Scorpions surfe sur la nostalgie de ses six décennies de carrière (avec Dirty Honey, Accor Arena, 24.06.2025)

Six décennies que le groupe de Hanovre arpente les scènes. Et il célèbre ses soixante ans sur scène depuis plusieurs mois. Trois jours après son show en tête d'affiche du samedi au Hellfest, le sextette se produisait à Bercy.

Le concert est officiellement complet mais la salle est toujours en train de se remplir à l'heure où aurait dû commencer Dirty Honey. Et ce alors que le planning a été décalé d'une demi-heure au dernier moment, laissant le temps aux retardataires d'arriver. Si une partie conséquente du public n'est plus de première fraîcheur - comme Scorpions, en somme – toutes les classes d'âge sont représentées, preuve que la réputation du groupe continue de le précéder.

Dirty Honey

Alors que le nouvel horaire de début approche, quelques sifflets se font entendre de la part d'impatients, puis apparaît le logo de Dirty Honey, une bouche rouge dont les lèvres sont formées par le nom du groupe, avant que celui-ci débarque sur scène.

Le quatuor attaque pied au plancher un bon vieux hard rock bien rétro aux accents blues, "Gipsy". Le morceau est remuant et donne envie de danser, le chanteur James LaBelle envoie, ses envolées aiguës pourraient d’ailleurs nous méprendre sur son genre. Il fait chanter et taper des mains le public dès le premier morceau et l'auditoire est très réceptif.

Le groupe enchaine ensuite des titres plus mid tempo, toujours dans une veine hard rock dansant et assez gras, où le blues est très audible. Dirty Honey n'invente rien, sa musique dégage une atmosphère old school, tout en cultivant une énergie contemporaine, et il s'approprie très bien le genre. Les musiciens (John Notto à la guitare, Justin Smolian à la basse, Jaydon Bean à la batterie) ne sont pas très démonstratifs et relativement statiques, mais leur musique possède l'énergie idéale pour une première partie.

Le quatuor conclut avec un titre assez lent, très blues, plaisant, qui s'énerve progressivement. A défaut de réinventer le genre, Dirty Honey réussit à le faire vivre dans le monde d'aujourd'hui. Pour une première partie, le contrat est rempli.

Scorpions

La salle s'est remplie durant Dirty Honey, même si la fosse reste circulable. Avec cette tournée, le groupe allemand assume complètement de jouer sur la nostalgie, et pour cause, il fête ses soixante ans de carrière tout pile cette année. Alors que la sono s'éteint, une vidéo est diffusée en fond de scène, faisant la rétrospective accélérée des 0,6 siècle de carrière de Scorpions, à grand renfort d'images d'archives. Grand nombre de téléphones se lèvent - ce ne sera clairement pas la seule fois de la soirée. On apprend ainsi entre autres choses que le groupe a donné plus de 5000 concerts, à l'occasion de 27 tournées dans 83 pays. Les chiffres impressionnent, clairement, reste à voir ce qu'il en reste aujourd'hui.

Différents visuels et effets sonores évoquent un orage puis le lever du jour, sur une Terre évidemment occupée par un scorpion géant. Le groupe s'installe et attaque "Coming Home". On sent toute l'expérience du quintette allemand, c'est en place et les instruments envoient vraiment. Ces scorpions sont encore en forme - pour les formations de cet âge, c'est toujours la grande inconnue - et ont manifestement toujours envie de donner de l'énergie à son public.

Seule ombre au tableau, mais pas des moindres : le chanteur Klaus Meine, lui, ne semble vraiment pas en forme. Il ne chante pas faux, et sa performance vocale n’est pas honteuse, mais assez molle, et la fatigue se fait vraiment entendre. Elle se fait voir, aussi : la plupart du temps, le vocaliste reste agrippé à son micro, comme si son pied lui servait de béquille pour ne pas s’effondrer. Il reste globalement très statique, et s’il arpente parfois la scène, c’est au ralenti et avec précaution. Il faut dire qu’il a tout de même 77 ans, ce qui explique son attitude. Il compense en étant relativement loquace, avec quelques mots en français, remerciant abondamment le public et revenant sur les six décennies du groupe. Ainsi que sur l’histoire avec la France, puisque le groupe a inauguré Bercy, dans lequel il joue ce soir, en 1984.

Le public, lui, exulte dès le premier morceau et le manifeste bruyamment. D’ailleurs, après le show, la très grande majorité des commentaires entendus seront très positifs.

Les autres musiciens, sans être dans des démonstrations excessives, sont nettement plus fringants. Les guitaristes (le fondateur Rudolf Schenker, aussi vieux que le chanteur, Matthias Jabs, le bassiste Pawel Maciwoda) se retrouvent régulièrement sur le devant de la scène, jouent entre eux, imitent parfois les sons de leur guitare à la bouche. Les soli de guitare et de batterie (Mikkey Dee, passé par Mötörhead) et les jams les mettent à tour de rôle en lumière. Le succès international de Scorpions se retrouve désormais dans son line up, puisque le bassiste est polonais et le batteur suédois. Ils ont d’ailleurs contribué à rajeunir la formation, puisque ces jeunots sont nés dans les années 1960.

La musique du combo est connue : un hard rock solide, d’époque, qui pourrait par moments paraître daté mais certains classiques restent indémodables, et l’ensemble du répertoire vit toujours très bien sur scène – peut-être le signe le plus probant de son intemporalité. Il fera d’ailleurs l’occasion d’une énième compilation en septembre, From The First Sting.

Globalement, la setlist s’étale de 1979 à 1990. Cela peut se comprendre, tant les années 80 ont été une période faste pour le quintette, souvent renvoyé à cette époque. Mais pour une tournée censée célébrer les soixante ans de carrière de Scorpions, il est assez dommage de limiter ainsi la période. Deux exceptions seulement : les albums des années 1970 ont droit à un medley, avec un extrait chacun – à l’exception du tout premier album, totalement ignoré. Ils auraient mérité mieux. Et le dernier album en date, Rock Believer, paru en 2022, a droit à un extrait, joué en deuxième position, l'efficace « Gas in the Tank ».

Plus que tout autre, l’iconique Love At First Sting est ultra représenté, avec six titres. A l’exception du titre d’ouverture, il est d’ailleurs plutôt joué dans la seconde moitié du set, comme Crazy World, lui aussi particulièrement connu. Une façon peut-être de faire monter la tension. Sur les ballades issues de ces opus « Send Me an Angel », « Wind of Change », l’inénarrable « Sting Loving You »), la fragilité vocale de Klaus Meine se révèle d’ailleurs un atout, offrant une version peut-être plus touchante qu’à l’accoutumée de ces titres tellement entendus.

Mais au-delà de ces classiques, ce sont deux morceaux du tournant de la décennie 70/80, « The Zoo » (Animal Magnetism) et « Coast to Coast » (Lovedrive), qui se démarquent le plus à nos oreilles, d’autant plus qu’ils s’enchainent dans la setlist. Les deux sont très lourdes, avec une basse et une batterie très en avant, et donnent une autre image, très enthousiasmante, de Scorpions. Les musiciens s’en donnent à cœur joie, c’est l’occasion de voir Klaus Meine prendre une guitare, et les quatre instrumentistes à cordes se retrouvent tous sur le devant de la scène, pour un visuel de guitar heroes collectif du plus bel effet.

Les visuels s’enchainent au gré des morceaux, et là encore, ils ont quelque chose d’agréablement kitsch – même si on se passerait bien en 2025 des visuels de femmes dénudées et lascives en fond de scène. Les scorpions sont nettement plus de circonstance et prennent plusieurs fois le pouvoir sur les écrans, jusqu’à une gigantesque surprise lors du rappel.

Le public redouble d’efforts pour donner de la voix sur les derniers titres, ballades en tête, ce qui permet à Klaus Meine de se reposer un peu. C’est particulièrement vrai sur « Still Loving You », qui clôt le set principal. Le court rappel de deux chansons fait encore plus exulter la fosse. Une chose est certaine, le groupe sait encore parler au public, ce qui est de bon augure à un mois d’un concert aux Arènes de Nîmes. Mais il ferait peut-être bien de mettre définitivement un terme aux tournées d’adieu tant que la qualité est encore là.

Photos : Luca Liguori. Reproduction interdite sans autorisation du photographe



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