Forgotten In Space – L’histoire de l’OVNI Voivod de 1983 à 1988

Combo culte du thrash metal, Voivod va définitivement bien au-delà de ce style musical. Fondé en janvier 1983 sous la forme d'un quatuor, le groupe québécois s'apprête donc à fêter ses 40 ans de carrière. Pour célébrer ce bel anniversaire, Voivod et Noise Recording viennent de rééditer trois de leurs albums cultes, Rrröööaaarrr, Killing Technology et Dimension Hatröss, dans un sublime coffret intitulé Forgotten in Space, complété de lives, de démos et d'inédits. L'occasion pour nous de revenir sur ces trois albums sortis entre 1986 et 1988 qui ont forgé le mythe Voivod.

Les débuts (1983-1986)

Les années 1980 voient en Voivod un challenger pour dynamiser une scène metal qui est en ébullition permanente et qui entame de nouvelles mutations. Après les débuts du heavy metal sous l'impulsion (entre autres) de Black Sabbath, la New Wave of British Heavy Metal constitue une influence de choix pour les musiciens d'outre-Atlantique, qui vont peu à peu faire émerger le speed metal, puis le thrash metal sur le Nouveau Continent.

Après plusieurs mois à répéter en trio, Voivod connait son véritable acte de naissance en janvier 1983 lorsque Denis Bélanger rejoint Michel Langevin, Denis d'Amour et Jean-Yves Thériault. Le quatuor adopte alors des pseudonymes sous l'impulsion de ce dernier, qui souhaite se faire appeler « Blacky ». Voivod sera alors constitué de Snake (Bélanger, chant), Away (Langevin, batterie), Blacky (Thériault, basse) et Piggy (D'Amour, guitare). Le concept de Voivod est quant à lui inspiré des dessins de Philippe Druillet parus dans le magazine Metal Hurlant, tout comme du roman de Bram Stoker, Dracula, ce dernier étant qualifié de « Voivod », un guerrier et seigneur de guerre.

Dès ses débuts, Voivod est marqué par les influences variées de ses membres. La voix de Snake apporte une touche de punk dans un proto-thrash metal marqué par la NWOBHM et la première vague de black metal (Venom et Bathory en tête). L'ensemble est complété par les influences prog d'Away et Blacky. Après une première participation à la compilation Metal Massacre vol. 5, pour lequel Voivod enregistre « Condemned to the Gallows », le quatuor signe avec Metal Blade pour un premier album, War and Pain.

War and Pain est enregistré pour 500$, somme que le groupe emprunte à la mère de Snake, tandis qu'Away réalise l'artwork d'un disque pour la première fois de sa carrière. Cet album, encore maladroit, lance le groupe qui peut alors ouvrir pour Mercyful Fate le 7 novembre 1984 au Spectrum de Montréal. Fort de ces débuts tonitruants, Voivod répète alors énormément pour aboutir à ce qui deviendra Rrröööaaarrr...

Rrröööaaarrr : un cri de rage (1986)

Après un War and Pain (1984) que Michel « Away » Langevin nous confiait apprécier tout particulièrement car il constitue le début de toute l'histoire du groupe, les Québécois sortent Rrröööaaarrr en 1986, chez un nouveau label, Noise Records. Le line-up est toujours inchangé, mais par rapport à son premier effort studio, on sent que le quatuor a énormément répété et travaillé ses compositions. L'enregistrement a eu lieu dans une ancienne école reconvertie, « L'Autre Studio ».

Plus mature que War and Pain, Rrröööaaarrr reste toutefois très ancré dans le proto-thrash, incarné par le riffing acéré de Piggy sur un titre comme « Korgull The Exterminator » ou « Thrashing Rage ». Snake reconnaît d'ailleurs que « Rrröööaaarrr est probablement l'album le plus metal de Voivod ». Si le son de basse diffère de son prédécesseur, c'est notamment en raison du fait que l'ampli utilisé par Blacky a été volé avant l'enregistrement de Rrröööaaarrr, ce que ce dernier digère mal.

En 38 minutes divisées en deux faces (Ripping Side : Face A ; Thrashing Side : Face B), l'album va à l'essentiel. Le groupe propose essentiellement des titres up-tempo et l'influence de Venom se fait toujours sentir (« Slaughter in a Grave »). Le groupe reconnaît d'ailleurs lui-même qu'ils voulaient jouer plus vite que tous les autres groupes. Pourtant, le style de guitare de Piggy, teinté de dissonance, commence à apparaître sur un « To the Death » en forme de cri de rage.

Les paroles restent ancrées dans une thématique guerrière (« Korgüll the Exterminator », « Build Your Weapons ») mais le quatuor de La Jonquière n'hésite pas à dédier « Fuck off and Die » à son ancien label Metal Blade, avec des textes plutôt équivoques :

« Me and My Guys are Trying the Keep it High […]
We're on the Fast Way Delivering the Best That I Can […]
C'mon Move Your Assholes ! […]
And If You're a Fucker and Don't Believe it
Fuck off and Die »

A peine l'enregistrement terminé, Voivod repart sur les routes d'Amérique du Nord avec Celtic Frost, puis immortalise sur bande leur prestation durant deux soirs à Montréal (live No Speed Limit, enregistré les 11 et 12 octobre 1986). Quelques mois plus tard, les Québécois enchaînent une tournée européenne en compagnie de Possessed. Noise Records prévoit ainsi que les musiciens enregistrent leur troisième album à Berlin, à l'issue de cette tournée européenne. De quoi mettre la pression au quatuor qui doit composer de nouveaux titres sur la route...

Killing Technology : l'épopée berlinoise (1987)

En plein contexte de guerre froide, Voivod débarque à Berlin pour enregistrer en compagnie de Harris Johns ce qui deviendra Killing Technology. Blacky reconnaît lui-même que cet album marque un tournant dans la carrière du groupe. « A cette époque, nous avions redéfini les rôles au sein du groupe : Snake était le frontman et se chargeait des paroles, Away était le gardien du concept Voivod, et Piggy et moi nous occupions de la musique ». Or, à cette époque, les deux musiciens diversifient leurs écoutes, en découvrant les compositeurs contemporains Bartok et Stravinsky, ce qui ne manque pas d'influencer leur style.

Musicalement, Killing Technology est une fois de plus ancré dans le thrash, mais la dissonance caractéristique du jeu de Piggy est encore plus présente (« Killing Technology », « Tornado »). En outre, la construction des titres est plus aboutie, moins basée sur la vitesse d’exécution (« Forgotten in Space », « Ravenous Medicine », dont l'intro flirte avec le doom) et présente des cassures rythmiques fréquentes, signe que le groupe lorgne peu à peu vers la complexité du prog. Blacky soigne également ses lignes de basse comme sur l'introduction d' « Overreaction » ou « Order of the Blackguards » où elle se fait ronflante et dynamite tout sur son passage.

Les textes s'inscrivent toujours dans un concept de Science-Fiction, avec des thématiques typiques des années 80, malheureusement toujours actuelles (« Killing Technology », « This Is Not an Exercice »). Comme pour son prédécesseur, Voivod divise l'album en deux faces : la Killing Side (Face A) et la Ravenous Side (Face B). Notons que la version CD inclura deux pistes sorties en single 12'' mais non présentes sur la version vinyle d'origine, « Too Scared to Scream » et « Coackroaches ». Ces deux titres, également enregistrés sous la houlette d'Harris Johns, ne dépareillent pas parmi les compositions initialement présentes sur Killing Technology, bien que « Coackroaches » reste fortement teinté du style de Rrröööaaarrr.

Malgré les difficultés de communication entre le groupe et son producteur Harris Johns (les quatre Québécois ne maitrisant pas parfaitement l'anglais à cette période), Langevin considère que Killing Technology est l'un des albums de Voivod qui sonne le mieux. On ne saurait lui donner tort tant cet album reste l'un des classiques absolus de Voivod, au même titre que son successeur, Dimension Hatröss...

Dimension Hatröss : l'affirmation d'un nouveau style (1988)

Lorsqu'il ne tourne pas, le groupe passe son temps en répétition à peaufiner son art. En outre, les quatre musiciens vivent ensemble, ce qui a une influence certaine sur l'alchimie qui règne dans la formation québécoise (et fera toutefois naître quelques tensions qui trouveront leur point d'orgue avec le départ de Blacky en 1991).

« Dimension Hatröss a fait la transition du thrash metal vers quelque chose de très différent » constate Away. Et on ne peut que lui donner raison car dès « Experiment », le titre comme la musique donnent le ton de ce nouvel album. Egalement enregistré à Berlin comme Killing Technology, Dimension Hatröss a été une fois de plus composé sur la route à l'issue d'une tournée européenne avec Kreator. Pourtant, les titres apparaissent très travaillés et annoncent la vague techno-thrash puis techno-death qui déferlera à la transition entre les deux décennies 80-90.

De même, « Chaosmonger » n'a plus grand chose à voir avec le style pratiqué par Voivod sur War and Pain (même le chant de Snake apparaît plus maîtrisé) et l'on reconnaît le riffing si particulier qui deviendra la signature de Piggy et du groupe pour les années à venir. Lors des sessions de travail de Dimension Hatröss, ce dernier était par ailleurs inquiet de la façon dont les autres membres du groupe pourraient accueillir ses nouvelles idées, tant celles-ci étaient différentes du travail proposé jusqu'alors.

A la batterie, le travail d'Away apparaît également très soigné, notamment sur un « Tribal Convictions » qui reste encore aujourd'hui un classique du quatuor. « Macrosolution to Megaproblem » va encore plus loin dans les cassures rythmiques et la complexité de la construction du titre que sur le prédécesseur de Dimension Hatröss.

L'habitude prise par le groupe de nommer ses deux faces de l'album se poursuit ici avec une Face A simplement appelée « Prolog » suivi d'une Face B « Epilog ». Tout comme pour Killing Technology, la version CD a été augmentée du titre « Batman », cover du thème de la série télévisée de 1966. Cette reprise anecdotique réaffirme toutefois l'amour du groupe pour l'énergie punk, tant le chant de Snake (volontairement à la limite de la justesse) n'a plus rien à voir avec le reste de l'album.

Malheureusement, alors que Dimension Hatröss est parti pour lancer définitivement la carrière internationale du quatuor, Piggy se fait diagnostiquer un cancer de la thyroïde et le groupe est contraint d'annuler une tournée américaine prévue avec Testament et Vio-Lence. Le guitariste sera soigné quelques mois plus tard, mais décédera malheureusement en 2005 d'un second cancer du colon.

La carrière du groupe ne s'arrête pas après Dimension Hatröss et Voivod sortira de nombreux chefs-d'oeuvre au cours de son existence, comme NothingFace, The Outer limits, The Wake ou plus récemment Synchro Anarchy avec d'autres line-up. Mais les années 1986-1988 restent une période charnière pour Voivod à plus d'un titre : elles montrent un groupe en évolution constante, qui aura progressé jusqu'à créer son propre style, totalement unique, inspirant depuis de nombreux artistes de la scène metal.

Sources : pour écrire cet article Flashback, nous nous sommes appuyés sur l'ouvrage Cosmic Drama écrit par Michel Away Langevin présent dans le coffret Forgotten in Space (Noise/BMG 2022) ainsi que sur les liner notes présentes dans les rééditions de 2017 de Rrröööaaarrr, Killing Technology et Dimension Hatröss.

 

Cet article est dédié à la mémoire de Denis « Piggy » D'Amour (1959-2005)

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