Entretien avec Johannes Eckerström d’Avatar : “Je ne joue pas un personnage, le clown c’est moi !”

Alors que les Suédois d’Avatar dévoilent ce vendredi le nouvel album Don’t Go in the Forest, nous avons pu nous entretenir sans masque avec le chanteur et leader Johannes Eckerström. Derrière le clown et le spectacle, il dévoile un visage plus humain que jamais : celui d’un artiste cérébral et lucide sur le sens de sa création et sur le monde qui l’entoure.

Johannes, un plaisir de te retrouver en interview ! Ça faisait longtemps que tu n’avais pas fait d’interview en face à face…

Oui, j’ai fait de la promo toute la semaine et c’est la première fois que je refais de la promotion après la pandémie. Voyager, rencontrer des gens, parler en face à face, c’est vraiment agréable. Rester assis à la maison sur le canapé a aussi ses avantages, mais ça ne vaut jamais une interview en présentiel.

Vous avez joué récemment à Paris avec Iron Maiden, sur l’une des plus grandes scènes d’Europe à Paris-Nanterre. Est-ce que vous appréhendez ce genre de shows différemment de vos concerts habituels ?

Oh oui, bien sûr. Toute cette tournée des stades avec Iron Maiden est très différente, même si on essaie de ne pas trop la vivre comme ça. A nos débuts, on a appris à jouer devant presque personne, à donner de l’énergie quand il n’y a que trente personnes dans une salle. A cette époque, il fallait faire en sorte qu’une petite salle paraisse énorme, de faire de ce moment quelque chose de spécial pour les gens qui ne nous connaissent pas encore. Quand, trois ans plus tard, tu remplis davantage les salles, c'est plus de gens, mais tu cherches toujours à sonner toujours plus « massif ».

Puis tu arrives dans ces espaces gigantesques : là, c’est une autre compétence qu’il faut développer. Iron Maiden sont des maîtres dans ce domaine. J’ai rencontré des tas de gens qui m’ont dit : « Bruce Dickinson m’a vu, il m’a pointé du doigt, il m’a salué ! » (rires) Et moi je leur réponds : « Aucune chance ! ». Parce que quand tu montes un fois sur de telles scènes, tu te rends compte tout de suite qu’on ne voit quasiment personne de près.

Mais Bruce parvient à créer cette illusion, ce lien. Il rend une salle immense plus intime. C’est l’inverse exact de ce que tu apprends quand tu débutes avec les petits concerts. Les grands festivals et les stades, c’est l’occasion de travailler cet art-là : comment faire en sorte qu’un espace immense paraisse petit, connecté. Et pour Paris en particulier, on a toujours eu une relation spéciale avec la ville. Il y avait déjà beaucoup de gens qui nous connaissaient, donc pour une première partie, c’est un luxe, car il faut un peu moins prouver qu’avec d’autres publics. En tout cas, c’était vraiment un concert à part dont on se souviendra.

Sur scène à Paris, on a trouvé ton chant hurlé et screamé un peu différent. Tu as travaillé un nouveau registre ?

C'est intéressant… Non, pas consciemment je dirais. J’ai l’impression que je traverse des phases : parfois le chant devient plus sombre, parfois plus haut, sans que je le décide. Peut-être que c’est simplement la maturité de la voix. Aujourd’hui, c’est important pour moi que cette voix “extrême” arrive naturellement. Au début, je la travaillais : voix grave, voix claire, etc. Mais je me rends compte que ce que j’aime maintenant, c’est quand c’est être plus instinctif et old-school.

A l’époque et à mes débuts je pensais à chaque fois « Là, c’est le moment Cryptopsy », « Là, c’est le moment Cannibal Corpse », « Là, c’est le moment black metal ». Mais maintenant, ça sort tout seul, guidé par l’émotion des paroles. Et comme je travaille beaucoup le chant clair en parallèle, ça influence peut-être la manière dont je produis mon scream. Mais ce n’est pas un choix conscient. Cela dit dans l'album j'ai eu des intentions spécifiques sur le growl, comme sur le pré-refrain de "Captain Goat", à la Mikael Åkerfeldt d'Opeth. 

Ta voix a un côté très contrasté, presque bipolaire, entre douceur et folie sur scène. Est-ce que c’est aussi un peu ta personnalité dans la vie ?

Je ne joue clairement pas un personnage. Les chansons viennent de ce que je suis et de ce que je ressens. Sur scène, je libère une partie de moi, je la pousse à fond, et ça devient presque une immersion totale dans certains aspects de ma personnalité. On est tous complexes : au bureau le vendredi, à une rave party underground le samedi, chez sa grand-mère le dimanche, ce sont trois versions possibles d’une même personne. Moi, je montre simplement plus de ces côtés dans ma musique. Être le clown sur scène, ça m’a toujours semblé naturel, parce que je suis déjà un clown dans la vie, mais pas que. (Rires)

Évidemment, les comportements extrêmes sur scène n’apparaissent pas ailleurs. Mais oui, je vis de vraies montagnes russes émotionnelles dans ma vie, et j’essaie d’apprendre à mieux gérer ça, à ne pas tout peindre en noir ou en blanc. La musique m’aide à canaliser ça autrement, à sortir ces émotions sans que ça me détruise.

On ne peut pas penser à Avatar sans évoquer le personnage de clown que tu représentes. Pourquoi être resté si longtemps fidèle à ce maquillage et à cette imagerie ?

Parce que justement ce n’est pas un personnage. Je ne “joue” pas le clown : c’est une extension de moi-même. Avatar n’a jamais été un groupe de “circus metal”, comme certains l’ont dit. C’est plutôt une sorte de cabaret, un univers complet, où tout forme un ensemble cohérent. La musique, l’image, les symboles se répondent en permanence.

Le clown évolue selon les albums. Sur Avatar Country, c’est presque un bouffon royal. Sur Black Waltz, c’est le clown de cirque classique, brutal et troublant. Sur Hail the Apocalypse, il devient une figure onirique, presque comme Peter Pan qui entrerait par la fenêtre pour raconter des histoires. C’est toujours moi, mais sous différentes formes. C’est pour ça que je ne m’en lasse jamais : le maquillage n’est pas un masque derrière lequel je me cache, c’est une manière de me montrer autrement.

Justement, ton nouvel album, peut-être le plus varié musicalement, semble osciller entre violence, poésie, et introspection. Comment décrirais-tu ce que tu voulais y exprimer ?

Chaque chanson est un peu l’expression d’un ressenti à un moment donné. D’abord, musicalement, on ne veut jamais écrire deux fois la même chanson. C’est la curiosité qui nous pousse. Quand un riff est bon, il crée une atmosphère, et cette atmosphère nourrit l’imagination : ça devient comme un film dans ma tête. Le subconscient s’accroche à certaines choses et ça influence ensuite les paroles et la façon de chanter. Il y a toujours deux fils qui se croisent : l’envie de tenter quelque chose de nouveau, et la manière dont cette nouveauté résonne émotionnellement en moi.

Parlons des morceaux du nouvel album. On pourrait faire une analyse de chaque morceau tant chacun semble raconter une histoire différente.  Il y a cette fascination pour la tragédie et le spectacle, par exemple dans “Death and Glitz”, notamment de la tendance sur les réseaux de regarder des true crimes. Tu penses qu'il faut encore plus dénoncer ce phénomène aujourd'hui ?

Oui, totalement. J’ai commencé à être vraiment mal à l’aise avec la popularité du true crime : les podcasts, les documentaires, tout ça. Il y a une forme de voyeurisme glacial, souvent autour d’une jeune femme séduisante assassinée. On finit par consommer la mort comme un divertissement, et je trouve ça profondément malsain. Ce n’est pas comme regarder un film d’horreur ou les infos : c’est autre chose. C’est comme si la mort devenait attirante. Quand un homme regarde ça, il y a parfois, consciemment ou non, quelque chose de tordu : pourquoi faut-il toujours que la victime soit belle ? Pourquoi faut-il que la mort ait une belle paire de seins ? (ndlr : en référence aux paroles du morceau)

On transforme la victime en fantasme, en image idéale : la fille morte parfaite. Et quand une femme regarde ça, peut-être qu’elle se projette, parce que cette fille est aimée, regrettée, valorisée par la tragédie. C’est malsain dans les deux cas. Surtout quand j'entends des gens dire qu'ils adorent ça...Je n’appelle pas ça du « true crime », mais du « porn crime ». Dans la chanson, je parle d’une fille sans abri, une fugueuse, qui meurt, et tout le monde la trouve magnifique. Les paparazzi photographient la scène du crime comme si c’était une star. C’est une critique de cette glorification morbide.

Et pourtant c’est la chanson la plus dansante et groovy de tout l’album ! Et quelle ligne de basse !

C’est le paradoxe, et c’est même la base du metal selon moi. On retrouve la même dualité dans le metal en général : on chante des choses terribles, mais avec puissance et plaisir. Comme quand tu écoutes Metallica chanter sur un homme sans bras ni jambes qui veut mourir, et que tu cries les paroles dans la foule. Le metal est le genre parfait pour explorer ces zones sombres, entre fascination et peur. C’est ce qui fait que le pouvoir de cette musique est parfait pour évoquer ces thèmes, tout en étant divertissant.

Et à l’opposé il y’a la chanson « Howling in The Waves », une de vos meilleures ballades, qui a l'air très personnelle. Tu sembles parler de quelqu’un qui t’est cher et d’une vraie épreuve de résilience...

Oui, c’est ma femme (rires) ! C’est probablement le morceau plus personnel de l’album. Il vient d’un rêve que j’ai fait juste avant mon mariage. Dans ce rêve, ma femme était entraînée par des vagues, elle essayait de s’accrocher à quelque chose, et moi je n’arrivais pas à la sauver. C’était terrifiant, mais j’ai compris ensuite que c’était une métaphore : se battre ensemble, ne pas abandonner. C’est sans doute ce que j’ai écrit de plus proche d’une chanson d’amour. Je n’écris pas sur les choses “heureuses et romantiques”, je ne suis pas doué pour ça. Mais cette chanson parle d’amour à travers la lutte, la persévérance. Elle m’a permis d’exprimer une vraie vulnérabilité.

Dans le même registre le morceau "Magic Lantern" est très introspectif, empreint de nostalgie. Qu’est-ce que cette lanterne magique représente pour toi ?

Il parle de souvenirs d’enfance, de ces images entre rêve et réalité qui se mélangent avec le temps. C’est une chanson très liée à ma famille. En fait, elle a été inspirée par les souvenirs confus que j’ai de la maison de mon grand-père, en Allemagne. C’est étrange : j’ai toujours eu une image très nette de cette maison dans ma tête, mais c’était une image d’enfant, déformée, un peu magique.

Récemment, on a joué à Gelsenkirchen avec Iron Maiden, la ville d’où vient ma mère. On a profité du concert pour aller revoir cette maison avec ma sœur. Par hasard, quelqu’un était là et nous a laissés entrer pour jeter un coup d’œil. En revoyant le lieu réel, tout m’a paru minuscule. J’ai eu ce choc : tout ce que j’avais idéalisé pendant des années était bien plus petit. La lanterne magique, c’est un peu ça : revoir ton passé à travers les yeux d’adulte, essayer de comprendre qui tu es à partir de ce que tu as été. C’est une chanson sur le temps qui passe, sur la façon dont on garde des fantômes en soi.

Tu crois aux fantômes ?

Je ne crois pas aux fantômes au sens littéral, mais je les vois partout. Pour moi les fantômes, ce sont les souvenirs, les gens, les lieux qu’on aime et qu’on maintient en vie malgré le temps. C’est positif, mais surtout mélancolique et très mémoriel dans le bon sens du terme.

Pour parler d’une dernière chanson plus fun, romanesque et horrifique, « Take This Heart and Burn It », est un titre très différent, presque tribal, avec des influences musicales très variées. Comment est née cette chanson? Les paroles sont très ambiguës, voire proches de la poésie...

Sur cet album, mon approche avec les paroles a été en effet beaucoup moins directe, je me suis amusé à mettre plein de métaphores en laissant la place à l'imagination. C'est le cas au moins sur la moitié des chansons de cet album. Cette chanson est donc aussi née d’un rêve aussi et de mon imagination. Dans ce rêve, je volais au-dessus d’une île isolée, presque inaccessible. Dans l’eau, près du rivage, il y avait trois pilotes de chasse noyés, toujours en uniforme, flottant immobiles. C’est très cinématographique, très étrange. Puis j’ai atterri sur cette île, peuplée de gens entièrement nus, hommes et femmes, dans les eaux peu profondes du lagon. L’un d'eux était une femme qui portait encore des marques de bronzage de maillot, ce qui montrait qu’elle venait d’arriver, qu’elle était “nouvelle” là-bas, vulnérable. Tous les autres, eux, avaient un teint uniforme. Cette différence la rendait fragile, exposée. C'est étrange, tu as vu ? (rires) Et à partir de cette image, j’ai laissé le morceau se construire tout seul. C’est devenu une sorte de rituel, de sacrifice symbolique.

Musicalement, ça mélange beaucoup de choses : les gammes et mélodies vont s'inspirer la tradition orientale, mais il y a des rythmes latins, des percussions qui rappellent presque le flamenco, et un peu d’inspiration des Balkans pour le refrain. On a vraiment voulu jouer avec des influences du monde entier. C’est un morceau très intuitif : je n’ai pas cherché à lui donner une signification claire pendant l’écriture. Je me suis contenté de suivre la beauté de ce qui naissait.

Avec le recul, est-ce que tu te dis parfois qu’un morceau n’a pas fonctionné comme prévu, ou qu’il aurait pu évoluer différemment ?

Bien sûr. Dix ans après, tu peux te dire : “celui-là, peut-être qu’on l’a un peu trop salé” (rires). Mais sur le moment, chaque chanson existe pour une raison, parce qu’elle incarne la meilleure idée qu’on avait à un instant t. Faire de la musique, c’est un peu comme cuisiner pour des amis et créer . Tu veux que ce soit à ton goût, mais tu veux aussi que les autres puissent partager ce plaisir. Si je cuisinais juste pour moi, je ferais quelque chose de très simple. Mais en musique, il y a toujours ce rapport à l’autre : tu composes pour que le repas soit bon pour tout le monde...

Et parfois, des années plus tard, tu réalises qu’un plat t’a moins marqué que d’autres, ou que tu l’as mieux cuisiné depuis. « Hail the Apocalypse », était peut être un peu trop salé (rires). Mais je ne renie rien : toutes les chansons ont servi dans notre évolution en tant que groupe.

Et si tu pouvais échanger ta voix contre une autre compétence, ce serait quoi ?

C’est une bonne question. J’aime chanter, et ça m’a mené jusque-là, donc je pourrais dire : “je l’échangerais contre une meilleure voix !” (rires) Mais plus sérieusement, ce que j’admire le plus aujourd’hui, ce ne sont pas les talents des artistes ou les stars, mais le courage des gens ordinaires. Les professeurs, les infirmières, les gens dans les hôpitaux, ceux qui se lèvent chaque matin pour aider les autres… C’est eux, les vrais héros. Ce sont eux qui ont le plus grand courage.

J’aimerais avoir leur force, leur constance. Nous, artistes, on a la chance d’exprimer nos émotions, de transformer nos blessures en art. On est applaudi et acclamé pour du divertissement. Je trouve qu'on a trop de crédit pour ce qu'on fait justement. Alors qu'eux, ils se battent pour les autres et rendent le monde meilleur, sans projecteur, sans reconnaissance. C’est ça qui est le plus admirable.

Comment vois-tu l'évolution d'Avatar dans les prochaines années, t'inspires-tu de la trajectoires de groupes comme Ghost, en voulant proposer un spectacle qui dépasse les frontières de la musique ?

Oui tout à fait, ce dont je crois depuis le début c'est que tout est art. La musique, les shows, les spectacles et même la promotion et les interviews. Tout est art. Bien sûr on peut faire de la musique juste comme ça avec son groupe de potes. Mais pour nous depuis Black Waltz, on a toujours tenu à développer des concepts albums. Faire des vidéos, des petits films, et développer l'imaginaire autour du groupe, c'est toujours une de nos priorités.

Pour l'avenir, bien sûr on ne sait pas de quoi il sera fait. Mais j'aimerais vraiment qu'on poursuive notre mission. Pouvoir aller le plus haut qu'on peut, dépasser nos limites tout en continuant à écrire des chansons qui nous sont propres et qui font sens pour nous. Mais surtout, que le groupe reste une bande de potes, car si on a réussi à connaitre le succès et à surmonter les épreuves, c'est grâce à cette cohésion entre nous.

Pour finir, ces derniers temps, on parle beaucoup d’intelligence artificielle et de création automatisée. Qu’est-ce que ça t’évoque ?

Je n'aime pas ça, c'est inquiétant à certains égards. L’IA peut analyser, imiter, générer… mais elle ne ressent pas. Elle ne sait pas pourquoi elle crée. Aujourd'hui, la copie musicale IA fait toujours très cheap, donc on a encore de la marge. Ce qui essaie de nous copier, ça se voit tellement que c'est très mal fait. Pour moi, la musique naît du chaos intérieur, elle a de quelque chose de profondément humain : nos émotions, nos failles, nos obsessions. L’IA peut reproduire des sons, mais pas cette vérité émotionnelle. Cela dit, je ne vois pas la technologie comme un ennemi, car l’IA a de nombreuses applications très utiles. Ce qui m’inquiète, c’est qu’on oublie la valeur de ce qui est authentiquement humain dans l’art.

Les gens aiment un artiste aussi pour son évolution artistique, pour savoir la surprise qu’il va créer album après album. Je doute qu’on puisse ressentir la même chose avec une intelligence artificielle qui ne fait que copier-coller de l’existant. Mais ce qui m’énerve le plus c’est l’IA utilisée pour faire des fake-news politiques, des copies de musique cheap qui n’ont aucun sens. Qu’on garde de l’énergie plutôt là où l’IA est vraiment utile, et qu’elle permette plutôt de sauver des gens et de guérir des cancers !

Don't Go in the Forest, le nouvel album d'Avatar, est disponible dès à présent.

Avatar sera également en concert à Paris et Lyon en mars 2026.  



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