La vie n'a pas été tendre avec Björn Strid depuis quelques temps : il a fallu trouver un nouveau claviériste pour The Night Flight Orchestra, promouvoir ses albums en pleine pandémie, et surtout accepter la perte de son acolyte de toujours David Andersson, avec qui il officiait dans ses deux projets, Soilwork et The Night Flight Orchestra. Et pourtant s'il y a bien une chose qui peut guérir, c'est la musique. C'est donc un Björn tout sourire et très loquace qui se présenter devant nous pour nous parler du nouvel album de The Night Flight Orchestra, Give Us the Moon". On y aborde des choses très profondes comme l'absence, la résilience mais aussi la France, en résumé, que des mots qui se terminent en "ance/ence". C'est parti, l'interview commence !
Bonjour Björn, comment vas-tu ?
Björn Strid : Ecoute, ça va pas mal du tout même si en ce moment c'est une période assez chargée avec pas mal d'interviews. Mais je ne peux pas me plaindre.
C'est sûr puisque si tu fais plein d'interviews, c'est que tu vas sortir un nouvel album avec ton groupe The Night Flight Orchestra intitulé Give Us the Moon. Comment tu te sens par rapport à cette sortie puisque vous allez le dévoiler dans quelques jours ?
Je me sens bien : j'ai l'impression que nous avons fait tout notre possible pour faire le meilleur album possible. Nous avions besoin de prendre notre temps après le décès de notre guitariste David Andersson, pour faire évidemment notre deuil. Puis on a réuni le groupe et on est arrivé à transformer cela en quelque chose de créatif.
Dirais-tu que le groupe avait besoin de cet album pour vous remettre de ces années terribles : Richard a quitté le groupe, David est décédé, il y a eu la pandémie ...
Je suppose que oui, ça a été assez difficile. Cela faisait longtemps que David n'était plus vraiment parmi nous, il n'était tout simplement pas apte à prendre la route donc Rasmus Ehrnborn l'a remplacé. En plus, nous étions dans la même situation que tant d'autres groupes pendant le Covid et nous devions faire la promo de notre album de l'époque, Aeromantic. On était en tournée depuis une semaine et puis nous avons dû arrêter. Ce fut un gros choc : on avait pris un bel élan et tout a dû être annulé. C'est pour ça que j'ai essayé de retrouver de la joie grâce à la musique et nous avions besoin de nous retrouver. Comme je l'ai déjà dit, ça a pris du temps mais je pense que ce qu'il est ressorti de cette période est vraiment beau. On essaye d'avancer et on est vraiment impatients : on est vraiment satisfait de ces chansons et on espère que les gens le seront et qu'ils pourront ressentir notre sincérité. Je trouve que les mélodies sont plus concentrées et peut-être plus directes mais on retrouve toujours cette notion de voyage.

Le côté positif dans cette période, c'est que vous avez pu faire la première partie de KISS !
Franchement c'était fantastique : on a eu la chance de faire la première partie de leurs deux derniers concerts en Suède. Je n'oublierai jamais cela : j'ai commencé à les écouter quand j'avais 6 ans. Ils ont été super sympas avec nous : on a assisté à leur soundcheck VIP, quand ils jouent des morceaux jamais joués en live ou peu joués. Gene Simmons est venu dans notre loge, on a dansé avec lui et même Paul Stanley est venu nous voir. Doc McGee, le manager mythique du groupe est venu pour nous dire qu'il aimait vraiment le groupe. C'était une expérience fantastique !
As-tu donné des conseils ou des directives aux deux guitaristes lorsqu'ils ont commencé à enregistrer pour pouvoir perpétuer l'héritage de David ?
Je ne crois pas qu'il faille ressasser le passé : Sebastian et Rasmus sont des guitaristes fantastiques et je n'avais aucun doute qu'ils puissent combler l'absence de David. C'était un gros challenge certes mais nous savions déjà que Rasmus était la personne idéale : il faisait partie du groupe depuis longtemps et ses mélodies rappelaient déjà celles de David. C'était une transition assez naturelle et ça ne servait à rien de se poser et d'analyser comment David jouait de la guitare. Rasmus a énormément de talent et il suffit d'écouter l'album pour se rendre compte que non seulement il joue super bien mais en plus il a fait honneur à la mémoire de David tout en apportant une petite touche personnelle.
Avez-vous composé les chansons avant le décès de David ?
Non pas vraiment. David n'était pas vraiment impliqué ces dernières années à cause de sa maladie. J'étais vraiment frustré, étant son ami, car je me sentais impuissant et j'avais l'impression d'avoir tout fait pour lui. C'était vraiment dur de le voir sur la mauvaise pente. Donc on n'avait pas commencé à élaborer cet album ensemble. La quasi totalité des chansons a été composée après son décès et je pense que c'est devenu thérapeutique. Il y a quand même une chanson de l'album : "Like the Beating of a Heart" qui avait été écrite par David il y a quelques années, cinq ou six ans je crois, et qui était destinée à un autre projet que nous devions commencer. Après sa mort, je me suis souvenu de cette chanson et je me suis dit qu'elle ne méritait pas d'être oubliée. J'ai donc décidé de la reprendre, après avoir demandé l'autorisation à sa famille car ce morceau s'intégrait bien dans l'album et cela permettait de lui rendre hommage. Je trouvais ça sympa que David contribue au moins à l'album sur une chanson. Tout le reste a été composé par le "nouveau" groupe mais "Like the Beating of a Heart" était trop belle pour ne pas l'inclure. Il aimait beaucoup cette composition et j'espère qu'il pourra l'entendre d'une manière ou d'une autre.

Maintenant que tu es le compositeur principal, est-ce que cela a affecté la façon de créer du groupe ? Car maintenant tu dois travailler deux fois plus dur !
(Rires) C'est vrai que ça a dû être le plus grand défi d'inclure l'univers de David dans les compos même si je connais bien sa personnalité. Même si nous étions très différents, nous connaissions l'univers de chacun et c'est marrant car autant lui essayait de s'échapper de la réalité, autant moi, j'étais celui qui était ancré dans ce monde. J'étais un peu le gars ennuyeux de la bande. C'était devenu une sorte d'échange : il me faisait m'évader et moi je le ramenais sur terre. En tant qu'auteur-compositeur, il était important de perpétrer la façon unique qu'avait David d'écrire mais il était impossible de le copier. On a essayé de mettre un peu de sa personnalité et Rasmus et Sebastian ont fait en sorte que l'univers de David continue d'exister. Au départ, je pensais réellement que ça allait être plus difficile que ça mais finalement, j'ai "senti sa présence" quand je composais. Alors ce n'était pas de manière effrayante comme un fantôme qui me possédait, mais plus dans un sens positif, comme s'il souriait avec approbation, et c'était très agréable.
D'ailleurs comment procèdes-tu pour écrire des chansons ? Dans le bus de tournée, à la maison, tout le temps ou juste quand vous êtes en studio ?
Tout le temps ! Bon là, notre nouvel album est sur le point de sortir, donc on fait une sorte de pause mais je suis persuadé qu'après la tournée actuelle en Europe, je vais être de nouveaux inspiré. C'est quelque chose qu'on fait constamment : se réunir en studio. En fait, c'est quelque chose qu'on adore faire, on a l'impression de se faire un gros week-end entre potes. On aime passer du temps ensemble, on fait la cuisine, on boit un coup et on compose. Notre studio est un peu comme un lieu pour se retrouver. Je suis certain qu'au printemps, on reviendra au studio peu importe qu'on ait prévu de faire un album ou non.
Y a-t-il une différence entre Soilwork et The Night Flight Orchestra au niveau de la dynamique de composition ?
En fait je sais quel costume je dois porter quand je compose : les deux groupes ont deux mentalités différentes car ils représentent vraiment qui je suis. C'est vraiment une bénédiction de pouvoir avoir ces deux groupes et je suis assez fier de la façon dont j'arrive à passer d'un genre à l'autre. D'ailleurs un petit conseil : si vous vous lancez dans un projet parallèle en tant que musicien, n'hésitez pas à faire quelque chose de totalement différent ! Ca apportera une nouvelle dimension à votre musique.
Par rapport à ces deux groupes justement, je vais sûrement te poser la question la plus difficile : si tu devais prendre un seul album sur une île déserte, tu prendrais lequel?
Un seul par groupe ou un seul tout court ?
Non un seul tout court, je t'avais dit que ça allait être difficile
Ouhla, je dirais The Living Infinite de Soilwork car c'est un album très spécial. J'ai un peu la même impression qu'avec le nouvel opus de The Night Flight Orchestra, mais c'était un vrai défi. The Living Infinite est un double album, et en plus David m'a vraiment encouragé à rejouer de la guitare et à écrire des chansons. Il y a quelque chose de magique qui s'est passé, c'était incroyable. En plus cet album est tellement complexe et dense.
Merci pour ton honnêteté car certains auraient éludé la question. Sur les sites de streaming, vous avez mis en ligne quelques morceaux inédits comme "Cabin Pressure Drops", "Impossible", "Paper Moon" etc ... Est-ce qu'il est prévu de les sortir en version physique comme pour un EP ou resteront-ils uniquement en ligne?
Franchement nous serions ravis mais ça va être compliqué à cause de notre changement de label. On a des tas de chansons dans ce genre et elles méritent vraiment de sortir donc peut-être que ça intéressera Nuclear Blast pour une sortie vinyle ou un simple EP, qui sait.
Pour finir, étant donné que nous sommes une webradio française, il faut que je te pose la question de ton rapport avec notre pays : vous parlez de Paris dans Give Us the Moon, avec Soilwork vous avez composé une chanson qui s'appelle "Nous sommes la guerre"...
Premièrement, Sylvain Coudret joue dans Soilwork depuis longtemps. Et puis j'ai des amis qui vivent en France. David a toujours été obsédé par le français et même à la fin de sa vie, il affirmait qu'il pensait surtout en français. Bon, il ne le parlait pas couramment, mais il nous disait que d'une manière ou d'une autre c'est comme cela qu'il pensait. J'ai toujours eu un petit faible pour cette langue et cette culture. On a même fait un projet avec Apocryphal. Sur le nouvel album de The Night Flight Orchestra il y a cette chanson "A Paris Point of View" qui a été composée par Sebastian. Il ne m'a jamais dit vraiment de quoi cela parlait, mais moi j'ai compris qu'elle parlait d'un mari ou d'un petit ami qui essayait de sauver son couple en allant à Paris, la ville lumière, la ville de l'amour. Mais il sait déjà que c'est une catastrophe. Dès les premières lignes il dit : "Tu veux des châteaux, tu veux du béton ? " c'est devenu une sorte de chanson à la fois sombre et humoristique. Je ne sais pas si c'est un hommage à Paris mais on a vraiment passé des supers moments dans cette ville et on a décidé de mettre un peu d'humour noir. Et je crois que c'est le genre d'humour qu'aiment les Français.
Un petit conseil, n'essaye vraiment pas de sauver ton couple à Paris car ce n'est pas vraiment la ville de l'amour.
(Rires) Je sais, je sais, mais j'aime beaucoup cette ville !
La transition est toute trouvée : The Night Flight Orchestra sera en concert ce vendredi 31 janvier 2025 à Lyon (Ô Totem Live), et le dimanche 2 février à Paris (Petit Bain) !
Merci à Anais de SLH Agency. Le nouvel album Give Us the Moon sort le 31 janvier 2025 et est disponible ici.
Crédits photo : DR Laura Florin.