Entretien avec Tobias Sammet, leader d’Avantasia

La Grosse Radio a pu s’entretenir au téléphone avec Tobias Sammet, le leader du projet power metal Avantasia. A l’occasion de la sortie de son nouvel album, le chanteur et compositeur allemand nous a longuement parlé de sa dernière production et notamment de son processus créatif, mais aussi de sa vision sur l’industrie musicale actuelle. Très bavard, authentique et avec beaucoup d’humour, Tobias a répondu à toutes nos questions. Pour l’anecdote, le chanteur s’est d’ailleurs excusé de nous avoir appelé avec une seule minute de retard. La ponctualité allemande n’est donc pas un cliché !

Bonjour Tobias, tout d’abord quel est ton ressenti sur ce nouvel album d'Avantasia ? Tu avais l’air extrêmement heureux sur les réseaux sociaux à l’idée de le partager ce nouvel opus avec tes fans.

Je suis en effet très satisfait de cet album. Bon c’est vrai qu’en tant que musicien, je n’ai jamais sorti un album qui ne m’a pas satisfait. Sinon je serais vraiment un artiste vraiment très hypocrite (rires). En tout cas je suis très heureux de cet album, qui m’a pris beaucoup de temps à produire. Un temps que j’ai eu durant la pandémie car je n’avais rien d’autre à faire. Bien sûr que ce soit pour Edguy (ndlr : l’ancien projet de Tobias) ou Avantasia, j’ai toujours été quelqu’un de très impliqué dans la production, mais cette fois-ci c’était encore différent.  J’ai en effet vraiment eu le temps de me concentrer sur chaque détail de la production de l’album. D’habitude c’est un process beaucoup plus collaboratif, je trouve une mélodie, je l’envoie au guitariste Sascha, ou au producteur. Et puis les choses se font toutes seules. C’est pour ça que cet album, je l’ai fait avec le cœur et qu’il est encore plus personnel que les autres.

As-tu apprécié ce processus créatif ? Pour les prochains albums, aimerais-tu produire à nouveau de cette façon ?

Oui j’aimerais beaucoup. Car j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à enregistrer cet album. Le processus de création de l’album avait commencé bien avant la pandémie. Et vu que pendant les confinements j’étais enfermé dans mon studio, j’ai vraiment redécouvert la joie de chanter pendant 4 heures le matin. C’est moi qui passais mon temps à enregistrer les chœurs, programmer la batterie, faire les lignes de basse, jouer un peu avec la guitare. Penser à tous ces aspects quand on fait la démo, c’était incroyable. D’ailleurs on a fait très peu de changements. Quand je l’ai envoyé à Sascha, tout était quasiment fini. Dans le passé, parfois la trajectoire que prenait la chanson était très différente de ce que j’avais en tête. Ici c’est tout le contraire. C'est tentant de produire à nouveau comme ça. Donc je ne sais pas encore, car on ne sait pas ce qui se passera la prochaine fois… Mais vraiment, c’est très tentant de faire comme ça, je dois l’avouer !

Parlons maintenant de ton nouvel album avec ton projet Avantasia, A Paranormal Evening With The Moonflower Society. Comment as-tu convaincu ton label d’accepter un nom aussi long pour cet album ?

Et bien je n’ai pas vraiment eu à les convaincre honnêtement. J’ai surtout été très honnête avec eux et ils étaient très enthousiastes avec ce titre. Bien sûr au début, ils m’ont demandé si j’étais sérieux (rires). Et puis je leur ai dit : « c’est le titre de l’album, qu’est-ce que vous voulez y faire ? ». Je comprenais que ça puisse poser un problème d’un point de vue de la promotion de l’album et du marketing. Mais bon, si j’étais arrivé devant eux et que je leur avais demandé s’ils trouvaient que ce titre avec autant de caractères était bien, ils n’auraient jamais accepté ! Pour moi c’est quelque chose de très important de pouvoir s’affranchir de ces règles de l’industrie, et de se concentrer sur la musique. Il n’y a pas de raison de refuser un nom si la qualité de la musique est là. Et c’est toujours une mentalité qui m’a inspiré dans ma carrière. Lorsque Queen a fait « Bohemian Rhapsody » et qu’ils ont proposé un titre single de 6 minutes, le label a trouvé ça complètement insensé. Et pourtant c’est devenu un des plus gros hits de l’histoire du rock. Et pour finir, tout le monde adore ce titre, comme quoi ! La qualité de la musique prime avant tout. A la fin le label a même oublié que c’était un titre trop long… !

En termes d’ambiance visuelle, de musique et même de thématiques dans les paroles, ce nouvel album d'Avantasia semble être dans la continuité de Moonglow. L’as-tu pensé comme cela ?

Oui, tout à fait. C’est un album très conceptuel. Je ne voulais pas faire des chansons qui tournent autour d’une même trame principale, mais plutôt des chansons indépendantes entre elles. Le tout s’inscrivant au sein d’un monde fantastique à la Avantasia. Dans ce monde paranormal de la « Moonflower Society ». En tout cas l’approche a été très similaire avec Moonglow et cette idée de devoir vivre à l’écart dans notre société. Une société trop individualiste, voire égoïste. C’est une notion qu’on appelle en allemand la Elbow Society, ou la Ellenbogengesellschaft. D’où le besoin de devoir explorer d’autres endroits plus sains pour nous, à savoir notre monde de l’imagination. Un endroit que d’autres jugeraient sûrement stupides, car ce n’est pas réel. Mais pour moi, c’est très réel justement. Mon imagination, c’est clairement le monde ou je peux m’évader, où je peux trouver de la force, pour retourner dans le monde réel. Et c’est ce monde de l’imagination m’a permis de me créer une coquille par rapport à la violence de notre monde réel.

Enfin, la lune est vraiment un symbole que j’utilise comme une métaphore, celle de mon monde imaginaire où je peux me ressourcer. Et on retrouve cela dans les deux albums. Bon, par contre, je ne me suis pas assis comme un intello ou un geek, pour me demander comment est-ce que je fais pour créer un album dans la continuité de Moonglow (rires). Tout s’est fait de manière très naturelle. De même que la façon d’écrire les chansons, je ne pense pas à ce que je devrais ou ne devrais pas faire. Tout vient vraiment comme ça, au fil de l’eau. Je préfère transmettre des émotions de manière spontanée, plutôt que de faire un show à la Broadway extrêmement cadré.

Dans de nombreuses chansons de l’album il y’a justement cette idée de s’émanciper de la négativité. Je pense à « Kill The Pain Away », « The Inmost Light », on sent vraiment des sentiments positifs : un message d’espoir et un appel à la liberté d’être soi-même. Écris-tu des chansons aussi pour rendre les gens plus heureux ?

Je ne dirais pas que c’est mon intention première de rendre les gens heureux lorsque j’écris des chansons. Avant tout, ce que je cherche à faire, c’est transmettre des émotions. Mes chansons sont avant tout très personnelles. Cependant, je trouve ça génial que certaines personnes en tirent quelque chose de positif, avant d’oublier leurs problèmes lorsqu’ils écoutent ma musique, et justement qu’ils y trouvent de la force. Je préfère que rendre le monde plus heureux que plus triste (rires). Cette idée, c’est d’ailleurs ce que pourrait ressentir les auditeurs lorsqu’ils écoutent des chansons comme celles que tu mentionnes :« The Inmost Light » ou « I Tame The Storm ». « Scars » et « Arabesque » sont aussi des chansons très personnelles et je comprends que de nombreuses personnes peuvent s’identifier à mes paroles.

Mais d’un autre côté le message de ces chansons peut aussi être interprété différemment. Dans « The Inmost Light », ce que je voulais montrer c’est que c’est un challenge d’être soi-même dans une société qui nous impose de cocher des cases et de rentrer dans un moule. Il y’a tellement d’attentes extérieures, pour qu’on soit quelqu’un d’autre que ce qu’on veut être. D’où l’importance de retrouver sa lumière intérieure, et de rester soi-même. Un principe que j’essaie d’appliquer tous les jours.

Pour « I Tame The Storm », c’est aussi l’idée que même si la tempête s’abat sur moi, je continue à avancer, même si les gens autour de moi trouvent ça ridicule. C’est l’histoire de quelqu’un qui est vu comme une créature pathétique, qui avance dans la tempête. Les gens qui le regardent le prennent pour un fou et s’en moquent. Ils se disent : pourquoi ce fou fait-il ça ? Et ce que je voulais montrer, c’est que ces mêmes gens n’essaient pas de comprendre pourquoi, et de se mettre à sa place. Ils ne voient que par leur propre personne. Cette créature dans la tempête, il n’est pas une victime de la tempête. C’est son ami en quelque sorte. Il se fiche bien de ce que les autres peuvent penser. Et il vit très bien le fait d’être trempé dans la tempête. Justement on devrait changer notre idée tolérance et notre sensibilité envers autrui. C’est un vrai sujet qui m’est très cher.

D’ailleurs tu mentionnes la chanson « Arabesque », certainement la chanson la plus épique et progressive de l’album. Un mélange des genres avec les cornemuses qui évoquent la musique d’un hymne national, des riffs avec des gammes très orientales et des parties plus classiques. Peux-tu nous parler de sa création ?

L’histoire de cette chanson remonte aux sessions d’enregistrement de Moonglow. J’avais écrit de nombreuses parties de la chanson à ce moment-là. Mais j’avais décidé de ne pas en finir la chanson pour l’album. Je l’avais laissé de côté car on avait déjà deux chansons épiques d’une dizaine de minutes pour Moonglow, à savoir « Ghost in the Moon » et « The Raven Child ».

Musicalement, je dois avouer que ça part vraiment dans tous les sens. Il y’a du Black Sabbath, des éléments très orientaux, de la musique arabe, des éléments baroques, royaux. Dans les chœurs, ça ressemble même à Carl Orff dans Carmina Burana parfois. C’est un peu bizarre qu’il y ait autant de genres dans cette chanson. Mais Sascha m’a proposé de reconsidérer la chanson, car il l’a trouvée vraiment bien. Et ensuite j’ai trouvé le concept du titre, car c’est comme une arabesque. Cette chanson c’est comme un motif avec plein de fils, mais qui ensemble forme un superbe ornement. Je me suis dit qu’il fallait donc faire cette chanson avec plein de genres, à l’image d’un conte de fées. Approchons la chanson comme cela, et l’arabesque est née.

Au niveau des paroles j’ai écrit cette chanson comme si c’était un voyage fantastique dans un autre monde. Mais dans le même temps c’est la dernière histoire, celle d’un voyageur qui fait face à des doutes mais qui a la certitude de devoir continuer. Et encore une fois il continue à mener son aventure à bien sans se préoccuper des attentes des autres. C’est encore une fois très personnel. Et même dans ma carrière, il ne faut pas se préoccuper de ce que les autres attendent de nous. Pourquoi ne fait-il pas l’album qu’on veut qu’il fasse ? C’est vraiment quelque chose de très personnel. L’important c’est de faire ce que qu’on veut faire, malgré toutes les attentes autour de nous. C’est aussi un peu ça l’arabesque, former quelque chose de beau, de propre à soi-même, dans la difficulté et la complexité du monde.

Parlons maintenant des artistes invités sur cet album. En plus des invités habituels, on peut notamment  entendre le chanteur allemand Ralf Scheepers (Primal Fear). Comment as-tu fait ces choix ?

Et bien c’est comme lorsque j’écris mes chansons, cela vient un peu naturellement. Bien sûr il y’a aussi les artistes qui ont l’habitude de jouer pour Avantasia et qui font pleinement partie de la famille : Michael Kiske, Ronnie Atkins, Bob Catley, Eric Martin, Jorn et Geoff Tate. Pour eux, c’est comme une évidence de les impliquer dans mes chansons. Ils apportent vraiment de la variété aux chansons et permettent à Avantasia d’être presque un groupe. Ils représentent la colonne vertébrale de ma musique. Avantasia est un projet solo, mais c’est une famille à la fin.

Je voulais ajouter deux autres invités à mes chansons afin d’apporter de la nouveauté. Depuis le départ, l’idée d’Avantasia ce n’est pas de faire des chansons avec des stars juste pour avoir de jolis noms, et faire le show. Non pas du tout, l’objectif principal c’est de se concentrer sur la qualité des chansons. Lorsque j’ai commencé à écrire « The Wicked Rules The Night », le choix a été comme évident pour Ralf. Je savais inconsciemment que ça devait être  lui. Une fois que je lui ai envoyé la chanson, il me l’a renvoyée prête en moins de 24 heures.

Cette chanson est d’ailleurs très heavy, qu’avais-tu en tête au moment de la composer ?

Je n’ai pensé à rien (rires). Pour cette chanson, j’ai eu l’idée de faire quelque chose de plus heavy. Tout s’est fait très naturellement, c’est une chanson écrite d’abord aux claviers et à la basse, alors qu’on a l’impression à la fin que c’est une chanson faite par des guitares. J’ai tout de suite su ce que je voulais faire pour cette chanson, et ça n’a pris que quelques jours. Quelque chose d’agressif, de puissant. Dans certains cas, une chanson peut prendre des semaines, voire plusieurs mois. Ici l’idée était claire depuis le début. On m’a dit que ça ressemblait un peu à « Mysteria » d’Edguy, et bien je n’y ai pas pensé. Mais bon, encore heureux que ça ressemble à quelque chose que j’ai fait dans le passé ! Et puis, dans la musique il n’y a que 12 notes, il fallait bien qu’il y’ait des similarités. J’ai bien besoin d’écrire quelque chose, sinon je jouerais aux jeux vidéos toute la journée (rires).

Comment ne pas également évoquer ces deux chansons avec Floor Jansen, la chanteuse néerlandaise de Nightwish. Elles sont d’ailleurs toutes les deux très différentes entre-elles. Peux-tu nous en parler un peu plus précisément ?

Pour Floor Jansen, je lui ai demandé directement si elle pouvait chanter. Sascha la connait depuis près de 20 ans, car il a beaucoup travaillé avec elle lorsqu’elle chantait pour After Forever. Lorsqu’on lui a demandé si elle voulait chanter sur la chanson, elle a dit oui tout de suite. Je lui ai alors envoyé la démo de « Misplaced Among The Angels ». Ce n’était pas une chanson écrite spécifiquement pour elle, mais j’ai pensé que ça serait top qu’elle chante sur cette chanson. Floor m’a rappelé et m’a dit qu’elle trouvait la chanson pas mal mais que ce n’était pas tout à fait dans sa gamme vocale. Elle m’a demandé si je n’avais pas autre chose à lui proposer.

Dès lors, je me suis mis à composer une chanson faite pour Floor. Ca m’a pris environ 3-4 jours pour concevoir « Kill The Pain Away », et je lui ai directement envoyée cette chanson. Et elle a beaucoup aimé et a enregistré la chanson dans son propre studio. Quand elle me l’a renvoyé elle m’a fait la surprise de me renvoyer également « Misplaced Among The Angels », car elle a finalement beaucoup aimé cette chanson. Et dans les deux cas, cela a fait deux superbes chansons. Même si les deux approches de ces deux morceaux étaient très différentes.

Peut-on s’attendre à des chansons bonus pour cet album, comme tu l’avais fait pour Moonglow ?

Il y a une chanson sur l’édition limitée de l’album qui est une version piano d’une des chansons de l’album. Ok, tu vas dire que ça fait très cheap d’avoir une version piano (rires). C’est une démo que j’ai faite et qui est très travaillée. Bon bien sûr je dis ça car c’est moi qui l’ai faite. Mais en vrai, il y a vraiment beaucoup d’émotion, d’amour et d’effort dans cette chanson. C’est très intime et j’adore la réécouter. Donc oui, il y'aura bien une chanson bonus !

Tu es un artiste très présent sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook où tu réponds à de nombreux commentaires. Quel lien entretiens-tu avec tes fans ?

Pour moi, les réseaux sociaux sont un excellent outil de communication. J’ai toujours eu de la chance de travailler avec les mêmes journalistes qui sont devenus des amis. Mais avoir un contact direct avec les fans, c’est encore différent. C’est un cadeau de partager de la musique avec des fans d'Avantasia... Avec des membres de la « Moonflower Society », disons-le ! Bon bien sûr dans le lot des commentaires, il y a toujours quelques débiles, mais on fait avec (rires). Mais dans l’ensemble, 99,99% des fans sont des gens respectueux. Les réseaux sociaux sont un excellent moyen d'avoir une communication directe avec mes fans. Ce sont eux qui me permettent d’être qui je suis et de faire de ma passion mon métier. Et j’en suis très reconnaissant.

Pour finir, verra-t-on bientôt Avantasia en France ? Un dernier mot pour tes fans français ?

Je ne parierais pas tout de suite sur une tournée en Europe. Depuis le Covid, c'est de plus en plus dur de tourner, car il y a moins de certitudes de remplir les salles. Lorsque nous avons joué à l'Olympia, la dernière fois, c'était génial, mais le concert n'a pas été rentable sur cette date. Et on a même perdu de l'argent. Faire une tournée, c'est investir beaucoup et avec toute la production que nécessite Avantasia et tous les musiciens à payer, ça peut être très risqué de se lancer dans une tournée sans avoir des garanties financières. Du coup, je ne peux hélas rien promettre sur les prochaines dates à venir d'Avantasia...

Dans tous les cas, un très grand merci à tous les fans français, surtout ceux qui sont là depuis le début et même depuis Edguy, je vous dois beaucoup ! Merci beaucoup ! (Ndlr : phrase prononcée en Français par Tobias). 

1 - Welcome To The Shadows
2 - The Wicked Rule The Night
3 - Kill The Pain Away
4 - The Inmost Light
5 - Misplaced Among The Angels
6 - I Tame The Storm
7 - Paper Plane
8 - The Moonflower Society
9 - Rhyme And Reason
10 - Scars
11 - Arabesque

Avantasia - A Paranormal Evening With The Moonflower Society

A Paranormal Evening With The Moonflower Society, nouvel album d'Avantasia, est déjà disponible chez Nuclear Blast. 

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