Le groupe britannique de metalcore Architects est de retour ce vendredi. À l'occasion de la sortie du nouvel album The Sky, The Earth & All Between, Dan Searle, batteur et compositeur principal nous a accordé un long entretien. Il s'est d’ailleurs livré sans langue de bois sur de nombreux sujets : les critiques de certains fans, le virage assumé vers le mainstream, ou encore l'avenir du groupe. Une occasion d'en savoir beaucoup plus sur ce projet très attendu de ce début d'année.
Bonjour Dan, ravi de t'avoir avec nous et félicitations pour ta nomination dans les top des batteurs metal aux drumeo awards de 2024 d'ailleurs !
Dan Searle : Il parait que je suis pas mauvais ! Non mais franchement, avec tous les batteurs incroyables de la liste, quand tu vois des gens comme Eloy de Slipknot [Eloy Casagrande, ex Sepultura, ndlr), tu te dis "je ne leur arrive même pas à la cheville, je suis une véritable arnaque".
Tu sembles souffrir du syndrome de l'imposteur ?
Oui, complètement ! Mais je crois que beaucoup d'artistes ressentent ça. Au fond, peut-être est-ce une façon de nous pousser à à s'améliorer encore et encore...
Revenons au sujet principal, la sortie de votre album. Car les morceaux qui ne sont pas encore sortis (comme "Everything Ends") vont sûrement diviser et choquer après la sortie des quatre premiers titres beaucoup plus roots et metalcore. Votre nouvel album amorce un vrai virage plus grand public dans la direction artistique d'Architects. Comment penses-tu que les fans vont réagir ?
Ce sera bien sûr clivant. On a déjà sorti des albums qui ont énervé certaines personnes. Curieusement, le succès d'un morceau comme "Animals", pourtant très critiqué au départ, nous a montré que les réactions en ligne ne sont pas forcément représentatives. On avait annoncé la mort d'Architects après ce single. Et pourtant, c'est aujourd'hui le morceau plus streamé [ndlr : Plusieurs centaines de millions de streams].
Et j'aime l'idée que notre groupe soit un peu chaotique et imprévisible, quitte à agacer une partie du public. On ne veut vraiment pas plaire à tout prix. Oui c'est un peu sadique mais j'espère même que cet album va agacer certaines personnes. A la fin, cet album est vraiment représentatif de ce que nous sommes et de notre identité actuelle. C’est un aboutissement. Et j'en suis très fier. Je ne cherche plus comme avant à faire seulement du metal. J’aime vraiment mélanger toutes les influences musicales que j'aime. Et ça se ressent, je l’espère, dans cet album.
Dans une précédente interview, tu disais que vous n'aviez pas encore amené Architects là où vous vouliez. Est-ce chose faite maintenant ?
Honnêtement je suis ravi du résultat final, on touche au but, même si on peut toujours aller plus loin. On a atteint l'objectif qu'on s'était fixé en allant plus loin dans tout ce qu'on pouvait améliorer. Notre direction artistique et nos compositions sont tops : les parties heavy sont plus heavy que jamais. Les parties mélodiques sont aussi plus accrocheuses et catchy. Mais ce n’est pas seulement un amélioration musicale : nous avons également voulu améliorer les clips, l'artwork et la production au global. Enfin, nous avons voulu nous entourer des meilleures personnes possibles. C'est notre philosophie de se dire : "ok ce qu'on a fait il y'a quelques années c'est fou, mais comment l'améliorer encore plus ?". C'est très marketing ce que je dis, mais c'est la vérité !
Jordan Fish (ex-Bring Me The Horizon, et producteur) joue bien sûr un rôle clé dans ce nouveau disque. Qu'est ce qu'il vous a apporté dans la production ? Comment le trouves-tu personnellement ?
Ha Monsieur Fish, le fameux ! Jordan a vraiment été indispensable pour nous aider à prendre du recul. En tant que producteur, il voit la "big picture" de notre groupe Quand on est dans la création, on n'a pas toujours cette perspective sur notre travail. Il pousse nos points forts et met en avant ce que nous faisons de mieux. Et il le fait bien au-delà de notre zone de confort, par exemple il a vraiment permis de développer certaines rythmiques de batterie très complexes. Je pense aussi vraiment au travail sur la voix de Sam, qui a parfois dû monter très haut dans les aigus. Il a une patte artistique très présente. Je décrirais sa production comme très clinique et esthétique. Et des morceaux de l'album, il ressort quelque chose de très puissant, et de très carré.
Franchement, c'est sûrement une des personnes les plus talentueuses de l'industrie, et cela tout genre musical confondu. Il est si polyvalent qu'il pourrait produire n'importe qui. il n'existe pas une personne comme lui. On lui a déjà fait des propositions alléchantes. Il pourrait facilement être à la même table que Coldplay, Taylor Swift ou Post Malone pour produire leurs albums. Mais il préfère le metal, et c'est une chance immense pour nous. Il préfère faire du sale [rires].

Ce qui ressort particulièrement ce sont les arrangements électro de l’album, et ce côté par fois un peu indus, c’est une idée de Jordan ?
Cet aspect industriel d'Architects n’est pas nouveau : nous avions déjà commencé à l’explorer sur For Those That Wish to Exist. Je pense que cela tient aussi à une certaine similarité entre mes goûts et ceux de Jordan. Nous avons pas mal de nos influences musicales et de style de production en commun. Il est sans doute plus clinique et tranchant dans son approche, avec aussi un côté électronique plus présent.
Ce qui est amusant, c’est que sur Internet, je vois déjà des commentaires du type "Ça, c’est clairement du Jordan Fish". Pourtant, certaines idées qui sont perçues comme les siennes viennent de moi. À l’inverse, d’autres disent "Ça, c’est du Jordan et c’est nul", alors que c’est moi qui ai écrit ces passages. Les gens projetteront toujours leur perception de Bring Me The Horizon sur notre musique, c’est vraiment quelque chose.
Vous souffrez en effet beaucoup de la comparaison à Bring Me sur les réseaux sociaux…
Depuis 18 ans, on compare sans cesse Architects à Bring Me, parce qu’ils ont exploré tellement de styles différents qu’à chacune de nos évolution, on nous dit qu’ils l’ont fait avant nous. Au bout d’un moment, on s’est résigné à accepter qu’on souffrirait toujours de la comparaison et qu’il fallait vivre avec ça…
Dans cette exploration de styles musicaux, avez vous également des inspirations non musicales ?
Il y a, je pense, une forte influence cinématographique dans la musique d'Architects. J’aime la manière dont les films amplifient les émotions pour les rendre plus percutantes. Dans la vraie vie, quand tu embrasses une fille pour la première fois, il n’y a pas d’orchestre qui joue derrière toi ni de caméra qui tourne autour. Mais au cinéma, tout est exagéré pour que l’émotion paraisse plus intense. J’essaie d’appliquer cette approche à notre musique : rendre les émotions plus extrêmes pour qu’elles résonnent plus fortement chez l’auditeur.
Aujourd’hui, nous sommes stimulés en permanence. Là où un seul verre de vin suffisait avant, maintenant il en faut dix. C’est pareil pour la musique : il faut aller encore plus loin pour que les émotions touchent les gens. C’est ce que le cinéma fait, et j’essaie de reproduire cette dynamique dans notre musique.
Votre collaboration avec Jordan avait déjà commencé sur le morceau "Doomsday", après le décès de ton frère Tom. Peux-tu revenir sur cette période délicate ?
Après le décès de Tom, avec Sam, on devait sortir une chanson forte pour lui rendre hommage. Nous devions vraiment marquer le coup car c'était pour mon frère. Mais je n'avais jamais écrit auparavant, c'était Tom qui s'en chargeait. Et honnêtement, ce qu'on avait produit à l'époque (en 2016) n'était pas à la hauteur. J'ai donc appelé Jordan à l'aide, et ensemble, on a sorti la version finale de "Doomsday" qui est encore à ce jour un de nos morceaux les plus mémorables, et même dramatique en quelque sorte.
Nous n'avons plus collaboré pendant huit ans ensuite, car il a été très pris avec Bring Me...jusqu’à ce nouvel album où il nous a annoncé qu'il avait quitté Bring Me et qu'il cherchait de nouveaux projets, alors on s'est dit : pourquoi ne pas faire un album ?
Justement, certains fans vous reprochent de délaisser cet aspect émotionnel et dramatique qui vous caractérisait après le décès de Tom. Comment réagis-tu à cela ?
Je suis conscient que notre musique a une forte dimension émotionnelle qui attire certains fans, et je respecte cela. Mais je ne veux pas que nous soyons enfermés dans un rôle où nous devons sans cesse exprimer notre douleur pour plaire au public. Le nouveau morceau "Seeing Red" a beaucoup plu aux fans, mais certains ont trouvé la démarche déplacée. Ils voyaient cette chanson comme une sorte de méta-satire sur les attentes des fans qui veulent du son heavy à tout prix. Pourtant, c’était voulu de se moquer un peu du concept. Ce changement de ton a déstabilisé certains, comme si Architects devait rester sérieux et dramatique en permanence.
Les gens veulent de l’authenticité, mais parfois je me demande s’ils ne veulent pas simplement que l’on corresponde à l’image qu’ils se sont faites de nous. Ils voudraient que Sam continue à crier sa douleur, qu’on écrive encore sur la perte de mon frère… Mais est-ce qu’on est une parodie ? Un groupe figé dans le deuil ? Les fans pensent parfois qu’ils peuvent décider de ce que le groupe doit être.
Vous avez eu des désaccords entre Sam et toi à ce sujet, sur la direction artistique à prendre pour Architects ?
Il n’y a pas vraiment de désaccord entre nous. C’est surtout que nous ne ressentons pas les mêmes choses de la même façon. Quand j’ai l’impression d’être allé trop loin dans les textes, que c’est peut-être trop sombre ou trop négatif, Sam me dit toujours que ce n’est pas un problème. Alors au final, j’accepte, parce que c’est lui qui chante ces paroles. Ce qui compte, c’est qu’il puisse s’associer aux textes. Je peux aborder certains sujets comme nous l’avons fait avec Black Hole, qui font allusion à certaines thématiques plus sombres, et ça me va. Mais je ne veux pas non plus que notre musique tourne toujours autour de ça. Honnêtement, combien de temps pourrais-je encore écrire sur ce sujet ? Je ne sais pas.
On ne peut pas reproduire éternellement l'émotion intense de cette période post 2016, qui était si particulière. Après le décès de Tom, la tournée d'Architects qui a suivi, a sûrement été la tournée la plus intense émotionnellement de toute notre carrière. Chaque concert était un véritable hommage pour Tom, c'était incroyable… comme une renaissance de mon frère tous les soirs. Mais c'est le passé. Aujourd'hui, je veux simplement être authentique : parfois triste, parfois joyeux ou en colère. On ne peut pas se limiter à un seul état émotionnel.
D'ailleurs je trouve que le rire c'est quelque chose qui permet vraiment de s'épanouir en tant qu'artiste. A chaque fois que je trouvais une phrase drôle à mettre dans les paroles, tu pouvais être sûr à 99% qu'elle finissait dans les chansons. Et puis regarde les gars de Slipknot, c'est l'exemple parfait. J’adore ce groupe. Mais au fond, ils sont tellement ridicules avec leurs tenues. Il faut vraiment arrêter d'être sérieux parfois et se lâcher [rires].
Je trouve tes paroles souvent assez directes et brèves. Tu ne fais pas de longues phrases. Tout cela contraste beaucoup avec l'écriture de ton frère. Comment décrirais-tu les différences, est-ce voulu ?
Tom écrivait des poèmes qu'il adaptait ensuite aux chansons. Moi, je compose les textes directement en fonction de la mélodie, ce qui limite mes possibilités. Par ailleurs, nos personnalités étaient très différentes : Tom était plus discret, ses textes plus poétiques et moins explicites. Aujourd’hui, je suis plus direct, plus spontané, et surtout plus personnel. J'exprime vraiment mon ressenti de manière brute. Et surtout je n'ai pas vécu ce qu'il a vécu, vivre un cancer, je ne pourrais jamais me mettre à sa place.
On remarque justement que les paroles sont désormais plus introspectives et moins engagées politiquement. C'est un choix conscient ?
Absolument. Avec l'âge, je ressens moins le besoin de m'affilier à une idéologie précise. Je suis plus préoccupé par mon évolution personnelle, mon rôle de père, de mari, et les responsabilités que cela implique. Bien sûr, la colère envers le monde existe toujours, mais ce n'est plus ma source d'inspiration première. Peut-être que quand mes enfants seront grands, je changerai d'avis, qui sait ! D'ailleurs ça me fait assez rire de voir que beaucoup de personnes voient dans mes textes des revendications sur le changement climatique, ou sur la politique. Alors qu'en fait ça n'a rien à voir [rires].
Tu as déjà commencé à travailler pour la suite d'Architects. Vous prévoyez de sortir des choses en parallèles ? Un projet un peu comme l'album symphonique reprenant les chansons de For Those That Wish To Exist au studio Abbey Road ?
Vraiment pas, je pense que je suis déjà en train de penser à la composition du prochain album pour être honnête, et l'expérience d'Abbey Road a été tellement épuisante, tu n'imagines pas ! Je ne suis pas prêt à le refaire tout de suite. Mais bon, sait-on jamais, l'album à Abbey Road on ne l'avait pas prévu avant la sortie de l'album FTTWTE. Tout s'est fait rapidement dans la foulée car nous avons saisi l'opportunité de le faire.
Enfin, comment imagines-tu l'avenir d'Architects dans cinq ou dix ans ?
Le fait d’avoir tourné avec Metallica nous a ouvert les yeux sur le reste de notre carrière. Je pensais toujours qu'il faudrait trouver un plan B, comme devenir producteur ou manager d'un groupe. Mais en voyant les Metallica à 60 ans toujours passionnés, j'ai complètement changé d'avis. Ces gars pourraient d'ailleurs tout arrêter tellement facilement... Ce sont les derniers à avoir besoin d'argent. S'ils le font c'est par amour de la musique. Vraiment, être artiste cela pourrait être notre unique métier jusqu'à notre retraite. Et c'est vraiment un privilège de pouvoir vivre simplement de notre passion.
Dernière question bonus de la part d'un ami batteur : allez-vous sortir "Untitled" en streaming ?
Bonne question ! Je ne l'avais encore jamais envisagé. D’ailleurs je ne pense même plus pouvoir jouer cette chanson tellement ça date. Peut-être... Peut-être pas... J’aime aussi bien l’idée que ce morceau reste un secret pour les fans hardcore, mais qui sait...
The Sky, The Earth & All between, disponible ce vendredi 28 février chez Epitaph Records