Au fil des années, Lacuna Coil a sensiblement fait évoluer son style, d’un metal gothique assez onirique à un metal très agressif beaucoup plus proche du melodeath, en passant par une période plus neo-metal. Le groupe revient après l’exceptionnel Black Anima, sorti en 2019, en centrant son album sur l’importance prise par les réseaux sociaux dans notre vie. Alors, les Italiens vont-ils faire le plein de likes ou faut-il les priver d’écrans ?
Autant l’avouer d’emblée, il nous semblait difficile pour les Milanais de faire mieux avec Sleepless Empire que Black Anima, véritable tournant dans leur carrière. Cet album poussait loin les curseurs d’agressivité, avec un chant plus spectaculaire que jamais et suffisamment d’expérimentation à tous les niveaux pour ne pas sombrer dans une violence routinière.
Sleepless Empire reprend bon nombre des qualités de son prédécesseurs. Comme souvent avec Lacuna Coil, il les paroles abordent des sujets sérieux. Ce disque décline tout au long de ses chansons une observation de l’évolution de la société, et de son addiction croissante aux écrans et aux réseaux sociaux depuis la pandémie de covid – sans forcément se limiter à une critique, nous expliquait le cofondateur Andrea Ferro en interview.
Ce disque n’est cependant peut-être pas tout à fait au même niveau, et il faut quelques écoutes pour apprécier son charme. Les Italiens confirment le virage agressif entamé avec Delirium qui culminait avec Black Anima. Cela leur va toujours aussi bien, même s’ils baissent d’un cran en la matière. L’ensemble est saturé, lourd, porté par une section rythmique (Richard Meiz à la batterie et Marco Coti Zelati à la basse) vindicative à souhait.
Les guitares, en revanche, sont bien amenées mais pas forcément extrêmement marquantes – à l’exception de deux soli sympathiques mais pas non plus exceptionnels, sur « In Nomine Patris » et « Sleep Paralysis ». Le guitariste Diego Cavallotti ayant été remercié il y a quelques mois, Coti Zelati a assuré la majeure partie de celles-ci, aidé dans l’enregistrement par le nouveau venu Daniele Salomone.
Les deux vocalistes restent sur la dynamique entamée il y a quelques années, avec Andrea Ferro désormais exclusivement au chant saturé, souvent fait de growls relativement hauts, hargneux au possible. Pour le coup, ses parties vocales tiennent largement la comparaison avec le prédécesseur, voire le surpassent peut-être légèrement. Impossible de citer tous ses moments de bravoure, mais son attaque sur le premier morceau « The Siege », ses rugissements sur « Oxygen », « Scarecrow », « In Nomine Patris », entre autres, forcent le respect, et sa hargne est palpable.
Cristina Scabbia, elle, confirme que ses capacités vocales ont considérablement augmenté ces dernières années, avec un chant toujours habité, des montées vocales saisissantes (à peine moins que sur Black Anima), des chuchotements et même un peu de cris, notamment sur « Oxygen ». Le duo fonctionne parfaitement et s’équilibre sans difficulté.
Du relief dans la cohérence
Lacuna Coil réussit à mêler assez habilement tous les ingrédients qui ont traversés ses différentes parties de carrière : la capacité à sortir des chansons très catchy et efficaces comme en milieu de carrière, une agressivité sans faille développée depuis quelques années, et, en fond, un reste d’ambiances gothiques du début de carrière, qui se retrouvent notamment dans les textures de clavier. Les chœurs et les cordes sont omniprésents mais en arrière-plan, ce qui participe à cette atmosphère. Et cela met parfaitement en valeur les paroles du combo, toujours aussi sombres, pleines de conflits internes comme relationnels, mais aussi de combativité.
Le seul vrai défaut de cet album, c’est donc d’arriver après Black Anima, avec un peu moins de démonstration des capacités des uns et des autres, moins d’innovation, et pas de claque aussi magistrale que « Reckless » ou « Veneficium ». Les morceaux sont très homogènes, mais ont plus de mal à se détacher les uns des autres. Seule « I Wish You Were Dead » détonne par une mélodie ultra entrainante, presque dansante, qui voue aux gémonies avec une férocité réjouie une relation toxique. L’ensemble donne l’impression que le groupe a un peu moins cherché à sortir de sa zone de confort.
Mais dans sa formule assez typique, à la fois de son univers et du metal contemporain, Lacuna Coil a semé de petits éléments qui rehaussent l’ensemble et lui donnent du relief : les cordes et les chœurs, des passages en latin dans trois titres (« Gravity », « Sleepless Empire » et surtout « In Nomine Patris ») qui leur donnent une solennité malsaine, un « run » péremptoire de Scabbia sur « Never Dawn » après une réjouissante montée d’ambiance angoissante…
Pas de grande révolution, donc, mais une habile synthèse de ce que le groupe a pu proposer par le passé, avec à la fois suffisamment d’efficacité et de relief pour que cela continue de fonctionner. Connaissant la capacité de Lacuna Coil à se réinventer tout en gardant une formule ultra efficace, il est possible que Sleepless Empire marque la fin d’un cycle et que le prochain album voie le groupe partir vers d’autres horizons plus aventureux.
Sleepless Empire de Lacuna Coil, sortie vendredi 14 février 2025 via Century Media.
Tracklist :
1 The Siege 00:04:23
2 Oxygen 00:03:44
3 Scarecrow 00:04:47
4 Gravity 00:04:02
5 I Wish You Were Dead 00:02:51
6 Hosting the Shadow (feat. Randy Blythe) 00:04:21
7 In Nomine Patris 00:04:52
8 Sleepless Empire 00:04:00
9 Sleep Paralysis 00:05:19
10 In The Mean Time (feat. Ash Costello) 00:03:33
11 Never Dawn 00:04:49