Il y a 25 ans sortait l’album qui a propulsé Papa Roach sur le devant de la scène neo-metal avec une pelletée de hits dont l’imparable « Last Resort ». L’événement méritait une célébration à la hauteur, le quintette s’est donc lancé dans une tournée anniversaire. Laquelle passait par Paris mercredi dernier.
Si Papa Roach a désormais plus de trois décennies de carrière et onze albums studios à son actif, il reste irrémédiablement associé à son deuxième opus, Infest, sorti en avril 2000. Marquant la signature sur une Major, il associe le groupe à la pléthorique scène neo-metal de l’époque. Bien que le groupe états-unien n’ait pas la renommée d’un Korn ou d’un Linkin Park, il attire encore du monde. Le concert atteint les 5 000 billets vendus, obligeant l’organisation à demander sur le tard la grande configuration d’un Zénith modulable.
Mike Rock
Il y a encore peu de monde quand arrive le DJ français. Il faut dire qu’il est à peine 18h. Comme son nom le laisse deviner, pas question d’un DJ set à base d’electro pop, de trap ou de courants electro expérimentaux. Au programme : du neo-metal, du pop punk et du rock alternatif de la fin du deuxième millénaire et du début du troisième. Ce qui tombe évidemment à pic, puisque Infest, célébré ce soir, est sorti à cette période. La foule qui grossit petit à petit rassemble d’ailleurs en majorité des trentenaires et des quadragénaires, même si les vingtenaires, quinquagénaires et plus si affinités ne sont pas absents pour autant. Les Green Day, System Of A Down, Sum 41 et Hives qui peuplent la setlist auront de quoi susciter la nostalgie chez une bonne partie du public adolescent à l’époque.
Ce retour dans le passé n’est pas désagréable, et le public apprécie placidement – un peu d’agitation se fait un peu voir par moments. Les effets sonores sont très limités à un ou deux titres près, et le DJ, responsable officiel des afters du Hellfest, reste penché sur sa table de mixage – à sa décharge, difficile durant un DJ set d’interagir sans passer pour un animateur de camping. Pour un premier tour de chauffe, ça fait le taf.
Wage War
La playlist du Zénith reprend après le DJ set d’une heure et demie – relativement proche de celui-ci, d’ailleurs – et le public se chauffe la voix sur les derniers titres.
Puis le noir se fait, une grosse introduction electro un peu indus se fait entendre et le chanteur de Wage War, Briton Bond, arrive seul sur scène, et entame le chant du bien nomme « The Show Is About to Start » avec une voix claire presque synthétique. Le rythme se fait dansant, la foule réagit déjà, le chanteur passe à un chant presque murmuré très bas avant que ses comparses ne le rejoignent sur scène et que la musique n’explose sur le refrain, qui laisse place à un second couplet tout aussi agité. Entrainant et enragé, le morceau issu de Stigma, cinquième album sorti en 2024 qui constitue la majorité de la setlist, est une excellente introduction, et suffit à lui seul à remporter l’adhésion de la fosse. Une petite partie de celle-ci semble d’ailleurs connaître les paroles.
La suite est un peu plus en dents de scie. L’engagement des musiciens est palpable, et le chanteur communique beaucoup avec le public, se plaçant souvent sur l’avant-scène. Il doit d’ailleurs rapidement improviser, puisqu’un incident de batterie oblige les techniciens à intervenir dès le deuxième morceau. A en croire le frontman, le batteur Stephen Kluesener aurait tapé trop fort sur ses fûts.
Musicalement, le quintette floridien formé il y a quinze ans officie dans un metalcore fortement teinté de sonorités electro et indus. C’est bien fichu, mais la partie purement metalcore manque parfois d’originalité. Le chant du guitariste rythmique Cody Quistad, qui s’occupe de l’essentiel du chant clair, nous paraît à titre personnel assez insupportable, tant c’est un mauvais cliché de metalcore et de pop maniérée – il faut cependant lui reconnaître des montées dans les aigus pas forcément évidentes. Dès que le rythme ralentit, le groupe a tendance à nous perdre – ce n’est en revanche pas le cas du reste du public, qui se donne à fond quoi qu’il arrive.
En revanche, là où le combo retient vraiment l’attention, c’est quand les parties metalcore rencontrent vraiment l’indus. « Happy Hunting », antépénultième chanson, évacue en force n’importe quel reste de léthargie, évoquant au passage largement Rob Zombie. Le dernier titre « Manic » fait également forte impression. Les influences neo-metal sont également assez présentes, notamment par les guitares de Quistad et Seth Blake. Par ailleurs, le vocaliste impressionne par sa maîtrise de différentes techniques et son passage de l’une à l’autre : chant clair, chuchotements sépulcraux, screams divers… Le groupe tire sa révérence après dix titres et quarante minutes, sous les acclamations plus que fournies de l’auditoire.
Papa Roach
Changement de plateau tandis que la fosse et les gradins se sont désormais considérablement remplis. Un grand rideau blanc avec un immense cafard noir sur le dos, référence au nom du groupe comme à l'invasion de cafards suggérée par Infest, occulte désormais la scène. Papa Roach fait son entrée sur « Even if It Kills Me », nouveau morceau qui devrait figurer sur un prochain album. Le chanteur Jacoby Shaddix, le bassiste Tobin Esperance et le guitariste Jerry Horton apparaissent d’abord en ombres chinoises derrière le rideau, avant que celui-ci ne tombe. C’est assez classique, mais toujours beau à voir. C’est alors parti pour 1h40 de spectacle mené tambour battant.
Le groupe a de l’énergie à revendre, mais peut-être pas autant que le public. Un pogo éclate très rapidement, les premiers slams arrivent dans la fosse presque dès le premier morceau. Les gens semblent bien décidés à revivre leur adolescence pour les concernés, mais connaissent aussi les paroles des morceaux les plus récents, dont cette introduction. Cela semble galvaniser Papa Roach. Jacoby Shaddix est extrêmement présent auprès du public, ne cesse d’aller et venir le long de la scène, prend souvent place sur l’avant-scène. Dès les premiers morceaux, il va jusqu’à la barrière, qu’il longe d’un bout à l’autre, pour serrer les mains des fans massés aux premiers rangs. Il est très communicatif, remercie de nombreuses fois le public. Il ira même jusqu’à dire, avant « Help », l’avant-dernier titre du set avant rappel, « thank you for being the lifeblood of Papa Roach ». Le public comme sang vital d’un groupe, cela met en tout cas bien en valeur la relation organique qu’il y a entre les musiciens et leurs fans.
Si le guitariste et claviériste additionnel Anthony "Twan" Esperance (frère du bassiste) ainsi que le batteur Tony Palermo sont évidemment collés à leur poste, chacun en hauteur sur leur plateforme d’un côté et de l’autre de la scène, les trois autres arpentent la scène. Et la complicité entre les musiciens est aussi visible. Les deux gratteux se retrouvent même à l'avant-scène pour des duels. Le frontman ne se prive pas de vanner ses comparses, que ce soit en faisant scander le nom du guitariste ou des « fuck you Tony » à l’intention de son batteur – qui aura en guise de revanche l’occasion de s’illustrer par un solo vers la fin du concert.
Le concert est rehaussé par une scénographie sobre mais efficace, avec des flammes, de la fumée et des écrans vidéos qui alternent plans des musiciens et créations visuelles esthétiques.
Bien que Papa Roach soit en théorie là pour les 25 ans d’Infest, l’album n’est pour autant pas joué en entier, puisque seuls six titres en sont tirés, soit la moitié de l’album. Le dernier en date, l’étrange Ego Trip, sorti en 2022, est presque autant mis à l’honneur. Dans une moindre mesure, quatre autres albums sont également joués (sur les onze de la discographie), couvrant à peu près toutes les époques. Cela permet de se rappeler que si le groupe avait dès son deuxième album un son neo-metal caractérisé, il l’a largement fait évoluer depuis. Certains morceaux offrent en effet des parties très electro, du chant scandé… Des éléments, au final, qui se retrouvent déjà dans le neo-metal, mais tournés différemment au fil des années pour correspondre au goût du jour. Et sur scène, tout passe extrêmement bien. De toute façon, difficile de ne pas se laisser de convaincre par l’abattage du groupe.
Cet éclectisme se retrouve dans la multiplication de références musicales du groupe. Shaddix scande ainsi un « hey ho, let’s go » en pleine chanson, pour un hommage toujours de bon aloi aux punks new-yorkais des Ramones. Et le groupe entier entonne une reprise fort réussie de « California Love » du mythique rappeur 2Pac. L’intro iconique de « Lose Yourself » d’un autre rappeur renommé, Eminem, retentit même juste avant « Broken Home ».
Plus qu’une célébration d’Infest, le concert prend donc par moments les airs d’un hommage à la musique dans son ensemble. Et notamment, bien sûr, à la scène neo-metal. Le rappel est ainsi l’occasion d’une succession d’extraits des standards de Korn, Deftones, Limp Bizkit et System Of A Down. Qui laissent quelques regrets, car il aurait été intéressant d’en entendre au moins un en entier.
L’hommage le plus poignant est sans conteste celui au défunt Chester Bennington, à travers l’introduction des paroles de « In the End » de Linkin Park au milieu de « Forever ». Alors que Jacoby Shaddix lance « Tu nous manques », une bonne partie de la salle se met à scander « Chester, Chester ! ».
Hasard ou pas, le groupe revient sur le sujet du suicide avec la chanson « Leave a Light On (Talk Away the Dark) ». Une vidéo diffuse des messages à ce propos, insistant sur l’importance de ne pas rester seul. Le quintette interprète ensuite de façon émouvante le morceau en acoustique, sur l’avant-scène, tandis que les lumières des téléphones illuminent la salle. Le groupe assure que dans toutes les villes où il passe, il reverse de l’argent à des associations de sensibilisation à l’importance de la santé mentale et de prévention du suicide. Ce qu’il a déjà fait quelques jours auparavant en Allemagne, après quatre concerts dans le pays.
Arrive l’heure du rappel. Après une diffusion d’un remix du classique « Between Angels and Insects » d’Infest, Shaddix revient, bientôt suivi par les autres musiciens, pour l’interprétation de ce morceau. S’ensuit « Infest », durant lequel le frontman retourne dans la foule, monte jusqu’aux gradins, prend un selfie avec une fan, puis revient sur scène avec autour du cou ce qui semble être un morceau de chaîne ayant servi à délimiter des espaces dans les gradins.
Après le medley neo-metal, arrive « Last Resort ». Titre le plus iconique d'Infest, il appartient tellement à cette époque, qu’un bref instant un cerveau fatigué pourrait entendre une énième reprise. Ce morceau déchaîne plus que jamais les passions et laisse un public ravi. S’il est un peu dommage qu’Infest n’ait pas été interprété en entier, le groupe a tout de même réussi à prouver que, malgré une célébration logique de ses accomplissements, il n’appartient définitivement pas au passé.
Photos : Marjorie Coulin. Reproduction interdite sans autorisation de la photographe