Gorguts – Colored Sands

Douze longues années après la sortie de leur dernier album studio, From Wisdom to Hate, le groupe culte de la scène death québécoise revient avec Colored Sands. Suite au décès tragique de Steve McDonald (batterie), le groupe avait en effet suspendu ses activités musicales depuis 2002, Luc Lemay (guitare/chant) et Steeve Hurdle (guitare) se concentrant alors sur leur projet parallèle Negativa. C’est avec un tout nouveau line up que Gorguts se reforme autours de Luc Lemay, désormais seul maître à bord. Attardons nous un instant sur les nouveaux musiciens qui composent le groupe. Lemay a su s’entourer de la crème des musiciens nord américains, puisque désormais la batterie est assurée par John Longstreth (Origin), la basse par Colin Marston (Behold…the Arctopus, Dysrhythmia) et la guitare par Kevin Hufnagel (Dysrhythmia). Autant dire que les musiciens qui officient sur cet album ne sont pas des manchots.

Suite à ce retour, nous pouvons légitimement poser les questions suivantes : que vaut Gorguts en 2013 ?  Peuvent-ils faire mieux que leur chef d’œuvre Obscura (1998) ou que l’excellent From Wisdom to Hate (2001) ? Sauront-ils garder leur identité et leur son si particulier qui les a hissé au panthéon du death ?

Avec leurs deux derniers albums, le groupe a su créer une atmosphère très particulière, leur musique oscillant entre Death progressif et musique avant-gardiste. Et bien pour ceux qui avaient adhéré à ce style (et ils sont nombreux), la formule est la même. Attention, Gorguts ne s’auto-plagie pas pour autant. Le groupe a su garder le meilleur des albums sus-cités, tout en ajoutant une ambiance mystique à ce nouveau bébé.

Celui-ci s’ouvre sur la pièce "Le toit du monde" que nous avons pu découvrir en version instrumentale l’année dernière au cours de leur tournée européenne de reformation. Et ce qui saute aux oreilles à la première écoute, c’est l’ambiance torturée et hypnotique des compositions. Celles-ci sont en général assez longues (en moyenne 7mn, soit neuf titres pour une heure de musique) mais on ne ressent aucune lassitude à l’écoute de cet album. L’auditeur se laisse emporter dans l’univers mystique développé par le groupe, univers très bien représenté par une pochette magnifique.

Il faudra de nombreuses écoutes pour se familiariser avec cet album et arriver à l’appréhender tellement les subtilités sont nombreuses. Le groupe maîtrise la dissonance à la perfection, renforçant le coté malsain et torturé de leur musique. Les nombreux changements de rythme apportent véritablement une couleur progressive à l’album. La maîtrise technique de chaque instrument frappe l’auditeur à chaque plage, mais ici, pas de démonstration gratuite, pas de solo en sweep ni de sextolets inutiles, les musiciens mettant leur technicité au service de la musique (écoutez attentivement, si possible au casque, la subtilité des parties de batterie sur "Forgotten Arrows" par exemple).La véritable prouesse technique ici est de maîtriser l’expérimentation sans perdre l’auditeur une seconde ("Embers Voice" en est l’exemple le plus probant).

 

Ici, pas de « bourrinage » intempestif non plus, le groupe privilégiant l’atmosphère éthérée  et la dissonance (à l’image de l’intro du très réussi "Colored Sands", ou encore sur "Le Toit du Monde"), laissant l’ambiance s’installer avant de basculer dans la brutalité la plus bestiale. Les guitares clean et la reverb côtoient les blasts dans des compositions d’une intensité rarement atteinte par un groupe. La voix de Lemay est d’ailleurs légèrement en retrait dans le mix, et ce sur l’ensemble des morceaux, renforçant l’ambiance mystique à travers un chant écorché du plus bel effet.
En parlant du son, celui-ci est fidèle à l’identité Gorguts. La basse est très bien mixée, se faisant claquante par moments, subtile à d’autres. Les guitares de Lemay et Hufnagel se complètent merveilleusement, sortant des riffs alambiqués ("An Ocean of Wisdom", "Absconders") et tourmentés comme eux seuls savent le faire.

L’intensité des morceaux est telle que le groupe a eu la bonne idée d’insérer au milieu de l’album une pièce instrumentale orchestrale en forme d’interlude : "The Battle of Chamdo" permet en effet de laisser reposer l’esprit, tout en continuant le voyage auquel Gorguts nous convie. Et c’est une piste proche d’une musique de film qui nous happe à travers la mélancolie d’un violon. Sur cet interlude les notes semblent fragiles, comme pour mieux contraster avec la violence maîtrisée des autres morceaux.

Cet album, de part la richesse et la complexité des compositions risque de dérouter les néophytes qui s’aventureront sur les terres des québécois et poseront le pied sur ce « sable coloré ». Mais une fois l’album apprivoisé, l’auditeur aura accès à un monde nouveau en terme de sonorité, d’atmosphère et de style. Et en parlant de styles, on côtoie même le jazz progressif ("Absconders", le titre le plus long de l’album) ou le doom avec des tempi lents et des rythmes entêtants.

Gorguts réussit ici à sortir un album dans la lignée d’Obscura, sombre et pesant, tout en gardant son esprit aventureux et expérimental, tel un King Crimson du death. Gorguts, un groupe au sommet de son art, sur "le toit du monde" du death metal.

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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