Il aura fallu cinq ans à Deftones pour nous proposer une nouvelle production. Difficile de revenir sur le devant de la scène tant les deux derniers opus du groupe californien ont fait débat. Deftones est habitué à la critique mais il est vrai que Gore et Ohms ont pu diviser, tant au niveau des fans qu’au niveau des membres du groupe. Alors lorsque l’on a appris la sortie de ce dixième opus, il était légitime de se demander si cet album allait diviser encore plus ou au contraire rallier les foules.
Lorsqu’en juillet 2025 le premier extrait « my mind is a moutain » est sorti sur les plateformes, il en a sûrement rassuré plus d’un. Deftones fait du Deftones, ses membres ont pris tout ce qu’ils font de mieux pour en faire un merveilleux teaser : puissant, lancinant et qui met tout le monde d’accord. On nous a également dévoilé la pochette de l’album : un serpent blanc sur fond vert. Simple, efficace. Allaient-ils nous piquer au vif, ou s’insinuer dans nos têtes ? Tout était laissé à l’interprétation. S’en est suivi, deux semaines avant la sortie de l’album, un second extrait avec « milk of the madonna », un titre taillé pour le live, énergique et frénétique, on imaginait déjà la foule scander « I’m on fire » avec Chino. Une mise en bouche réussie, le groupe était d’ores et déjà encensé.
Le 22 aout 2025, à l’écoute de l’album, on se rend tout de suite compte de la précision dont fait preuve Deftones. Tout est millimétré, chaque détail pensé et important : un véritable travail d’orfèvre. Le public connait déjà le travail rigoureux de Stephen Carpenter et de sa huit cordes, ce qui nous donne à la fois des riffs bruts et lourds et des mélodies douces et harmonieuses. Il ose ajouter quelques notes de guitare acoustique à peine perceptibles mais indispensables par-ci par-là. Derrière les fûts on retrouve Abe Cunningham, véritable chirurgien, qui s’amuse, comme à l’accoutumée à jouer avec les temps, les rythmes et les intensités.
Par dessus ce duo vient se poser la voix caractéristique du frontman Chino Moreno. Par le passé, on a connu cette voix tantôt criarde, déchirante, tantôt douce et mélancolique. Dans private music, le chanteur s’essaye à de nouvelles choses, avec quelques morceaux rappés, presque en scat sur « cut hands », et une intro sur « departing the body » dans une tessiture plus grave, presque chuchotée, à en faire hérisser les poils. Franck Delgado au clavier et platines apporte de la rondeur aux morceaux, avec des interventions sur des intros/outros instrumentales, ainsi que des samples bien choisis, qui complètent l’univers si particulier de Deftones. Ce nouvel album accueille le bassiste Fred Sablan (ex-Marilyn Manson), remplaçant de Sergio Vega (bassiste de 2008 à 2021) qui apporte un peu de fraîcheur et a su se faire une vraie place au sein du groupe, participant grandement à l’élaboration des morceaux.

Le retour de Nick Raskulinecz à la production est la touche finale de la réussite de cet album. Ayant déjà œuvré sur les magnifiques Diamond Eyes et Koi No Yokan, il est presque considéré comme le sixième membre du groupe. Dans une interview pour NME, Chino Moreno explique que « Nick est doué pour nous arrêter et nous mettre au défi d’affiner, de nous recentrer […] J’avais l’impression que nous étions à nouveau à ce stade où nous voulions réfléchir un peu et voir comment nous pouvions aller de l’avant et développer tout ce que nous avions fait jusqu’à présent.». Nick sait jouer avec les silences, harmoniser les instruments tout en laissant sa place à chacun. Sur cet album, personne ne fait de l’ombre à personne : parfois même la voix de Chino semble être mixée au même niveau que le reste des instruments, prouvant ainsi une vraie cohésion au sein du groupe.
On est ici emporté du début à la fin, l’album semble raconter une histoire, en passant d’un morceau à l’autre parfois sans s’en rendre compte, tant les transitions sont fluides. private music fait passer par toutes les émotions : les morceaux puissants comme « my mind is a moutain » « locked club » ou « cXz » nous font taper du poing sur la table, tandis que « souvenir » et « ~metal dream » et leurs intro/outro complètement planantes plongent en pleine introspection. Chino s’aventure sur le terrain de la chanson d’amour avec « i think about you all the time » qu’il explique à nos confrères de Kerrang avoir écrit du début à la fin, dans les moindres détails, trouvant l’inspiration lors de baignade matinale dans l’ocean, à Malibu.
Le titre private music pourrait laisser entendre que l’ensemble est simple, intimiste, avec des titres écrits en minuscules qui semblent avoir été directement copiés/collés d’un dossier sur un ordinateur quelconque, comme lorsqu’on se passait des CD gravés dans les années 2000. Pourtant, c’est un album entier, qui s’écoute au casque ou très fort dans sa voiture, presque sans autre distraction possible, et on prendra plaisir à chaque écoute de découvrir de nouveaux détails, de nouvelles émotions.

Depuis ses débuts, Deftones aime jouer avec les étiquettes, mixant influences et genres, sans jamais vouloir être associé à un mouvement précis. Ses musiciens savent jouer sur les tendances, sans jamais les suivre : « Jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction » comme disait la Scred Connexion. Avec private music, Deftones arrive à se renouveler, s’affirmer, sans jamais dévier de ce qui rend le groupe si particulier. Une vraie réussite, sûrement l’album de la maturité, Deftones affirme sa position de vétéran, et nous rappelle que le quintette n'a pas trente ans de carrière pour rien !
Tracklist:
- my mind is a moutain
- Locked club
- ecdysis
- infinite source
- souvenir
- cXz
- i think about you all the time
- milk of the madonna
- cut hands
- ~metal dream
- departing the body











