Du melodeath, du death, du gothique pour cette soirée très diversifiée. Dark Tranquillity, venu faire un panorama complet de sa carrière, était accompagné pour l’occasion de Moonspell, Wolfheart et Hiraes.
Les premiers spectateurs à avoir acheté leurs billets ne s'attendaient pas à voir Dark Tranquillity au Bataclan. En effet, la soirée était initialement prévue dans la petite salle de la Machine du Moulin Rouge (800 places), mais le show ayant été complet très vite, il se tient finalement dans la salle plus spacieuse du Bataclan (1700 places). Il est d'ailleurs également complet au final.
Hiraes
Le public arrive doucement quand attaque Hiraes. Le groupe allemand joue un death metal très agressif, assez dévastateur, de prime abord sans beaucoup de variations, tous blasts dehors. Le groupe se qualifie de melodeath, mais on cherche le « melo » dans les premiers morceaux.
Le public réagit bien à la musique du quintette enragé, composé d’anciens membres de Dawn Of Disease et mené par la chanteuse Britta Görtz. Celle-ci communique régulièrement avec la salle et se retrouve plusieurs fois juchée sur la barrière du pit photo à serrer des mains, alors que les photographes ne sont pas encore partis. Elle est d'ailleurs assez impressionnante vocalement, avec un growl ultra agressif mais aussi quelques petits passages en voix claire et des vocalises extrêmement étranges.
Les derniers morceaux du set ont un peu plus de relief, avec une mélodie un peu plus marquante notamment sur « We Owe no one ». Sur l’ultime chanson, « Undercurrent », assez intéressante aussi, la frontwoman réussit à faire taper une bonne partie du public dans ses mains. Après cinq morceaux, essentiellement issus du second opus Dormant, paru en 2024, Hiraes tire sa révérence, laissant un public déjà très chaud.
Wolfheart
Trois crânes de cervidés, deux grands panneaux avec crâne stylisé, des os sur la batterie... Wolfheart maîtrise bien l'esthétique pagan à tendance archéologique. Le quatuor finlandais propose une musique efficace, assez épique, mais qui ne se démarque pas forcément par son originalité. Les nombreuses nappes de clavier enregistrées donnent une tonalité à la fois épique et artificielle à l'ensemble. Même des passages introductifs de guitare acoustique sont enregistrés.
Les musiciens ont cependant de l'énergie. Les guitaristes Vagelis Karzis et Tuomas Saukkonen et le bassiste Lauri Silvonen montent sur les praticables pour haranguer la fosse. L'ensemble est relativement agressif - nettement moins que Hiraes - tout en restant globalement mélodique et très entraînant. Les morceaux varient les rythmes, certains mid tempo, d'autres très rapides avec de la double pédale de Joonas Kauppinen en prime. Tuomas Saukkonen, chanteur principal, alterne entre chant saturé et chant clair relativement éraillé.
Le public semble apprécier le set. Le fondateur Tuomas Saukkonen demande qui connaissait déjà le groupe, et, devant le peu de réponses positives, fait malicieusement remarquer que le stand de merch est au fond de la salle. Avec sept albums en une dizaine d’années d’existence, il y a de quoi vendre des disques et d’autres babioles. Le premier pogo éclate sur l'avant-dernier morceau, et alors que le frontman présente l'ultime titre, « Grave », comme "le plus rapide de la soirée", le moshpit repart de plus belle sur celui-ci. Le groupe aura livré une prestation agréable, même si pas forcément très mémorable, qui aura encore un peu plus chauffé l'auditoire.
Moonspell
Changement d'ambiance et de dimension avec le troisième groupe de la soirée. Les Portugais de Moonspell officient en effet depuis 25 ans dans un metal gothique qui selon les époques a pu lorgner vers le doom, le black, le dark metal voire l’avant-garde.
Après une confirmation par un technicien sur scène que c'est bon, on peut éteindre les lumières, le noir se fait et le groupe entre en scène devant son back drop de pleine lune – logique, pour jeter des sorts sous la lune. Les cinq instrumentistes se placent avant l'arrivée du vocaliste Fernando Ribeiro, vêtu d’un pantalon en cuir et d'une étrange veste noire pelucheuse, qui donne presque l’impression d’être en lambeaux.
" Salut Paris" lance-t-il avec un gros accent portugais, en attaquant « Opium », classique tiré du deuxième album Irreligious. Le très beau morceau met tout de suite dans le bain, avec une voix veloutée qui se pare d'incises très saturées, et des passages quasi parlés au milieu.
Le groupe déroule son metal gothique, qui s'enrichit au gré de titres de mélodies orientales, (le clavier de "Breath (Until We Are no more)"), d’ambiances extrêmement théâtrales (« Awake », encore tiré d’Irreligious) et de passages avant-garde (on note au passage l’intro de batterie presque disco de « The Future Is Dark »). D’autres titres sont d’une efficacité à toute épreuve (« Abysmo » ou « Extinct », par exemple). Les morceaux forment un ensemble homogène, mais il y a beaucoup de diversité d'un morceau à l'autre, voire au sein d'un même morceau. L'ensemble est superbe, très mélodique, avec une ambiance souvent sombre, gothique, mais pas non plus dépressive, entrecoupée de parties plus agressives. Le rythme est globalement enlevé. En moins d’une heure, difficile de passer au crible l’intégralité d’une discographie riche de douze albums studios. Moonspell en a choisi sept, dont les trois premiers, emblématiques, et trois des années 2000, mais ne propose rien de plus récent que 2015.
Le chanteur use sa voix de diverses manières, à l'instar du premier morceau, passant avec agilité d'un registre à l'autre. Très charismatique, il est assez loquace entre les morceaux. Il lance pourtant assez tôt « Je ne parle pas assez bien français pour engager avec vous une conversation mais nous sommes très heureux de jouer à Paris, la ville lumière. Amusez-vous, merci beaucoup, muito obrigado". Le frontman, qui nous confiait récemment avoir appris le français à l'école, continuera pourtant de s'exprimer dans un français tout à fait correct, alternant toutefois avec l'anglais. Il adressera même un message en portugais aux lusophones de la salle. Les autres musiciens (Hugo Ribeiro à la batterie, Pedro Paixão au clavier, Ricardo Amorim à la guitarer et Aires Pereira à la basse), bien que plus discrets, interagissent aussi avec le public, et sans verser dans de grandes démonstrations techniques, chacun est tour à tour mis en valeur.
La scénographie est sobre, une grande lune en backdrop, de jolis jeux de lumières, avec à quelques reprises le vert et le rouge qui s'unissent pour rappeler le drapeau portugais, et le clavier de Pedro Paixão, avec ses grands tubes semblant faits d’ivoire, est un élément de décor à lui tout seul. Le public a l'air de beaucoup aimer, réagit dès le début, acclame beaucoup, chante plusieurs parties des chansons les plus emblématiques lance un peu de pogo par moments.
Après un superbe et iconique « Alma Mater » repris en chœur par la fosse, le set se conclut sur le classique « Full Moon Madness ». « Merci beaucoup pour votre hospitalité, ça a été un plaisir de jouer pour vous et avec vous », assure le frontman. Alors que le morceau commence tout en guitare claire, il imite un cri de loup – quoi de plus logique, sous la pleine lune – et le morceau part doucement, s’intensifiant progressivement tout en gardant sa lenteur. Les Portugais auront livré une prestation impeccable, qui ne donne qu’une envie, les revoir en tête d’affiche.
Dark Tranquillity
Dernier changement de plateau de la soirée. C'est l'heure de la tête d'affiche, les Suédois de Dark Tranquillity. Le groupe de melodeath originaire de Göteborg a décidé de couvrir toute sa carrière et de faire plaisir au plus grand nombre, puisque comme l'explique le chanteur Mikael Stanne, "Nous avons des tonnes de choses pour vous : des vieilles, nouvelles, obscures, évidentes, et tout ce qu’il peut y avoir entre les deux ».
Effectivement, il va y avoir tout ça dans la setlist, même si le dernier album en date, Endtime Signals, sorti en 2024, domine les débats avec six titres, et ce dès le début, puisque c’est « The Last Imagination » qui est joué en premier. Dark Tranquillity ne joue par ailleurs rien de ses trois premiers disques datant des années 90, mais les quatre suivants sont représentés. Le frontman explique notamment avant de jouer "Cathode Ray Sunshine", qui n’a plus été interprété depuis la sortie de Damage Done en 2002, que ce morceau était à l'époque l'un de ses préférés de l’album, et que vingt ans après, c'est toujours l'un de ses favoris de la discographie. Le morceau, un peu étrange, entrainant, presque dansant, passe très bien en live. De l’autre côté de la chronologie, les nouvelles chansons, « Not Nothing » en tête, mais aussi « Wayward Eyes », sont toujours aussi accrocheuses, passent extrêmement bien l’épreuve de la scène et sont fort bien reçues par le public.
Globalement, ça joue bien. Mikael Stanne est un vrai showman, ce qui remporte l'adhésion de tout le public. Il parcourt la scène de long en large, joue avec le public, fait de grands gestes très expressifs, presque théâtraux, attire la lumière sur lui quasiment sans rien faire. Après, la musique de Dark Tranquillity reste vraiment du melodeath très classique – ce n’est pas pour rien que le groupe est considéré comme l’un des fers de lance du genre. Pas dit que les gens venus surtout pour Moonspell ne s’ennuient pas par moments. Tout est bien fait, les compositions du groupe offrent une certaine mélancolie qui a le bon goût de ne pas sombrer non plus dans une noirceur pleurnicharde. Les parties mélodiques et agressives s’équilibrent bien. Mais le set peut sembler moins marquant que celui des Portugais, et peut-être même moins que d’autres prestations des Suédois. La faute peut-être en partie à un son pas toujours optimal selon où l’on se place dans la salle.
Les visuels qui se jouent sur les trois écrans verticaux derrière les musiciens sont beaux. Le premier affiche une scène de montagne désertique en introduction. Des cadavres, planches anatomiques et foules de squelettes suivent sur « Nothing to No One ». Par la suite, on verra aussi des fusées, des étoiles, des météorites…
Les acclamations sont immenses dès le début. La fosse remue pas mal, avec des pogos et des slams – une slammeuse aura même droit durant « Empty Me » à un check du chanteur. Lequel assurera à plusieurs reprises à quel point il aime son public et est content d’être là. Tous les musiciens (Martin Brändström aux claviers, Johan Reinholdz à la guitare, Christian Jansson à la basse, Joakim Strandberg Nilsson à la batterie) ont d’ailleurs l’air de l’être. Entre plusieurs soli et des saluts à la foule, ils arrivent à exister aux côtés de Stanne. Celui-ci joue d’ailleurs parfois avec eux et ne manque pas de les mettre en valeur sur certains passages.
Le groupe clôt son set sur « Misery’s Crown », dont les « ohohoh » sont repris en chœur par l’auditoire. Après d’ultimes remerciements, le groupe s'en va sous les applaudissements. Dark Tranquillity aura livré une prestation solide, qui aura eu le mérite de faire voyager dans l’ensemble de sa discographie.
Photos : Marjorie Coulin. Reproduction interdite sans autorisation de la photographe