Groupe parmi les pionniers du metal progressif au début des années 80, Queensrÿche a voulu célébrer ses premières années de carrière avec The Origins Tour. Cette mise à l’honneur du premier EP éponyme et du premier album complet The Warning s’est arrêtée dans la belle scène du Trianon, écrin parfait pour une nostalgie distinguée.
Night Demon
Queensrÿche est loin d'être sur scène mais il y a déjà du monde et les balcons sont complets quand attaquent les Californiens de Night Demon. Le groupe, formé en 2011, a sorti un EP et trois albums, tous représentés ce soir, de heavy (très) classique. Sur scène, le trio n'a aucun mal à occuper la scène et convaincre son public. Son heavy metal est très efficace et énergique, il emprunte beaucoup à Iron Maiden, il y a évidemment pire comme référence. Sur les morceaux les plus rapides se sent aussi l'influence de Motörhead - le chanteur à moustache et veste en cuir n'y est d'ailleurs pas étranger. Il y a même du Black Sabbath sur certains passages plus lents et lourds, qui peuvent évoquer une sorte de doom vraiment très light.
Et c'est un peu là que le bât blesse. Tout est très bien exécuté, c'est distrayant, et assez convaincant pour les fans du genre. Mais la musique du groupe n'apporte pas franchement grand-chose de nouveau, et semble un peu trop noyée sous ses illustres références pour vraiment développer une personnalité.
Sur scène, c'est heureusement compensé par l'énergie du combo. Le chanteur bassiste Jarvis Leatherby et le guitariste Armand John Anthony montent régulièrement sur les praticables, le vocaliste harangue le public et cela semble fonctionner. Les musiciens semblent réellement apprécier le contact avec le public. Le frontman se plaindra même des barrières délimitant le pit photo qui éloigne l’auditoire de la scène : « Il y a une ville française entière entre nous et le public, je ne comprends pas pourquoi ».
Quelques jeux de lumières au milieu des fumées embellissent l'ensemble – et servent même au jeu de scène des musiciens, puisque les deux cordistes finiront le show debout au milieu des jets de fumée colorée. Une Mort prenant l'apéro dans un calice viendra même mettre une animation macabre sur « The Chalice » - logique, mais manquera de se faire renverser par le bassiste. Il y a suffisamment de variété dans les morceaux pour ne pas s'ennuyer, et un ou deux se démarquent un peu du lot (notamment « Beyond the Grave », assez sombre mais pas complètement assez poisseux pour vraiment faire sensation). Pour chauffer le public durant trois-quarts d’heure, c'est tout à fait honnête et solide, mais s'il ne développe pas plus d'identité, Night Demon semble condamné à jouer éternellement les premières parties.
Queensrÿche
Durant le changement de plateau, les roadies installent de grands praticables bas devant la scène et de grands cadres derrière avec un jeu de carte, évocation du premier album de Queensrÿche. Soudain, la sono lance "Walk", de Pantera, qui ne déchaîne pas les foules. Il est vrai que le choix de chanson est curieux pour préparer l'arrivée du groupe, tant le genre et la génération (de groupe comme de public) sont différents.
Cela n'empêche pas le public d'être plus chaud que jamais quand débarquent les Etats-Uniens. Les quatre instrumentistes lancent « Queen of the Reich », le premier titre du premier EP éponyme de Queensrÿche, avant que le chanteur Todd La Torre ne surgisse pour entamer le chant, lunettes de soleil sur les yeux.
Tout le monde est en place, ça joue bien, il y a de l'énergie. Le groupe enchaîne avec « Nightrider », le second titre du même opus. Car Queensrÿche a non seulement décidé de célébrer son début de carrière, avec son premier EP sorti en 1983 et son premier album culte The Warning sorti en 1984, mais a également décidé de le faire en jouant l’intégralité des deux disques dans l’ordre. Un choix parfaitement assumé par le groupe pour cet anniversaire un poil à la bourre, comme l’expliquera le chanteur en milieu de concert, après « NM 156 » : « Certaines de ces chansons n’ont pas été jouées depuis 1984. Nous les jouons dans l’accordage d’origine, pour une meilleure expérience ». Le Trianon est donc ce soir une Delorean géante, qui nous ramène plus de deux décennies en arrière, avec l’objectif de faire vivre ou revivre exactement les concerts de 1984. Difficile de faire plus nostalgique, mais si les ronchons trouveront cela passéiste, c’est aussi l’occasion de voir sans artifices si les chansons ont passé l’épreuve du temps.
Et clairement, même sans être d’une génération née à la sortie de ces albums, les chansons et leur enchainement dans l’ordre original passent extrêmement bien l’épreuve d’un live en 2025. Preuve que parfois, il ne sert à rien de modifier l’ordre des morceaux pour un concert. Alors certes, en matière de prog et de heavy metal, il a depuis été fait plus aventureux ou au contraire plus direct, mais les morceaux semblent toujours avoir leur place à notre époque. Les deux derniers titres, « Child of Fire » et le long « Road to Madness », nous marquent particulièrement. D’ailleurs, quand le chanteur demande qui a déjà vu le groupe et qui le voit pour la première fois, une minorité assez conséquente est dans la seconde situation. « Cela fait plus de trente ans et il y a toujours des gens qui viennent nous voir pour la première fois », s’enthousiasme-t-il.
C’est clairement un groupe à guitares (Michael Wilton et Parker Lundgren), ce qui n’est évidemment pas pour déplaire à des metalleux. La basse d’Eddie Jackson s’entend aussi très bien. La batterie de Scott Rockenfield est peut-être un peu plus discrète mais s’intègre très bien à l’ensemble. Les musiciens sont à la hauteur de leurs alter egos juvéniles.
La seule grosse différence, c’est le chanteur, puisque Todd La Torre a depuis remplacé le leader originel Geoff Tate, parti de Queensrÿche en 2012 après des démêlés avec ses comparses. Sans faire offense à celui-ci, qui continue son activité musicale – notamment avec des interventions dans certains albums d’Avantasia – Todd La Torre a pris sans difficulté sa place, et soutient avec une aisance déconcertante la comparaison vocale, montant régulièrement dans les aigus (« The Warning », « Enforcer », « Take Hold of the Flame… ») et est également capable de parties beaucoup plus basses, presque saturées (« NM 156 »). Certes, cela fait maintenant douze ans qu’il a rejoint le groupe, il a donc eu plus que le temps de se fondre dans son univers.
Très à l’aise, il interagit régulièrement avec le public, même s’il a la curieuse manie de quitter la scène presque à chaque (fréquent) passage instrumental, comme s’il ne savait pas comment occuper l’espace. Etrange avec son expérience, d’autant que sur scène, il semble autant à sa place que ses comparses, qui prennent des poses de guitar heroes et utilisent abondamment les praticables à disposition pour des soli ou des duels – le bassiste étant un peu plus en retrait que les trois autres musiciens mobiles.
Le public est absolument ravi de cette cure de jouvence – ou de ce coup de vieux, au choix, voire de cette expérience préhistorique pour une minorité. Le frontman rappelle d’ailleurs que le groupe n’était plus venu depuis 2019 (nous y étions également, c’était à Petit Bain), ce qui peut expliquer les débordements de joie.
L’absence de surprise due à la setlist, qui pourrait rendre le set prévisible, est au contraire un motif de complicité entre le groupe et un public en grande partie connaisseur. « Si vous connaissez l’album, vous savez quelle chanson va suivre », lance ainsi Todd La Torre, suscitant un bruyant enthousiasme du public avant « Take Old of the Flame ». Les vociférations du public semblent d’ailleurs l’amuser. « J’adore ce public, vous vous faites vraiment entendre, vous avez envie de participer ! » poursuit-il.
Pour le rappel, Queensrÿche offre quatre morceaux classiques issus des trois albums ayant suivi The Warning, toujours d’aussi bonne facture, avec un excellent et mythique « Walk in the Shadows » particulièrement agressif. Il est peut-être dommage que le groupe n’ait joué aucun titre de son dernier opus, le sympathique Digital Noise Alliance, sorti en 2022, mais il faut lui reconnaître d’être allé au bout du concept de retour à ses origines et d’avoir célébré dignement son début de carrière. Après tout, le nom de la tournée est bien The Origins Tour, il n’y a pas tromperie sur la marchandise.