2023 est décidément l’année Hypno5e : fort d’un nouvel album, l’excellent Sheol sorti en février, le groupe de metal progressif et cinématique s’est lancé dans une grande tournée à travers toute la France avant d’enchaîner avec des festivals estivaux. Toute ? Non ! La capitale, peuplée d’irréductibles fans, manquait à l’appel suite au report de la date initialement prévue en mai. L’impatience se fait donc sentir ce soir du côté du Trabendo, paré pour enfin accueillir le groupe comme il se doit.
Ckraft
Le jeune combo français Ckraft propose une fusion jazz-metal instrumentale fascinante, à grands coups de montées en puissance et de contrastes entre mélodie et distorsion. L’originalité du concept tient dans l’association inédite du combo guitare-basse-batterie au saxophone ténor de Théo Nguyen et à l’accordéon électrique de Charles Kieny. Les lumières stroboscopiques mettent en avant les différents musiciens, qui rivalisent de virtuosité pour des moments de soli assez fous créant une ambiance musicale singulière marquée par des effets de dissonance et un penchant pour la déconstruction. Cela ne s’invente pas, le premier album du groupe, sorti en 2022, s’intitule Epic Discordant Vision...
La fosse est déjà bien remplie pour l’atypique quintette, et les amateurs de metal apprécient les moments puissants qu’offrent les artisans/alchimistes de Ckraft, si l’on en croit les hochements de têtes répandus dans la fosse de la salle parisienne. Des moments jazzy un peu fous débouchent sur des passages où technicité et distorsion soufflent l’assemblée à coups de riffs ravageurs et de rythmiques épileptiques à la Meshuggah. Même si on n’entend pas toujours bien l’accordéon, surtout sur les lignes partagées avec le sax, les associations audacieuses proposées par le groupe ont su séduire ce soir. C’est en tout cas avec un grand sourire que Charles, visiblement ravi de l’accueil réservé par le Trabendo, offre des remerciements au staff, à Hypno5e et au public, avant de laisser la scène aux techniciens pour accueillir la tête d'affiche du soir.
Hypno5e
Le Trabendo est bondé lors de l’arrivée du quartette sur scène sur la piste d’introduction "Sheol Part I" issue du dernier opus du même titre, sorti en février cette année. D’emblée, Emmanuel Jossua s’impose en patron, par sa présence et sa force tranquille, et les lignes de guitare évocatrices qu’il partage avec son complice Jonathan Maurois. Omniprésent et impressionnant de justesse sur le chant, navigant entre puissance et délicatesse, le frontman délivre une prestation habitée et saisissante.
Les compositions d’Hypno5e, pleines de contrastes, de ralentissements et de déflagrations, de délicatesse et de chaos, sont particulièrement mises en valeur ce soir par un son exceptionnel. Le chant est très bien mixé, en clair comme pour les screams. Tout est mis en valeur sans qu’aucun instrument ne prenne le pas sur les autres ou la voix.
La section rythmique, composée des nouveaux venus Charles Villanueva (basse) et Pierre Rettien (batterie) est vraiment dynamique et précise ce soir, et les compositions récentes (l’ouverture avec "Sheol Part II") comme plus anciennes ("Maintained Relevance of Destruction Part II") résonnent de façon impeccable. Le lightshow n’est pas en reste, avec de nombreux jeux des néons et des spots situés à l’arrière de la scène, les tableaux s’enchaînent, créant des atmosphères colorées et mystérieuses, collant parfaitement à toutes les nuances des morceaux.
Difficile d’identifier la pièce maîtresse du set, car tous les morceaux se révèlent des expériences à part entière, plongeant le public dans une immersion bienvenue. On peut citer l’épique "Tauca, Pt.II", à l’introduction éthéré avant l’attaque presque black de blast beat et le cri écorché d’Emmanuel qui, après un final monstrueux, conclut le titre seul sur scène porté par un simple accompagnement de cordes, pour un moment poignant.
Parlons encore de "Lava From the Sky", sur lesquels la caresse calme de la mélodie se mue en breakdowns énormes. Les passages les plus lourds qui marquent la fin du set ne font que confirmer cette impression contradictoire de déferlement de puissance et de maîtrise poétique : la fosse s’agite irrémédiablement sur "Slow Streams of Darkness" ou l’énorme entame de "Acid Mist Tomorrow".
Du côté de la fosse, le public semble conquis, et si beaucoup planent, les yeux fermés, d’autres semblent attendre les explosions de puissance pour s’adonner à un cathartique pogo. On a beau être en octobre, les températures sont toujours estivales, ce qui peut expliquer la chaleur ambiante mais surtout l’enthousiasme bruyant et parfois excessif de certains membres du public, qui s’imaginent probablement encore dans la fosse d’un certain festival clissonnais : on ne pensait pas voir cela, mais des gobelets volent, des cris d’intellectuels fusent – y compris sur les moments les plus calmes – et certains pogos dégénèrent en stagedive, alors qu’il n’y a aucune barrière de sécurité, et que la musique d'Hypno5e ne se prête guère à l’exercice.
L’imperturbable combo réussit toutefois à mettre tout le monde d’accord, par exemple lorsque des chants s’élèvent sur l’émouvant "Central Shore : Tio" ou les parties tout en douceur de l’incroyable "Lava From the Sky". Quelques remerciements de la part d'Emmanuel et il est déjà l’heure de se quitter, après un set d’une qualité sonore et visuelle remarquable, complètement à la hauteur de la réputation du groupe. En cette soirée d’automne, le public parisien a été récompensé de sa patience de la meilleure des manières.
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