Motocultor 2022, jour 3 : qui a éteint la lumière ?

Samedi 20 août 2022, Saint Nolff 

Le soleil est au rendez-vous ce troisième jour de festival, et la sécheresse ambiante commence à se faire cruellement ressentir. Sous les tentes notamment, des nuages de poussières s'élèvent régulièrement, rendant l'atmosphère parfois irrespirable. Au programme en ce troisième jour, une grande variété de styles, de la rage, du cérémoniel, de l'obscurité et beaucoup, beaucoup de fumée.   

Dès notre arrivée vers 14h30, d'impressionnants nuages de poussière s'élève déjà sous la scène principale. Le combo parisien Gohrgone a le privilège de lancer la première session de bagarre de la journée, avec son deathcore / blackened death énergique et ultra rythmé. Le chanteur encouragera d'ailleurs les athlétiques festivaliers en lançant : "Vous êtes vraiment porcins, le Motocultor. Merci !"

Sur la Bruce Dickinscène, la plus petite scène en extérieur, Princesses Leya envoie son metal parodique. C’est débile mais drôle, à l’image d’une des premières répliques du groupe, qui explique ce choix de nom en hommage à Star Wars et non à la couronne britannique : « On préfère les princesses qui vont dans l’espace que celles qui vont dans les ponts ». Le spectacle est bâti sur le postulat que l’un des musiciens, allergique au metal, a pour ambition de gagner l’Eurovision, et doit composer avec ses comparses, quant à eux metalleux dans l’âme.

La musique se tient sans être extraordinaire, les blagues de bon et de mauvais goût fusent, le public déjà nombreux semble conquis. Le groupe offre notamment plusieurs reprises à la sauce metal, notamment « Makeba » de Jain, un extrait de la BO de Dirty Dancing, et « Balls, Balls, Balls », croisement improbable entre Rammstein et « Boys Boys Boys » de Sabrina. Si c’est une très bonne façon d’attaquer la journée pour les curieux qui n’avaient jamais vu le quatuor français, les habitués préviennent que le concert est en fait bâti comme un spectacle humoristique, et qu’à ce titre, les blagues se répètent exactement d’un concert à l’autre.

Gros changement d’ambiance avec Nature Morte, qui, comme son nom l’indique, ne respire pas la joie de vivre. Sous le chapiteau de la Massey Ferguscène, le combo délivre une musique entre black metal, shoegaze et post-rock. C’est extrêmement beau, un peu planant, mais aussi vraiment déprimant, et si le groupe mérite d’être connu, il n’est pas forcément à mettre entre toutes les oreilles.

Schammasch 

Dave Mustage, 15h55

Place au groupe suisse de black metal d’avant garde sur la scène principale en cette après-midi ensoleillée. Le spectacle qui se prépare aurait sans doute mérité un horaire plus tardif, ne serait-ce que pour mettre en valeur l’aspect cérémonial du show de Schammasch. Le backdrop représente un serpent et un triangle, éléments classiques du groupe depuis ses débuts en 2010 avec l’album Sic Lvceat Lvx, des toiles sont tendues sur les côtés de la batterie. Les tenues des musiciens, noires cousues de motifs dorés, et les visages et les mains peints en noir des deux guitaristes et vocalistes C.S.R. et M.A., font leur effet lors de leur entrée silencieuse et solennelle sous les applaudissements des connaisseurs et des curieux, nombreux aujourd’hui compte-tenu de l’horaire.

Le set est d’emblée très prenant et fascinant par le mur de son créé par les trois guitaristes. Le chant de C.S.R. se fait menaçant mais passe également par le chant clair, lançant des incantations sur des moments plus lents alternant avec des passages d’une rare violence. La solennité du moment repose également sur l’attitude statique des deux chanteurs, présences centrales fantomatiques, entourés du troisième guitariste et du bassiste qui eux se montrent plus expressifs et se lancent dans des headbangs.

Le set se poursuit de façon magistrale, les morceaux variés permettant de montrer toute la richesse de l’esthétique de Schammasch, avec des instrumentations complexes et nuancées, comme notamment l’excellent "Rays Like Razors" issu de Hearts Of No Light, le dernier album en date (dont la tournée de promotion a été écourtée début 2020), ou encore "Metanoia", où le chant clair des deux vocalistes s’allie pour le mieux avec une rythmique démente. Les lignes hypnotiques de guitares et les cris se muent enfin en chœurs avant que les musiciens, l’un après l’autre, ne partent vers la batterie pour déposer leur instrument avant de venir saluer le public sans un mot. Les applaudissements chaleureux montrent à quel point les festivaliers, avertis ou non, ont su apprécier la rareté du moment et la qualité de ce que Schammasch vient d’offrir. Rendez-vous début 2023 pour plusieurs dates françaises en compagnie de Harakiri for the Sky !

20 Seconds Falling Man

Massey Ferguscène, 16h45 

20 Seconds Falling Man est un groupe nantais de post-hardcore mélodique, faisant partie de la dernière salve de groupes ajoutés à l’affiche suite à des annulations récentes (celle du combo belge Brutus, en occurrence ici). Le son n’est pas optimal pour le début du set mais le combo impose d’emblée des rythmiques et riffs bien pesants, tout en variant les atmosphères. Le vocaliste Arno alterne entre des screams écorchés et du chant clair en passant par des chuchotements ou des spoken words bien énervés.

Les musiciens semblent habités et inspirés, et signent une réalisation très convaincante musicalement, navigant dans des univers atmosphériques, groovy, ou new wave par moments. Le premier album studio du combo, VOID, est sorti en 2021. Le bassiste et les guitaristes (parmi lesquels on peut reconnaître Gru, l’ancien bassiste d’Ultra Vomit) headbanguent, lèvent les mains, et interagissent beaucoup avec le public, en nombre et très réactif pour l’horaire.

Le vocaliste quant à lui, comme en transe, interprète les titres avec une intensité admirable. Les passages screamés manquent parfois de lisibilité et de clarté (les problèmes de micro persistant malheureusement une bonne partie du set) mais les parties en chant clair mettent vraiment en valeur les compositions tout en transmettant des émotions. Quelle meilleure conclusion que les applaudissements chaleureux de la Massey pleine ? C’est une mission accomplie pour 20 Seconds Falling Man, un groupe à suivre.

Lost Society

Dave Mustage, 17h35

Le groupe finlandais attaque son concert dans le chapiteau principal de la Dave Mustage pas encore extrêmement rempli. Les musiciens sont pourtant acclamés au fur et à mesure de leur arrivée sur scène. On a d’ailleurs une idée de ce que le batteur Tapani Fagerström ira voir plus tard, puisqu’il arbore un tee-shirt de Vader.

Le quatuor attaque son thrash énervé assez mélodique, avec même des accents très pop par moments – cela s’entend dès le refrain du premier morceau. Celui-ci alterne des couplets très rapides et agressifs avec un refrain qui ralentit le tempo, et presque des influences neo-metal par moments. Ça joue bien, mais la voix du chanteur guitariste Samy Elbanna ne s’entend quasiment pas – ce n’est hélas pas le premier groupe du week-end à qui cela arrive sur les deux scènes principales.

Qu’importe, le frontman demande « le premier wall of death de la journée » et le public s’exécute lorsqu’il fait ouvrir la foule en deux. C’est à propos, puisque le deuxième morceau est particulièrement énervé, et la poussière vole vraiment haut et loin, asphyxiant une bonne partie de la fosse. Cela sera d’ailleurs le cas sur une bonne partie du concert.

Ce qui semble semble ravir le chanteur, et lui rappeler son précédent passage au Motocultor. « C’était un de mes shows les plus fous, et j’ai l’impression qu’aujourd’hui va l’être encore plus ». En effet, le pogo est enragé, et le groupe va alterner durant tout le set entre des morceaux particulièrement agressifs et d’autres à la sensibilité plus pop, au chant clair, mais toujours dynamiques. Les chansons dans lesquelles les deux tendances se mêlent fonctionnent particulièrement bien, notamment lorsque le groupe attaque un titre à la vibe très pop en chant clair, jusqu’à ce que le chanteur pousse des hurlements sur le refrain, qui sonnent presque metalcore.

Lost Society offre aussi une ballade un peu facile mais plutôt prenante, même s’il est dommage que la majeure partie des instruments soient sur bande enregistrée pour l’occasion – des cordes, et surtout une guitare acoustique, alors que le groupe compte deux guitaristes. Ceux-ci (Elbanna et Arttu Lesonen) offrent pourtant un double solo, tous deux jouant exactement la même partie, avant que le chanteur ne le conclue seul. Le set se termine sur un morceau puissant au refrain catchy durant laquelle la foule continue de se déchainer. Les Finlandais ont manifestement conquis les esprits.

Regarde les Hommes Tomber

Massey Ferguscène, 18h30

Le jeu de mots est facile, mais s’impose comme une évidence : le combo français Regarde les Hommes Tomber est en pleine ascension depuis la sortie de son troisième opus … Ascension, et la signature avec le label Season of Mist. Le quintet de post black / post metal enchaîne les dates de concerts cet été et semble fort attendu en cette fin d’après midi à Saint Nolff.

Comme à leur habitude, les musiciens sont vêtus de noir, le visage grimé, tandis que le vocaliste T.C. entame le set la tête couverte d’un long foulard noir. Semblant complètement habité, il se lance dans une interprétation écorchée et puissante du morceau éponyme du dernier opus, tandis que le reste du groupe joue fort, très fort, créant ce mur de son caractéristique qui semble aussitôt happer le public dans un état second. L’album Ascension sera largement représenté dans la setlist, avec deux morceaux issus du précédent opus Exile (2015) dont l’énorme "To Take Us".

La rythmique enlevée, les riffs et les lignes de basse ont une portée organique, faisant ressortir à la fois beaucoup d’intensité mais également de la rage et une certaine solennité. Avec RLHT, l’accent est mis sur les sensations et les émotions, ce qui passe par la force brute des compositions, le chant expressif, souvent crié mais parfois en incursion dans le clair, mais également une esthétique travaillée. Tout participe à la mise en place de cette atmosphère captivante, des maquillage aux attitudes des musiciens, T.C. en tête, jusqu’aux jeux de lumières.

Les lignes de guitares signées A.M. et J.J.S. sont impeccables, impressionnantes de précision, tandis que le son est peut-être un peu moins bien réglé pour le chant – chose que nous avons déjà remarquée plus tôt sur la même scène. Les musiciens semblent investis dans leur set, l’air grave, et le public de son côté, semble apprécier le set si l’on en juge par la foule présente qui communie avec le groupe, réagit et lance de nombreux slams. Le temps passe à toute allure et de nombreuses personnes semblent déçues quand arrive la fin de ce moment de puissance écorchée. Une belle claque que cette prestation de toute beauté !

Regarde Les Hommes Tomber setlist :

- Ascension
- A New Order
- The Renegade Son
- To Take Us
- Stellar Cross
- The Incandescent March
- Au Bord du Gouffre

TesseracT

Dave Mustage, 19h25

Il n’y a pas foule avant le début de la prestation de TesseracT, et le groupe britannique commence en retard. Les cinq musiciens finissent tout de même par entrer sur scène un par un, et après quelques arpèges de guitare claire, le chanteur Daniel Tompkin se met à screamer tandis que les deux guitaristes (Alec « Acle » Kahney et James Monteith) font entendre un jeu saccadé, qui enchaine plusieurs changements de rythme en un court laps de temps. Le chanteur passe ensuite sur une voix claire, presque suave – pour un peu, on croirait du emo.

Le combo de metal progressif joue d’emblée un triple morceau, « Concealing Fate », issu du premier EP éponyme. Les changements de rythme abondent, et les ambiances se multiplient. Les parties très agressives, où le chant saturé et les murs de guitare prédominent, avec un son très saturé, assez saccadé, des cavalcades de batterie et des éléments de djent, laissent la place à des arpèges de guitare claire, du chant beaucoup plus mélodique et des passages adoucis voire aériens. L’agressivité prédomine suffisamment pour que le chanteur demande l’ouverture de la fosse pour lancer un pogo avant le début de la troisième partie.

« C’est notre dernier concert, annonce-t-il ensuite. Est-ce que vous voulez entendre un nouveau morceau ? ». « Natural Disaster » commence par un long scream et une instrumentation puissante, avant que la voix du chanteur ne se fasse plus éthérée. La basse est très en avant tout au long de la chanson, et là aussi, les changements d’ambiance sont légion, ce qui se perpétue sur l’ensemble des chansons. Le morceau suivant est très groovy jusqu’au refrain qui devient plus aérien. Sur l’ensemble du set, le chanteur est très agité, se perche sur les praticables, saute les bras en l’air, et le public a globalement l’air convaincu. TesseracT aura offert une dose de metal progressif de fort bonne tenue, même si ce n’est pas forcément la prestation qui se sera le plus démarquée.

Setlist :

Concealing Fate, Part 1: Acceptance
Concealing Fate, Part 2: Deception
Concealing Fate, Part 3: The Impossible
Natural Disaster
Dystopia
Of Mind - Nocturne
King
Juno

Juste après TesseracT, les Irlandais de God Is An Astronaut prennent possession de la Massey Ferguscène, le chapiteau voisin. Leur rock progressif instrumental reste très planant, avec un son tantôt très massif, tantôt plus aérien, parfois assez nerveux, et des changements d’ambiance au sein même des morceaux. Le post rock du quatuor prend parfois des teintes space rock ou presque psychédéliques et permet de passer un moment très atmosphérique.

La Bruce Dickinscène a pris des couleurs très punk ce samedi, et en début de soirée, les Parisiens des Wampas font joyeusement s’agiter le public ravi de pouvoir pogoter sur des rythmes punk et rockabilly. Chaude ambiance.

Alcest

Dave Mustage, 21h20

Aucune introduction particulière, aucun cérémonial, aucun effet n’est déployé pour l’arrivée d’Alcest sur scène. La discrétion et l’humilité apparentes du quatuor faisant partie des grands noms du metal français, et disons-le également, l’aura de Neige, suffiront à déclencher une ovation sous la tente pleine, à laquelle le frontman répond d’un timide sourire de reconnaissance avant de débuter le set.

Les deux morceaux d’ouverture "Protection" et "Sapphire", entames lentes et envoûtantes, sont issus du sixième et dernier album du groupe, Spiritual Instinct. La complémentarité s’impose comme mot d’ordre ce soir : complémentaires d’abord, le chant clair délicat souligné de passages aériens, et les hurlements du leader sur les accélérations black intenses. Complémentaires également, complices sans avoir besoin de se regarder, les deux musiciens Neige et Zéro, aux chants et aux guitares. Leurs timbres se mêlent lors des moment éthérés et mélodiques suspendus comme dans le somptueux "Ecailles de Lune – Part 2" (figurant sur l’album du même titre, qui fera d’ailleurs l’objet d’une tournée anniversaire en salles cet hiver pour ses 10+2 ans).

La mélancolie, l’émotion et les nuances jaillissent de chaque accord de guitare, embarquant la Dave Mustage, réceptive et convaincue, dans des moments d’écoute et de contemplation assez incroyables. Sur les passages doux à la portée quasi spirituelle, le public chante avec les musiciens ("Autre Temps", "Kodama"), tandis que les têtes s’agitent sur les accélérations punitives de la batterie signées Winterhalter, aux sonorités quasi tribales ("Delivrance") ou sur les passages de riffing plus durs mais mélodiques sur lesquels le son de basse ressort nettement ("Kodama"). La fumée s'épaissit et on ne distingue que les silhouettes des musiciens, très peu éclairés comme à leur habitude, mais le sourire de Neige en dit long lors des quelques interactions avec le public acquis à sa cause ("Vous êtes vraiment incroyables"). Ce moment rare de communion s’achève, sans doute bien trop tôt, sur des vibrations prolongées de guitare. Faisant mentir les a priori, pendant cette parenthèse hors du temps, Motocultor et poésie ont fait très bon ménage.

Setlist Alcest :

- Protection
- Sapphire
- Ecailles de Lune – Part 2
- Autre temps
- Oiseaux de Proie
- Kodama
- Delivrance

Photos Alcest : Thomas Orlanth (pour Among the Living) et Lil'Goth Live Picture.

Eisbrecher

Massey Ferguscène, 22h20

Changement d’ambiance radical après le show planant d’Alcest. Les Allemands d’Eisbrecher sont là pour faire danser les foules en ce samedi soir. C’est assez plein lors de l’arrivée du quintette qui se fait acclamer, et le chanteur Alexx Wesselsky monte sur l’estrade de la batterie pour faire encore augmenter les applaudissements.

Après des sonorités électroniques enregistrées, il lance une musique très entrainante, avec beaucoup d’éléments electro et indus. Eisbrecher appartient à la mouvance de la "Neue Deutsche Härte", littéralement nouvelle dureté allemande, aussi dénommée dance metal. Cela décrit parfaitement la musique du quartette. Les rythmiques sont très marquées, souvent martiales, portées par une section rythmique entrainante (le batteur Achim Färber et le bassiste Rupert Keplinger), des claviers très en avant aux sonorités très dansantes, mais aussi des éléments indus très présents et des guitares (Noel Pix et Jürgen Plangger)  qui appuient le côté rythmique.

Cela sent clairement l’ersatz de Rammstein, mais en plus festif, avec quelques passages assez chaloupés. C’est très bien exécuté, et le public s’y laisse prendre avec plaisir en se déhanchant frénétiquement. Les slams pleuvent, y compris très loin de la scène, mais cela semble compliqué ce soir : de nombreux participants se retrouvent littéralement balancés plusieurs mètres plus loin par des spectateurs qui manifestement n’ont soit pas la technique soit pas l’envie de subir des slammeurs au-dessus de leurs têtes.

Le chanteur fait l’effort de parler en français presque systématiquement. « Nous sommes les Eisbrecher de l’Allemagne ! » présente-t-il le groupe après le premier morceau. « Après deux ans de merde, c’est ça que je veux voir», commente-t-il devant les réactions déchainées du public. On ne comprend pas toujours tout – il sera à un moment question de "prototype" – mais l’effort est plus qu’appréciable. En plus de cela, le frontman arpente la scène, quand ses comparses restent relativement statiques.

La soirée clubbing improvisée suit joyeusement son cours, avec toujours ses rythmiques très martiales. Le groupe apporte quelques variations, notamment sur les rythmes, parfois avec un peu de hip-hop, de l’electro plus hardcore, et même le chanteur à l’harmonica pour un extrait d’un classique américain. Mais l’objectif reste toujours de faire bouger la foule. « Je pense que la musique c’est l’internationale », assure le vocaliste vers la fin du concert. Qu’il conclut par un « Restez fous ! Gracias ! ». Difficile de désapprouver.

Cult of Luna

Dave Mustage, 23h15 

Le post metal nébuleux de Cult of Luna prend aux tripes, et ce soir ne fait pas exception. Le groupe suédois ne parle qu’un langage, celui de la puissance, des émotions à vif, et s’exprime uniquement par ce mur de son énorme projeté vers le public. Impossible d’en ressortir indemne. En dépit de l’obscurité ambiante, la présence et le charisme de Johannes Persson sont perceptibles à chaque seconde. Le fondateur du groupe et guitariste est ce soir l’unique chanteur, aucun titre joué ce soir ne comporte en effet de chant clair, habituellement assuré par le second guitariste Frederik Kihlberg. Il faut dire que la scène est plongée dans l’ombre, copieusement arrosée de fumée, à tel point qu’on ne distingue que les silhouettes des musiciens dans les somptueux jeux de lumières colorées. Sans un mot, mais extrêmement mobile, le mystérieux maître de cérémonie incite le public à entrer en communion avec le groupe.

Les morceaux joués ce soir sont des concentrés de force et d’intensité : "Cold Burn" et "Blood Upon Stone", tous deux issus du récent The Long Road North, ouvrent et concluent magistralement la setlist du soir. Sur ces titres longs et complexes de plus de dix minutes, les hurlements de Johannes, les riffs et la basse vrombissants et la rythmique phénoménale emportent tout sur leur passage. Sur certains morceaux, la démonstration de force prend tout son sens avec le ballet synchronisé de deux batteurs (Magnus Lindberg et Thomas Hedlund), qu’on aurait cependant souhaité mieux voir. Les nuances sont plus perceptibles avec les morceaux issus de Vertikal (2013), le plus contemplatif "In Awe Of" étant introduit par les quelques notes de claviers de l’interlude "Disharmonia". L’excellent album A Dawn To Fear (2019) est quant à lui représenté par le superbe "Nighwalkers" et ses boucles hypnotiques de guitare et de basse.

C’est déjà la fin de ce moment de grâce, et le public du Motocultor a l’air soufflé par cette déferlante de puissance qui vient de s’abattre sous la Dave Mustage, mais aussi complètement abasourdi que les 55 minutes soient passées aussi rapidement. On retrouvera Cult of Luna très prochainement en France pour la tournée de promotion de The Long Road North (en octobre 2022 puis en mars 2023).

Setlist Cult of Luna : 

- Cold Burn
- Nightwalkers
- I : The Weapon
- Disharmonia
- In Awe Of
- Bood Upon Stone

La soirée punk monte en intensité sur la Bruce Dinckinscène, et alors que la soirée est déjà bien avancée, c’est Sick Of It All qui y met le feu. Le groupe de hardcore américain fait assurément du bruit. Si le public a l’air d’apprécier, il n’est cependant pas aussi déchainé que la musique enragée du combo new-yorkais aurait pu laisser présager. Il faut croire qu’il se fait tard.

C’est assurément deux salles deux ambiances pour l’avant-dernier concert de la journée. Face au rituel liturgique de Batushka, Perturbator propose une synthwave ultra dansante qui monte en intensité. Mais il ne s’agit pas d’une simple musique bonne à passer dans des clubs alternatifs. Le Parisien, en duo sur scène avec un batteur, développe de véritables ambiances cinématographiques sur ses morceaux, alternativement au clavier et à la guitare. Il est pour cela aidé par un jeu de lumières très réussi à base de néons. L’ambiance monte jusqu’à la fin du concert, et sur les derniers titres, les spectateurs s’agitent jusqu’au fond de la tente de la Massey Ferguscène, pleine à craquer. Mais le plus improbable restera probablement une bonne partie du public en train de s’enjailler sur « Chef un p’tit verre on a soif », diffusé dans la sono après le concert du musicien, conclu avec cinq minutes d’avance. Le Motocultor a vraiment l’art du mélange des genres.

Krzysztof Drabikowski's Батюшка (Batushka)

Supositor Stage, 00h20

Inutile d’évoquer les débats sur les affaires en justice. Pour savoir à «quel Batushka» nous avons affaire, il suffit de laisser parler la musique et le talent qui sont bien présents ce soir à Saint Nolff. Le groupe mené par l’artiste polonais Krzysztof Drabikowski, guitariste et fondateur de la formation d’origine Batushka, investit la scène en silence. L’arrivée des sept musiciens aux visages masqués, pieds nus et vêtus de longues toges noires brodées, se fait dans une ambiance solennelle, à la lueur des cierges disposés partout sur la scène. Le décor reprend des éléments de l’iconographie chrétienne orthodoxe, un cercueil en guise d’autel figure au centre de la scène, quant au backdrop, il représente un cimetière arboré, de nuit. Une scénographie du plus bel effet, idéalement placée au cœur du décor forestier entourant la fosse de la Supositor Stage.

Le black metal proposé par Batushka retentit dans toute ses nuances, par la rythmique intense, les riffs de guitares acérés et les chants solennels, assurés par un vocaliste principal soutenu par deux choristes et le frontman. La setlist est identique à celui du concert donné à Paris quelques jours à peine avant le début du premier confinement en 2020, puisque l’album Панихида (Panihida), sorti en 2019, est joué en entier, ainsi qu’un extrait issu de l’album du projet d’originie Litourgiya (2015).

Les jeux de lumières tendent vers le rouge puis le bleu, renforçant l’intensité du moment, et les morceaux redoutables s’enchaînent avec un groove impressionnant contrastant avec l’attitude statique et imperturbable des musiciens. Le vocaliste principal, au chant clair et aux cris impeccables, s’exprime par des mouvements de bras et va même lancer un clapping bien suivi par le public. Dans la fosse bien remplie de la Supo, les têtes balancent et l’écoute se fait quasi religieuse.

Quelques transitions un peu longues et maladroites mises à part, c’est un excellent rituel qu’a proposé ce soir la bande de Krzysztof Drabikowski, qui semble avoir également apprécié le moment, choisissant de déborder allègrement sur le planning prévu. Ces prolongations sous une nuit étoilée donnent à cette cérémonie un caractère vraiment mystique, et quand les musiciens quittent la scène, le frontman descend dans la fosse (rappelons qu’il est toujours pieds nus) distribuer des cierges dans les premiers rangs et bénir son public enthousiaste.

Apocalyptica

Dave Mustage, 1h15

Ce samedi soir, Apocalyptica clôture la journée sur la scène principale. Il y a du monde, mais nettement moins que pour d'autres têtes d'affiche, Powerwolf et Behemoth en tête. Il faut dire que le positionnement singulier du groupe, tout en ayant un son moins violent que les autres formations metal - et pour cause, il joue essentiellement avec des violoncelles - porte une proposition artistique singulière qui ne parle pas à tout le monde.

Les Finlandais se font un peu désirer et arrivent sur scène avec quelques minutes de retard. Les trois violoncellistes (Paavo Lötjönen, Eicca Toppinen  et Perttu Kivilaakso) s'installent sur le devant de la scène, le batteur Mikko Sirèn derrière eux.

Ils attaquent d'emblée « Ashes of the Modern World », l'un des morceaux du dernier album, Cell-0. Celui-ci a marqué un véritable retour aux sources pour les Finlandais, qui après plusieurs albums avec du chant se rapprochant plus d'un métal mélodique ordinaire, ont repris la voie de la musique instrumentale où les violoncelles prennent toute leur place.

Et cela s'entend dans ce titre. Les violoncelles émettent des sonorités extrêmement étranges, parfois très saturées, très distordues. D'ailleurs, les trois instruments à corde jouent rarement la même partie. Tandis que l'un a un son qui évoque vraiment une guitare saturée, l'autre va avoir un son plus grave, proche de la basse, quand le troisième va offrir encore d'autres variations. Mais ils ne gardent pas le même rôle tout au long du set, passant de sons très métalliques à d'autres plus expérimentaux à quelque chose de plus suave, plus habituel de la part d'un violoncelle.

Les musiciens arrivent à faire le show même avec des instruments aussi encombrants. Ils bougent sans cesse, font des duels face à face, se déplacent sur scène avec leur instrument quand ils ne jouent pas pour aller haranguer le public et le faire taper des mains, allant parfois jusqu'à courir d'un côté à l'autre de la scène. Le batteur est donc le seul véritablement statique, mais son instrument s'intègre parfaitement au trio de cordes, soulignant encore plus la force qu'ils véhiculent.

Sur le troisième titre, il s’approche du bord de la scène pour lancer l’introduction juste avec une cymbale, les violoncelles entament un son tout doux avant que la musique ne s'énerve et que le batteur ne regagne ses fûts. L'un des violoncellistes se met à frapper ses cordes avec son archet - le violoncelle n'est pourtant pas un instrument à cordes frappées.

Au bout de quelques morceaux, le chanteur américain Franky Perez arrive sur scène pour interpréter « I’m Not Jesus », avec Eicca Toppinenqui qui fait les chœurs et même la seconde voix. Le chanteur va faire plusieurs allers-retours sur les morceaux qui suivent, et cela correspond un peu au coup de mou du concert. Ça reste bien exécuté, mais fatalement, la voix phagocyte un peu le son des cordes, et si celles-ci continuent de sortir des sons semblables à des guitares saturées ou claires, cela perd de son originalité avec du chant.

Le combo interprète trente secondes de "Killing In The Name Of", et on regrette qu'il ne joue pas le morceau entier, car s'il a été repris ad nauseam, aux dernières nouvelles, avec des violoncelles, c'est la première fois. Le chanteur finit son intervention sur "I Don't Care", à l'origine chanté avec les Finlandais par Adam Gonthier de Three Days Grâce, et une bonne partie du public reprend en chœur, preuve que les morceaux chantés du groupe ont quand même eu un succès non négligeable.

Place ensuite au plus grand succès du groupe, même si ce n'est pas une de ses compositions : "Nothing else Matters" de Metallica, le titre qui a fait connaître Apocalyptica. Pour le coup, les violoncellistes restent sagement assis, et le public reprend en chœur le refrain - bien que le moins qu'on puisse dire, c'est que tout le monde n'est pas exactement ensemble. Le groupe enchaîne quelques autres titres des Four Horsemen, plus énervés et saturés, dont "Seek and Destroy", sur lequel Eicca Toppinen chante certains passages. Perttu Kivilaakso se met même à jouer du violoncelle sur sa tête, puis s'allonge sur le sol et cale son instrument sur ses genoux et ses pieds pour en jouer.

La fin du concert approche. "Durant ce festival vous avez entendu du black metal, explique le frontman. Eh bien nous allons vous jouer un vieux morceau de black metal». Le groupe attaque alors un morceau très grave, profond, qui prend aux tripes, avant que l'ensemble ne s'emballe, mené par une grosse caisse qui accélère, et que l'ensemble ne se sature et se distorde intensément. Apocalyptica a donné un très bon concert, moins spectaculaire que les autres têtes d'affiche, mais singulier et prenant pour qui adhère à ce style particulier.

Alors que le concert d’Apocalyptica est fini depuis longtemps et qu’il est l’heure d’aller dormir, les infatigables Ramoneurs De Menhirs continuent de retourner la Bruce Dickinscène avec leur punk pumpé à la cornemuse. Une façon endiablée de finir la soirée, et qui résume bien l’esprit du Motocultor, avec un mélange de musiques extrêmes et de sonorités locales.

Textes : Aude D, Julie L
Photos : Thomas Orlanth pour Among the Living (Alcest), Lil'Goth Live Picture. Toute reproduction interdite sans l'autorisation des photographes.

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