Paradise Lost (Messa + Lacrimas Profundere) à l’Elysée-Montmartre : l’automne va tellement bien au metal gothique (20.10.2025)

Les rois du metal gothique donnaient fin octobre un concert à guichets fermés, avec un beau plateau idéal pour accompagner le spleen automnal.

En cette soirée d’automne, une longue file s’étend depuis l’entrée de l’Elysée-Montmartre et remonte sur le début de la rue adjacente de Steinkerke, qui grimpe sec jusqu’au Sacré-Cœur – la file ne va cependant pas aussi haut. Dans la foule, beaucoup de quadragénaires, et les habituels tee-shirts de metal et accoutrements gothiques côtoient les costumes trois-pièces qui sentent l’arrivée au concert directement en sortant du travail. Et oui, même les cadres sups ont besoin d’exorciser leur mélancolie dans un bon vieux concert gothique.

Lacrimas Profundere

Musicalement, le groupe d'ouverture s'inscrit clairement dans la mouvance gothique. La musique est très belle, prenante et, de ce qu'on en entend, bien exécutée – notamment la guitare, qui s’entend très bien et apporte beaucoup de lourdeur. Elle a même un côté symphonique, mais il se retrouve uniquement sur bandes, avec des chœurs féminins et des arrangements orchestraux.

Ce qui se passe sur scène laisse un peu perplexe. Les trois instrumentistes donnent un peu l'impression de vétérans gothiques - ils ne dépareilleraient pas dans Paradise Lost ou Candlemass. Et pour cause : le guitariste Oliver Nikolas Schmid a cofondé Lacrimas Profundere en 1993, et les deux autres (le bassiste Ilker Ersin et le batteur Dominik Scholz), bien qu’arrivés plus tard dans le groupe allemand, ont aussi de la bouteille, et tout ce petit monde tourne autour du demi-siècle.

Le chanteur, Julian Larre, n’est arrivé qu’en 2018, et pour cause, il est né au Mexique un an seulement avant la création de Lacrimas Profundere. Le contraste est donc marquant, avec son look qui le ferait plus s'approcher du metalcore. C'est surtout son attitude qui interpelle. Avec une musique, certes dynamique, mais très gothique, sérieuse, grave, on s'attendrait à un peu de sobriété voire de solennité. Or, au contraire, il semble surexcité, parle énormément avec le public, lui demande de taper dans les mains et de chanter en chœur des "hey hey hey"... Son énergie semble en décalage avec la musique. Il saute plusieurs fois sur la barrière et finira même dans la foule vers la fin du concert.

Certaines sensibilités trouveront son attitude totalement hors de propos quand d’autres estimeront que cela apporte un peu de fraîcheur et de modernité à un style qui n'est somme toute plus si jeune. Il a indéniablement un côté théâtral et showman qui bouscule. En tous cas, le vocaliste ne ménage pas sa peine, et le public répond plutôt bien à ses sollicitations.

Vrai problème en revanche : les voix, du frontman comme du bassiste qui assure aussi bien le chant clair que saturé, s'entendent très peu dans le mix, couvertes notamment par des nappes de claviers enregistrés. C'est plus que dommage de ne pas entendre les éléments vraiment joués en live parce que masqués par des bandes... D'autant plus que du peu que l'on entend, les vocalises du chanteur sont intéressantes, surtout lorsqu'il s'aventure très bas dans les graves ou dans du chant saturé presque sépulcral.

Avec seulement une grosse demi-heure de set, le groupe n’a gardé de sa douzaine d’albums presque que les deux derniers, How To Shroud Yourself With Night (2022) et Bleeding The Stars (2019) – ceux sur lesquels chante Julian Larre. Le set laisse donc un goût d'inachevé, et une envie de revoir le groupe dans de meilleures conditions pour pouvoir mieux l'appréhender.

Messa

Deuxième groupe de la soirée, Messa vient présenter son quatrième album, The Spin, sorti cette année. Le groupe est d'ailleurs le seul de la soirée à ne pas avoir de bandes de claviers enregistrées, puisque le bassiste Marco Zanin est aussi claviériste. Et les Italiens font un pari osé : en quarante minutes de set, ils ne vont jouer que les morceaux du dernier opus. Presque tous (seule l’ouverture de « Void Meridian » est délaissée), et dans un ordre proche de l’album (seulement deux interversions dans la setlist).

A la première écoute en live, le doom du quartette est toujours présent, mais se fait tout de même de plus en plus distant – une évolution à peu près continue depuis les débuts du groupe. La musique est moins lourde et ressemble désormais parfois plus à du doom rock qu’à une musique purement metal. Les passages clairs sont nettement en avant, le combo ne cherche pas à sur-saturer le son. La guitare d’Alberto Piccolo, notamment, très mise en avant, joue souvent des parties plus proches du rock’n’roll, notamment dans ses fréquents soli. La chanteuse Sara Bianchin reste également dans des tonalités essentiellement claires, ne saturant sa voix qu’occasionnellement. Elle offre cependant toujours beaucoup d’intensité. Elle monte dans les aigus avec facilité, et opte tantôt pour une jolie voix légère, tantôt pour quelque chose de plus dense. Mais sa voix n’a rien de pur ou de cristallin : elle présente une fêlure qui la rend d’autant plus intéressante et prenante.

La basse de Zanin et la batterie de Rocco "Mystir" apportent cependant une dose modérée de lourdeur – bienvenue notamment sur les roulements de « The Dress ». « Reveal » également, après un début tout en douceur, monte nettement en agressivité, servi entre autres par de la double pédale, pour un metal tranchant, lourd mais assez rythmé. Il sera d’ailleurs abondamment applaudi.

Cela reste très beau, mais les chansons semblent un peu moins profondes de prime abord. Sauf que… le groupe sait tromper son monde, commencer par quelque chose de très simple, avant de prendre une direction inattendue. Ainsi, « At Races », plus rapide et remuant que le titre d’ouverture « Fire on the Roof », avec beaucoup de groove, dans quelque chose de beaucoup plus lent, éthéré, à l’esprit indéniablement doom malgré une lourdeur relative. Les influences jazz sont également très audibles. Ce ne sera pas la seule fois du set (cela se sent aussi entre autres sur « Immolate » et sur le solo de « The Dress »), et ce n’est pas une surprise de la part des Transalpins, dont c’est même plutôt une marque de fabrique.

Question de ressenti, ce concert nous semble moins prenant que de précédentes performances du groupe, moins mystique, moins envoûtant. Mais tout le monde n'est pas de cet avis, et le public semble conquis. Le problème est probablement accentué par des spectateurs irrespectueux qui parlent extrêmement bruyamment durant tout le concert, au point de partiellement couvrir les passages planants quand on a la malchance d’être juste devant eux.

La chanteuse communique beaucoup avec le public, donnant souvent des informations sur les morceaux qui vont suivre. Le groupe conclut avec le dantesque « Thicker Blood », qui clôt également l’album et multiplie les changements d’ambiance, de l’épure au maelström, et laisse relativement sonné. Messa poursuit son évolution, logique en plus de dix ans d’existence, et, indépendamment de ce que le dernier album peut faire ressentir, livre une prestation somme toute réussie.

Paradise Lost

C’est à présent l’heure des maîtres anglais du gothique. La salle s’est fort remplie pour faire honneur à une formation qui, cela ne nous rajeunit pas, approche doucement des quarante ans. Durant le changement de plateau, les voix féminines, le clavecin et les sons plus chamaniques de Dead Can Dance résonnent dans la salle… Si le genre est assez éloigné de Paradise Lost, on ressent confusément la filiation.

La lumière s’éteint enfin avant que les musiciens n’entrent en scène un par un sous les acclamations. Le chanteur Nick Holmes fait des signes des mains pour galvaniser l’auditoire, et c’est parti pour « Serpent on the Cross », qui ouvre à la fois le concert et le dernier album du groupe, Ascension, sorti cette année. Le morceau, tout en growl, offre une ouverture puissante et pleine de panache.

La setlist du groupe est construite comme un gros best of, avec un titre de presque chaque album, à l’exception de l’album éponyme, sorti en 2005, et des deux premiers albums, sortis au début des années 1990. C’est un peu étonnant, sachant que le deuxième opus, Gothic, est tout de même un album iconique – d’aucuns disent même qu’il a contribué à donner son nom au genre du metal gothique. Inversement, One Second a droit à deux titres, le morceau éponyme et « Say Just Words ». Il est vrai qu’il aurait paru compliqué de se priver d’un des deux. Le dernier sorti, Ascension, a quant à lui le droit de présenter trois chansons. Au rayon des déceptions, l’absence du mythiquement culte (n’ayons pas peur des mots) « As I Die » interpelle. Présent sur le troisième opus Shades Of God (1993), c’est le titre le plus joué de Paradise Lost, presque à chaque concert, mais allez savoir pourquoi, il n’est plus présent sur les setlists depuis fin septembre.

A ceci près, la setlist est bien construite et permet d’explorer les différentes périodes du groupe, qui a su beaucoup évoluer tout au long de sa carrière, tout en gardant son âme gothique (à un ou deux égarements près). Les titres sont parfois un peu réarrangés sans que ce soit choquant, et, avec quatre décennies de carrière et 17 albums, le groupe réussit un set homogène, tout en mettant en valeur la diversité des compositions.

La musique est indéniablement gothique, avec des atmosphères sombres, sans verser pour autant dans la noirceur totale et la désespérance. Certains titres sont relativement lents, d’autres beaucoup plus rapides, certains jouent à fond l’agressivité quand d’autres se font plus mélodieux, quelques-uns allant dans une lourdeur presque doom, comme « Beneath Broken Earth », aux accents graves sépulcraux. Quand le frontman demande au public s’il est sûr de vouloir de vieux morceaux, c’est « Nothing Sacred » qui arrive. Issu de Host, sorti en 1999, il représente le côté plus dark synth du groupe, avec une introduction au clavier que ne renierait pas Depeche Mode. Plus tard, il annonce un morceau issu de l’album controversé Believe In Nothing. Effectivement, l’album n’est ni le plus apprécié des fans ni le plus mémorable (quand on vous parlait d’égarement), mais « Mouth » est jouée ici avec assez d’énergie pour le rendre agréable sur scène.

Ce relief et cette énergie sont déjà présents dans les compositions, mais cela se sent encore plus sur scène, où le groupe apporter du dynamisme à tous les titres, tout en restant extrêmement sobre – si on osait sombrer dans les clichés les plus éculés, on parlerait d’une classe et d’un flegme tout britanniques.

Les deux guitaristes Gregor Mackintosh et Aaron Aedy et le bassiste Stephen Edmondson bougent peu, mais vivent pleinement leur musique. Le guitariste rythmique Aaron Aedy, notamment, donne l’impression d’être en transe. Le batteur Jeff Singer, revenu cette année après avoir officié de 2004 à 2008, semble n’être jamais parti.

Le vocaliste Nick Holmes est dans le même état d’esprit, placide et en même temps habité. Il communique abondamment avec le public, le remerciant chaleureusement. Il manque peut-être ce soir juste un peu de ce second degré dont il sait par ailleurs faire preuve lors de ses interventions, comme lors d’un concert enregistré où il demandait au public de faire semblant de passer un bon moment même si ce n’était pas le cas, puisque le show était filmé… Mais il offre tout de même une ou deux réparties (comme « ceci est ma première gorgée d’alcool… depuis 25 minutes ». Et vous voulez qu’on évite les clichés sur les Britanniques après ça...). Le public n’a en tous cas pas besoin de ces saillies pour répondre bien présent, acclamer passionnément le groupe et reprendre les refrains en chœur.

Dans les rares points négatifs, les éléments enregistrés, notamment les voix, semblent très présents. Alors, certes, Nick Holmes est le seul vocaliste alors que toute la discographie du groupe regorge de lignes de chants doublées, notamment avec une superposition de voix claire et voix saturée. Difficile de lui reprocher de ne pas pouvoir assurer les deux simultanément, mais il en profite aussi parfois pour laisser la bande enregistrée faire tout le travail – ce n’est heureusement pas systématique. Peut-être l’occasion de militer pour l’ajout de choristes ?

Le set approche doucement de la fin. Les premières notes de piano de « Say Just Words » ont à peine retenti que la foule rugit et chante l’introduction instrumentale – et par la suite, tout le refrain. Le groupe sort de scène et le public l’acclame plusieurs minutes avant qu’il ne revienne sur les planches.

Trois excellents titres composent le rappel, et voient Nick Holmes œuvrer sur certains passages dans un murmure presque growlé saisissant. D’abord, avec un gros son de basse et toutes guitares dehors, « No Celebration », que le chanteur présente comme « notre chanson de Noël ». « Il n’y a pas de célébration pour moi en ce Jour de l’An », c’est en effet une conception très gothique de la chanson de Noël. Puis le magnifique « Ghost » du non moins fabuleux Obsidian, et enfin « Silence like the Grave », du dernier album. Le concert touche à sa fin sous de longues acclamations sonores. Les années passent et le paradis perdu nous enchante toujours plus.

Photos : Leonor Ananke. Reproduction interdite sans autorisation de la photographe



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