En décembre 2024 le groupe de post-metal instrumental Dragunov sortait l’excellent VEPR, que nous vous présentions en avant-première à La Grosse Radio. Le duo nantais se lance en ce début d’année dans une tournée française avec une série de release parties à Rennes, Nantes et Paris – cette date parisienne, initialement prévue au Cirque Electrique, dont le club est malheureusement toujours fermé, a été déménagée à Montreuil, aux Nouveaux Sauvages.
La salle qui accueille ce soir Dragunov et les trois formations qui l’accompagnent se révèle être le sous-sol du bar montreuillois, espace exigu laissant peu de place aux quatre groupes pour installer leur matériel. Devant des murs bruts décorés de portraits féminins signés de street artistes locaux, les réglages et l’installation des groupes se fait de façon artisanale, à quelques centimètres du public compact remplissant aisément la micro-cave.
Maudits
Quelques mois après l'avoir vu en ouverture de Klone à Petit Bain, on retrouve le groupe de post doom instrumental en configuration trio pour un set électro-acoustique. Les deux Maudits d'origine, Olivier Dubuc (guitare) et Erwan Lombard (basse) sont accompagnés du violoncelliste Raphaël Verguin. Le set est introduit par des accords délicats des trois instruments sur "Ghost Track", Erwan muni d’un archet pour frotter les cordes de sa basse, avant que le sample de rythmique entêtante ne se lance. Le son est plutôt bon, permettant aux trois musiciens de pleinement développer des ambiances sonores contemplatives et planantes. "Precipice Part 1" plonge la petite salle dans des univers hypnotiques à la Massive Attack.
Au menu de ce set intimiste et poignant de Maudits, des transitions ambiantes entre les morceaux, des crescendos menés au violoncelle et à la guitare, des effets de tonnerre crées par les coups d'Erwan sur sa basse à six cordes ("Perdu d’Avance"), des lamentations du type chant des baleines au violoncelle,... Le musiciens exploitent à fond les nombreuses pédales d’effets présentes au sol, ainsi que le loop pour Olivier, pour un rendu entêtant magnifié par les rythmiques obsédantes du type trip hop qui sont la marque de fabrique du groupe, dont on vous recommande chaudement le dernier opus Precipice sorti en 2024.
Le public semble bien apprécier cette mise en bouche psychédélique et atmosphérique portée par de superbes mélodies et beaucoup, beaucoup de réverbération. Très à l'aise dans les expérimentations, et dans ce format électro-acoustique, les musiciens montrent une complicité palpable et accueillent avec un air ravi les applaudissements chaleureux du public.
Ignito
20h40, après une installation express, changement radical d’ambiance. Le trio grenoblois de punk / noise / hardcore débute son set dans les larsens et les échos crasseux. Ça promet du sale, et le set est en effet explosif, à grands coups d’accélérations et de rythmiques effrénées. Le bassiste / chanteur saute, crie, chante aussi, dans une énergie très punk virant hardcore par moments, avant un second morceau sur lequel des riffs stoner s’invitent, délivrés par le guitariste plus impassible. Le chant en français se fait rageur et l’énergie tutoie le crust, la désillusion s’invite quand les hurlements du vocaliste sont audibles – le son est fort, et le punk délivré par Ignito s’orne d’un twist moderne avec l’utilisation d’effets étranges et de grésillements sur le chant.
Le vocaliste fait vibrer sa basse et racle même le plafond plutôt bas de la cave avec le manche de son instrument. Il y a de l’écho sur son chant rauque, et il a l’air complètement habité, presque illuminé, mais le guitariste quant à lui ne peut pas cacher son sourire. Ça bouge bien dans le public, et on ressent même chez certains de la frustration, le manque de place empêchant tout départ de pogo.
Sur l’ultime morceau, des accords plus lents vibrent, et le groupe se lance dans un passage doom presque épuré avant une ultime accélération furieuse et un arrêt brutal du set. Le trio a sérieusement réveillé Les Nouveaux Sauvages, en faisant bien monter la température avant les deux derniers groupes.
Witchorious
Nouvelle installation rapide, quelques centimètres devant le public. Des amplis Orange font leur apparition, quelques bougies sont allumées, la fumée remplit la petite pièce, et les lumières se tamisent dans des tons orangés : le rituel du trio francilien de doom metal peut commencer. Witchorious, qui nous avait fait forte impression du côté de Savigny-le-Temple lors du festival Grand Paris Sludge au printemps 2024, bénéficie ce soir d’un son plutôt bien mixé, mettant en valeur les lignes vocales de Lucie Gaget (basse) et Antoine Auclair (guitare), au milieu des accords groovy ("Sanctuaire") et de la percussion de Paul Gaget, impérial à la batterie ce soir ("Beg for Evil").
La setlist du soir est issue en grande partie de l’opus éponyme du groupe, sorti douze mois plus tôt ; sur certains morceaux, le cri puissant et écorché d’Antoine prend le lead ("Watch Me Die"), sur d’autres il se mêle parfaitement avec le timbre chaud de Lucie ("Monster", ou la plus rythmée "Catharsis"), envoûtante sur "The Flame". Les lignes de basse se font bondissantes, les riffs fleurent bon le proto metal, et la prestation du trio semble faire l’unanimité auprès du public qui danse et communie avec les musiciens et applaudit chaleureusement dès qu’Antoine prend la parole entre les morceaux pour adresser de nombreux remerciements.
Dragunov
L’installation des instruments prend plus de temps pour le duo, qui fête ce soir son centième concert depuis ses débuts, en plein milieu d’une tournée consacrée au dernier opus sorti il y a trois mois. La batterie de Tristan Monein est disposée de profil, sur le côté droit, face à l’impressionnante pedalboard de Sébastien Pineau (guitare). Le grand logo triangulaire de Dragunov, muni d’un projecteur, est tant bien que mal installé au fond de la salle, et les balances se font à la bonne franquette, avec un petit avertissement lancé par le batteur à l’ingé son : "Je te préviens, je joue très fort !"
Comme à leur habitude, les visages des musiciens sont dissimulés sous des masques à gaz pour le début du set, histoire de mettre en place sans difficulté cette atmosphère froide et angoissante caractéristique de l’ère soviétique qui est leur source d’inspiration esthétique. Des progressions de cordes redoutables s’imposent d’emblée sur "Makhno", dans une ambiance inquiétante, avant que le combo ne tombe les masques. Comme habité, Tristan s’agite derrière les fûts, crie et salue la salle, avant de lancer "65-76", morceau issu du précédent opus, Arkhipov, sorti début 2020, que Sébastien entame au beau milieu du public compact.
Retour à des compositions plus récentes avec de nombreux morceaux issus du récent VEPR, album concept consacré à l’histoire ukrainienne, et cela commence avec l’intro presque techno de "Holodomor", à la rythmique furieuse, pépite post-metal aussi lourde qu’angoissante. Sur des passages entêtants, le guitariste utilise avec brio ses pédales de loop pour créer des murs de riffs ravageurs, retournant parfois dans le public ou posant carrément sa guitare sur le sol pour s’armer de baguettes et assister Tristan aux fûts. Ce dernier s’impose magistralement, offrant des moments de double pédale dévastatrice ("Alligator") et des charges d’une force inouïe (nous avions été prévenus !).
On s’en doutait déjà, mais c’est confirmé ce soir : les compositions de ce nouvel album passent haut la main l’épreuve du live, avec la bonne surprise du chef, l’excellent "The Great Hour" joué ce soir avec la participation d’un ami de Dragunov, Clément, venu poser sa voix sur le single enregistré en studio en featuring avec le Belge Stefan de Graef (Psychonaut, Hippotraktor). Le morceau est redoutable, et le chanteur du soir s’en sort avec les honneurs sur les parties hurlées.
Le set s’achève presque un peu trop rapidement, après sept titres il est déjà l’heure des remerciements et de lancer "2402", consacrée à l’invasion russe en Ukraine il y a trois ans déjà. Ce crescendo monumental et épique achève la soirée de la meilleure des manières, et le public, l’air ravi, profite de la proximité avec les musiciens pour prolonger la soirée au sous-sol, où résonne dès la fin du set de Dragunov le morceau "Vladimir" du groupe humoristique Soviet Suprem …
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