimentales osées, dissonantes et hurlantes, incroyable mais a priori moins accessible, montre cependant une certaine cohérence par sa mélodie et sa lourdeur.

Sur "The Dreamer and His Dream", les sonorités prog un peu rétro s’agrémentent d’un tempo saccadé et de touches de guitares classiques pour le côté organique. Les lignes vocales aériennes mènent à des accélérations redoutables et des riffs anguleux de metal moderne entre Between the Buried and Me et The Ocean. Ce n’est qu’à partir de 5 minutes que le chant saturé apparaît par discrètes touches. La déconstruction dans les lignes rythmiques évoque cette fois la nuance dans la douceur, et cette mélancolie célébrée dans des humeurs contrastées tout au long du titre se confirme avec l’irruption poétique d’une piste vocale.

La dualité est à son paroxysme sur l’ultime titre de l’album, "Slow Steams of Darkness - Part II: Solar Mist". Hypno5e y développe pas mal de rythmiques folles, le cri et le chant clair s’élèvent ensemble. Un effet massif irradie des passages bien lourds mais groovy à la fois. Le propos mélancolique et poétique sur la perte, et les passages aériens répondent à la force écrasante des riffs, aux syncopes djent et au cri écorché. La saturation s’emballe sur le cri final, mais ce sont de délicates touches de piano qui concluent l’album, comme pour faire redescendre l’auditeur de ce voyage intense et complexe dans le monde si singulier du groupe, et lui demander de retourner s’y perdre.

Le groupe français signe avec Sheol un album remarquable, souvent insaisissable, qui ne se livre pas facilement. Par ses explorations sinueuses mais une sensibilité à fleur de peau, Hypno5e poursuit son ascension vers les hautes sphères de la scène progressive française, et comblera les attentes des fans de longue date ou des curieux amateurs du genre. De quoi attendre avec beaucoup d’impatience la tournée en salles, prévue pour les semaines à venir dans de nombreuses villes de province mais aussi en Belgique et aux Pays-Bas, ainsi qu’à la Maroquinerie à Paris en mai prochain et une présence au Motocultor en août !

Tracklist Sheol :

1. Sheol - Part I - Late Sorrow
2. Sheol - Part II - Lands of Haze
3. Bone Dust
4. Tauca - Part I – Another
5. Lava From The Sky
6. The Dreamer and His Dream
7. Slow Steams of Darkness - Part I: Sacred Woods
8. Slow Steams of Darkness - Part II: Solar Mist

Sortie le 24 février 2023 via Pelagic Records.

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NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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