Rencontre avec les Enfants de Sabbath

Par un triste hasard du calendrier, c’est quelques jours après le dernier adieu sur scène d’Ozzy Osbourne mais aussi une semaine avant le décès du leader de Black Sabbath que nous nous entretenons avec deux des auteurs du très bon livre Children of the Sabbath. Sans leur compère Guillaume Fleury, Mathieu Yassef et Gabriel Redon nous ont longuement parlé de leur amour pour Black Sabbath qui s’est concrétisé dans cet ouvrage récemment sorti aux Editions des Flammes Noires. L'occasion de revenir sur l’origine du livre, mais également sur la carrière du groupe de Birmingham, jusqu’à cette belle dernière soirée donnée en hommage à Ozzy chez lui. Avec le décès d’Ozzy, nous sommes désormais tous orphelins, nous tous, les Enfants de Sabbath…

Bonjour à vous deux ! Nous sommes réunis comme des sorcières à une messe noire pour parler de votre ouvrage Children of the Sabbath. Je ne vais pas vous demander quel est votre titre préféré de Black Sabbath car vous expliquez tout cela très bien dans le bouquin. Par contre, j’aimerais revenir avec vous sur la genèse du projet…

Gabriel : De mon côté, ma passion pour la musique reste un loisir actif. J’écris sur la musique depuis une quinzaine d’année, puisque j’ai été chroniqueur chez Nightfall in Metal Earth. Lorsque j’ai arrêté, Mathieu m’a proposé de faire un podcast sur Black Sabbath et j’ai vu cela comme une suite logique. D’ailleurs j’avais déjà beaucoup écrit sur BS sur Nightfall même si aujourd’hui mes chroniques ne sont plus du tout d’actualité vu que j’ai changé d’avis sur plein de choses. Mais ce podcast m’a permis de revenir sur des choses que j’avais dites à l’époque et de proposer un avis plus nuancé. Avant de travailler sur ce podcast, Mathieu organisait les Stoned Gatherings, des concerts sur Paris entièrement tournés vers le stoner. Nous étions rentrés en contact car je voulais qu’il programme mon groupe. Au final, cela ne s’est jamais fait, mais nous avons sympathisé autour de notre passion commune pour Black Sabbath.

Mathieu : Nous avions également échangé ensemble à l’occasion d’une conférence que j’ai donnée sur le stoner à Ivry en octobre 2013. A partir de ce moment-là, on ne s’est plus vraiment quittés.

Vous venez de sphères médiatiques très différentes (Youtube, podcast, presse écrite, webzinat). Comment s’adapte-t-on lorsque l’on passe de ces médias à l’écriture d’un ouvrage ?

M : On a toujours écrit dans des webzines car on avait la volonté et l’envie d’utiliser les mots. Comme ce sont des médias immatériels (malgré l’immense qualité du webzinat français), on avait une petite frustration de voir nos écrits parfois noyés dans la masse. C’est ce qui nous a fait nous diriger vers le podcast en se disant que c’était peut-être un média plus facile à écouter aujourd’hui. Quand j’ai rejoint Rock Hard, c’était également pour laisser une trace sur un objet papier, imprimé. Le livre c’est la suite logique de cette aventure, cela concrétise ce travail. Pour nous c’était une évidence.

C’est logique également lorsque tu vois que les metalleux restent encore très attachés au format physique de la musique (CD, vinyles). Là aussi on est dans l’envie d’avoir un objet, quelque chose de tangible entre les mains ?

G : C’est complètement ça ! Il faut savoir aussi que lorsque nous étions aux débuts du podcast, certains de nos auditeurs voulaient que l’on édite des versions CDs de nos échanges, de podcast. Alors que personne ne fait ça ! (rires). C’est aussi un travail qui découle de notre rencontre avec Guillaume (Fleury, troisième auteur de l’ouvrage et journaliste chez Rock Hard NDLR) qui s’est effectuée lorsque l’on a enregistré l’épisode sur Masters of Reality. Quand on s'est rencontrés, on a accroché assez vite car on a un humour qui est quand même assez similaire mais également un souci du détail dans la recherche d'informations. Guillaume, c'est aussi quelqu'un qui est très ouvert d'esprit comme nous. C'est-à-dire qu'il n'écoute pas que du métal, mais aussi de la pop et beaucoup de choses qui sont très variées. Il a une très grande culture aussi bien littéraire qu’historique. Ce qui s’est naturellement imposé à nous comme une version dérivée du podcast, c’était un livre. Mais surtout un livre que l’on écrirait à trois. Mais il fallait quand même que l’on trouve notre fil rouge, c’est-à-dire le thème que l’on allait choisir. Car des livres sur Black Sabbath, il en existe plein. Notre angle d'approche ne devait pas être une redite de ce que des gens comme Nicolas Merrien ou Guillaume Roos ont déjà fait en français sur Black Sabbath. Le coup du classement, ce n'est pas mon idée mais celle de Mathieu, car il adore les classements…

Encore une fois, c’est quelque chose que l’on retrouve beaucoup dans la communauté metal, notamment avec les top 10 de chaque fin d’année !

G : C'est vrai que c'est typique, mais moi, par exemple, c'est quelque chose avec lequel je ne suis pas forcément familier. À chaque fois que j'ai fait des classements par le passé, c'était toujours un exercice que je m'imposais pour faire comme les autres. Et puis, on s’est mis d’accord sur le choix des morceaux donc cela ne m’a pas déplu au final.

M : Comme tu l’as dit, il y a déjà une grosse bibliographie concernant Black Sabbath, et elle va encore s’enrichir. Comme le podcast que nous animons a pour vocation d’être le plus précis et fidèle possible, on s’est dit qu’on ne pouvait pas faire une biographie classique car cela serait trop lourd et compliqué si l’on recherchait l’exactitude sur tous les points. Concernant les classements, je ne suis pas juste un amateur de ce format, je suis véritablement un maniaque du classement, c’est une vraie déviance chez moi (rires). Et sur le format du livre, on souhaitait proposer un ouvrage peu cher (à moins de 20 €) et fun. Je pense qu'on a réussi à combiner tous ces éléments. Et surtout, dans la lignée du podcast, nous souhaitions parler de tous les albums et de toutes les périodes, y compris les plus compliquées musicalement. Cela m’a permis de découvrir des aspects que je connaissais moins. En s’y replongeant et en trouvant les anecdotes de ces périodes, notamment le côté « loose » du groupe, cela nous a amené la plus-value que nous recherchions.

Ces anecdotes, c’est aussi ce qui est intéressant à extraire et qui vous a forcés à faire un travail de recherche…

G : Oui. Mais finalement, même si cela rejoint mon activité professionnelle d’enseignant-chercheur en histoire, je me suis rendu compte que ce côté-là était plutôt amené par Mathieu et Guillaume. Ils ont voulu recouper les informations de façon parfois ultra pointues sur certaines périodes. C’est comme cela que nous avons attribué les rôles de chacun. De mon côté, j’étais plutôt à l’aise avec la période 1980 jusqu’aux années 2000. Les périodes les plus récentes correspondent à celles où nous avons tous les trois découvert le groupe et commencé à aller le voir en concert. Donc cela relève finalement plus du souvenir personnel que de l’enquête de fond… Quand on faisait le podcast, c’est aussi ce qui m’a plu : j’ai eu hâte que l’on s’attaque à la période Dio / Tony Martin pour me sentir complètement à l’aise vu que c’est celle que je connaissais le mieux.

On retrouve une vraie honnêteté dans la recherche des sources puisque lorsque vous mentionnez l’anecdote du choix du titre « Fearies Wear Boots », vous parlez des trois origines possibles tout en précisant pourquoi certaines ne peuvent pas toutes être véridiques.

M : C’est ce qui a été la grande découverte dans ce travail puisque nous avons vite pris conscience que Black Sabbath n’était pas le groupe le plus fiable du monde… Je pense qu’il y a à la fois des réécritures de la part des musiciens mais également que la mémoire défaille… Car avec Black Sabbath, il ne faut surtout pas prendre pour argent comptant ce que le groupe raconte. A partir de là, s’est mis en place un jeu d’enquête auquel on a vraiment pris goût et qui est assez excitant ! Le dernier truc que l’on peut débunker, c’est le premier endroit où Black Sabbath a joué. Récemment, un pub de Birmingham du nom de The Crown a été redécoré autour de l’image du groupe en raison du concert Back To the Beginning. Tout le monde est donc allé voir le lieu où Black Sabbath a donné son tout premier concert. Sam Dunn (vidéaste et auteur d’une série de documentaires sur le metal, NDLR) en a également parlé. Quand je suis allé au pub il y a quelques jours, j’ai pu voir qu’il était écrit en tout petit que l’on n’était finalement pas bien sûr du lieu de ce premier concert ! (rires) En réalité, il s’agirait d’un vieux théâtre localisé à 100 bornes ! (rires)

G : Ce côté approximatif, un peu saboté voire loser de Black Sabbath c’est quelque chose qui a toujours fait partie du groupe. Cela explique peut-être pourquoi le quatuor n’a pas eu une carrière aussi « réussie » que celle de Led Zeppelin ou Deep Purple. Ces derniers continuent aujourd’hui leur carrière de façon assez lisse et pépère… ça ronronne si je puis dire, surtout depuis que les éléments perturbateurs comme Ritchie Blackmore ont été évincés. Black Sabbath c’est l’opposé, c’est un groupe qui est à l’arrache dans tout mais qui nous donne cette affection particulière pour eux…

Après, la carrière de Led Zeppelin a été très courte en comparaison et Deep Purple a également connu de gros moments de flottement…

Oui, et Led Zeppelin tout comme Deep Purple avaient splitté au début des années 80, qui a été un peu la décennie de tous les dangers pour les artistes de cette période. Pour Led Zep, comme tu le disais, leur carrière courte leur a permis d’accéder à un statut de légende comme pour des Bob Marley ou Nirvana, et ce statut n’a jamais été remis en cause. Pour Black Sabbath, on est au contraire dans le cas d’un groupe qui a connu de nombreuses galères et qui a toujours eu les deux pieds dans la merde ! Et c’est ce qui nous passionne chez eux. Deep Purple sont quant à eux des gens éduqués et bourgeois avec une vraie formation musicale.

Black Sabbath c’est aussi un groupe qui a été à l’origine de nouveaux styles, tels que le metal et le doom, voire le stoner, mais qui s’est également adapté à d’autres modes… Je pense notamment à la NWOBHM pendant la période Dio ou à l’AOR durant la période Glenn Hughes avec « No Stranger to Love ». Avec le recul, est-ce que c’est ce qui lui a conféré sa longévité, alors que le groupe aurait pu faire comme Motörhead ou AC/DC en restant dans une certaine zone de confort pendant 50 ans ?

M : Effectivement, ils ont inventé certains styles mais quand ils étaient en galère, ils ont couru après d’autres modes pour retrouver le succès. Et s’ils étaient toujours restés dans le doom, je pense qu’ils n’auraient pas eu plus de succès, mais ils auraient eu une meilleure reconnaissance à postériori. Les gens auraient dit « vous n’avez jamais renié votre style et jamais lâché la rampe ». Au final, c’est une sorte d’erreur de la part du groupe et cela ne les a pas servis. Le public garde en tête surtout la période Ozzy (au moins les six premiers albums), certains savent que la période Dio est également un grand moment de l’histoire du groupe. Pour le reste, même s’il y a des fulgurances (et c’est la raison pour laquelle on en a intégré dans nos classements), cela reste un groupe qui court après son temps !

La grande force justement de ce livre, à mon sens, c’est de redécouvrir les mal-aimés. En ce qui me concerne, je n’écoutais jamais les deux bonus du live Reunion et j’ai redécouvert "Psycho Man" notamment. Quand vous vous êtes lancé dans le projet, c’était pour qui en particulier ? Pour les fans hardcore du groupe ou pour faire découvrir Black Sabbath au néophyte ?

G : Non, on s’adresse vraiment à tout le monde. Quand on a fait les séances de dédicace, on s’est rendu compte qu’il y a tous les profils parmi nos auditeurs et lecteurs : il y a ceux qui connaissent un peu le groupe mais qui n’ont pas creusé (sachant que certains albums ont été longtemps difficiles à trouver). Il y a aussi ceux qui ne connaissent que le groupe de nom et qui ont découvert la discographie grâce à nous. C’est ce qui nous a fait super plaisir ! On cherche surtout à être des vulgarisateurs et à proposer un travail d’investigation, mais aussi à essayer d’intéresser des gens. Dans le metal, il y a un énorme rôle du bouche-à-oreille pour faire découvrir des artistes. Pour Black Sabbath, cela fonctionne à nouveau de cette façon depuis une dizaine d’années, depuis qu’ils ont annoncé arrêter leur carrière. De nouvelles personnes se sont intéressées au groupe à cette occasion et ont par ailleurs entrepris un gros travail de réhabilitation de certaines ères, notamment toute la période Tony Martin. Il a fallu attendre longtemps pour avoir la réédition des albums de cette période, puisqu’on en parlait depuis 2012-2013.

Cette réhabilitation de certaines périodes du groupe me fait songer à un dossier que Rock Hard a consacré il y a deux ans à Born Again, et en le mettant « en concurrence » avec Bark at the Moon et Holy Diver sortis la même année en 1983. Mathieu, est-ce que c’est aussi ce qui vous a motivé avec Guillaume à proposer cet ouvrage ?

M : Alors le podcast avait déjà débuté au moment où on a proposé ce dossier. Mais pour la petite histoire, il faut préciser que je venais de rejoindre l’équipe. C’était mon deuxième mois chez Rock Hard et le rythme est assez speed dans la presse papier. Par conséquent, je venais d’être un peu secoué par mon rédac chef qui m’a dit que sur certains délais je n’avais pas assuré. Il fallait donc que je mette les bouchées doubles pour la suite. Pour assurer le coup, Guillaume m’a filé un coup de main pour faire un gros dossier sur l’histoire de ces trois albums. Contrairement à moi, Guillaume et Gabriel aiment tous les deux Born Again (et tous les trois, on adore Holy Diver et Bark at the Moon). L’idée de départ c’était de reprendre les liens entre ces trois albums, notamment sur les guitaristes qui ont auditionné pour Ozzy suite au décès de Randy Rhoads. Et nous étions loin d’imaginer que cela ferait un aussi gros dossier, qui plus est illustré par une couverture de Stan Decker

G : Et effectivement, les connexions sont dingues, comme Steve Joule, qui est l’artiste qui a réalisé le logo d’Ozzy, qui réalise la pochette de Born Again… Pour revenir sur Rock Hard, il faut préciser qu’avant même que Mathieu ne rejoigne l’équipe, le magazine a proposé un dossier sur deux numéros consacré à la période Tony Martin de 1987 à 1995, soit les dark ages de Black Sabbath. Cela rejoint ce que je disais tout à l’heure, cette volonté de documenter cette phase depuis une dizaine d’année, à travers des interviews du bassiste de l’époque Neil Murray et Tony Martin, qui ont été reprises récemment pour la sortie du coffret Anno Domini. On voit bien que le public a envie de savoir ce qu’il s’est passé pendant cette période mal-aimée. C’est pareil avec Deep Purple (on voit des gens qui s’intéressent à la période Joe Lynn Turner) ou Morbid Angel… On veut savoir ce qu’il se passe dans la tête de ces groupes qui connaissent des moments difficiles mais continuent de sortir des albums.

C’est quelque chose que tu retrouves aussi beaucoup dans les biopics au cinéma, où l’on aime bien mettre en avant la belle histoire du groupe ou de l’artiste qui tombe dans les limbes, connait une longue traversée du désert avant de revenir en force et connaître un état de grâce.

G : Oui c’est ça ! Mais quand tu t’intéresses à ces périodes un peu plus sombres, tu t’aperçois qu’il y a toujours un élément qui te ramène à l’origine du groupe. Même sur Born Again ou Headless Cross, ça reste Black Sabbath dans une version qui a un peu muté. Pour moi, tu ne peux pas expliquer la reformation de 1997 et ce qui s’ensuit si tu ne prends pas en compte ce qui se passe pendant ces années sombres.

Pour revenir sur le livre, on voit que vous avez apportez du soin également à l’objet, avec un grammage de qualité et de belles illustrations…

M : Oui, ça nous tenait à cœur dès le départ et pour le grammage, ça me touche que tu l’aies noté. Pour les illustrations, nous avons travaillé avec Ëmgalaï, qui est un artiste que l’on aime beaucoup. Lorsque nous nous sommes rapprochés de l’éditeur, nous avions déjà un produit fini à lui proposer, déjà maquetté. On voulait que les dessinateurs confrontent leur style aux morceaux de Black Sabbath.

G : A la base on voulait que chaque artiste nous fasse un dessin qui lui ressemble. Mais en discutant des questions de budgets, certains nous ont dit « écoute, j’aime le projet, je vais faire un deuxième dessin pour le même prix ». De mon côté, j’en ai fait aussi sous mon pseudo de dessinateur – H-P Mathieu. Donc ça s’est fait de cette façon, mais on voulait une unité et une cohérence avec des illustrations en noir et blanc. C’est un bouquin qui nous ressemble aussi à ce niveau-là, on y a mis beaucoup de nous-mêmes et on a intégré beaucoup de copains au projet !

Vous avez intitulé cet ouvrage Children of the Sabbath. Aujourd’hui, bien des artistes se revendiquent ouvertement de l’héritage du groupe : je pense à Sorcerer, Candlemass, Zakk Wylde ou encore indirectement à Pentagram…

M : Ça ne va pas leur plaire ! (rires)

Peut-être mais c’est comme ça ! (rires) Pour vous quel artiste incarne aujourd’hui le mieux cet héritage Black Sabbath ?

Tout dépend ce que tu entends par héritage ! Est-ce que c’est le groupe qui aujourd’hui les copie ? Et dans ce cas, on peut citer Orchid qui fait du Black Sabbath période Ozzy mais avec des morceaux originaux. Ou bien, est-ce que c’est le groupe qui porte l’esprit ? Je pourrais caricaturer en disant qu’un groupe prolétaire qui parvient à obtenir du succès malgré une presse qui lui est hostile, aujourd’hui, c’est Sabaton ! (rires) Et cela ne reflète pas mes goûts. Ou alors Sleep Token.

G : Moi j’ai une réponse alternative ! Je propose Judas Priest dans la mesure où c’est le seul groupe qui reste des origines du metal. C’est le plus ancien si l’on met de côté Deep Purple (qui est un peu à part car ils sont plutôt typés hard rock). Judas Priest a connu les débuts du metal mais leur succès est arrivé après. Autrement, on peut toujours argumenter que tous les groupes de metal sont les héritiers de Black Sabbath, jusqu’au groupe de death ou black le plus obscur…On trouve toujours un lien avec Sabbath.

Ce que tu dis fais écho avec le fait que beaucoup de groupes, quel que soit le style, ont réalisé des reprises de Black Sabbath (des plus connues comme « Planet Caravan » par Pantera en passant par celle de « Black Sabbath » par Vader). Vous parlez un peu des covers dans le bouquin. Quelles sont les plus marquantes pour vous ?

G : Moi j’ai découvert Black Sabbath par une reprise, c’était celle de "Hole in the Sky" par Metallica qui a été jouée il y a quelques jours au concert Back to the Beginning. Pour moi, les reprises de Metallica sont en général excellentes et je dirais que Garage Inc. est une belle introduction au metal pour ceux que vous souhaitez initier au style. Ça a d’ailleurs été une porte d’entrée pour moi vers plein d’autres groupes.

M : Moi j’aime beaucoup les reprises par les artistes qui ne sont pas des groupes de metal à l’origine, comme Charles Bradley qui reprend « Changes » en version jazzy / soul ou T-Pain qui prend « War Pigs »… ou Ukandanz qui reprend « War Pigs »… Ou Judas Priest qui reprend « War Pigs » ! (rires).

Oui, une reprise qui est tombée à pic pour les célébrations de Back to the Beginning. Je sais que vous êtes allés tous les deux à Birmingham pour ce concert d’adieu. Avant de revenir sur le concert en lui-même, comment avez-vous vécu l’annonce ? Il y a eu notamment des débats enflammés sur la toile il y a quelques mois, concernant les tarifs, l’affiche et le fait qu’on savait déjà qu’Ozzy était assez malade et diminué…

M : Au moment de l’annonce, passé le fait que j’étais content que l’événement se tienne, on s’est très vite dis qu'avec Gabriel on avait envie d’y aller. On savait que c’était un pot de départ à la retraite, pour pouvoir dire au revoir à Ozzy, les yeux dans les yeux. Avec cet état d’esprit, tu peux accepter pas mal de choses… Concernant l’annonce des groupes, je n’étais pas loin d’être dépité car 80% des artistes annoncés ne m’intéressaient pas. Pour les prix, je dois avouer que je trouve ça « correct dans le cher » ! C’est-à-dire qu’entre 100 et 500 euros pour cet événement de dingue, je trouve ça encore raisonnable. Certes il y a eu des packs hôtel, des packages complètement abusés mais c’est autre chose. Ce que je peux dire c’est que la différence entre tout ce qui pouvait me gonfler en amont et le bonheur absolu que j’ai vécu sur place est abyssale !

G : Quand l’événement est sorti, de mon côté j’étais au comble de l’excitation. J’avais vécu le dernier concert français de Black Sabbath en 2016 au Hellfest mais pas le dernier concert de la tournée The End à Birmingham en février 2017, à l’époque présenté comme le dernier concert tout court ! Mathieu y était, lui. Quand ils ont annoncé ce Back to the Beginning, je me suis dit que j’allais pouvoir vivre ce que j'avais loupé en 2017. Mais la mise en vente des places a été un enfer et je n’ai pas eu de billet. Donc je m’étais dit que je n’irai pas, je m’étais préparé à regarder le show en streaming (rires). Puis j’ai eu une proposition à la dernière minute donc je l’ai acceptée immédiatement même si je me suis endetté pour y aller ! Je ne regrette absolument pas, même s’il y a eu certains points négatifs comme les conditions de sécurité… Et si tu voulais aller chercher quelque chose à boire ou à manger tu loupais forcément un artiste vu le temps de jeu de chacun… le fait de devoir payer 500 balles pour être devant la scène me pose aussi forcément un souci, car je suis pour la démocratisation de l’accès au spectacle, surtout pour un groupe prolétaire.

Mais j’imagine que voir le groupe d’origine avec Bill Ward, ça rattrape beaucoup de choses non ?

M : Il faut reconnaître que ce n’était pas une grande prestation de batteur, mais c’était un grand moment quand même ! Mais c’est logique, sachant qu’il n’a pas joué depuis 2005, il est complètement hors de forme. Toutefois, la volonté qu’il y a mis, ça rattrape beaucoup de choses. Ce qui m’a marqué c’est de voir Iommi se rapprocher de Bill Ward à un moment où il était en difficulté rythmiquement et lui donner le tempo en battant du pied pour l’aider. Quand tu vois ça, tu ressens de la fierté pour le groupe et cet esprit de camaraderie qui reste jusqu’au bout. C’est pareil pour Ozzy : à la fin du show on l’a vu sortir de scène le poing levé rageur, avec l’émotion de celui qui a trompé la mort. Et là, rien que d'en parler, j’ai les larmes aux yeux ! C’est ça qui a été fort à travers cet événement finalement, peu importe si c’était bien chanté ou pas. Quand tu viens assister au pot de départ de quelqu’un, tu ne t’attends pas à ce que ça soit sa meilleure journée de boulot, tu viens lui dire au revoir.

G : Et il faut se dire que ce sont des gens qui n’ont pas joué ensemble depuis 20 ans et qui ont des problèmes de santé. Ozzy, durant les deux sets qu’il a faits, dès qu’il ne chantait pas, il prenait un ventilateur et tu sentais qu’à tout moment il pouvait presque faire un malaise sur scène. Mais quand tu es sensible aux questions sur le handicap, sur la maladie, cela te permet de remettre les choses en perspective : ce sont des êtres humains.

Aujourd’hui, quel autre groupe pourrait mériter un tel hommage selon vous ?

M : Je pense à Judas Priest. Car même si on entend que sans Black Sabbath le metal n’existerait pas, d’autres groupes auraient pu franchir ces limites. Judas Priest a commencé un peu en même temps et aurait pu être ce groupe-là. Du côté des metalleux, en dehors de Black Sabbath il n’y a pas beaucoup de groupes aussi fédérateurs et pour lesquels tout le monde aurait une anecdote ou un lien particulier à part des Judas Priest, Metallica, Iron Maiden voire AC/DC

Oui mais ce sont des groupes qui ont réussi à aller au-delà de la seule sphère du metal et à devenir aussi des icônes de la culture populaire !

C’est vrai. Et parmi ces groupes, finalement Black Sabbath reste une anomalie car hormis certains titres iconiques, ils ont tellement de compositions que personne ne connaît. Quand à Birmingham Metallica a repris "Johnny Blade", il y avait comme un silence gêné. C’était une sacrée surprise de leur part d’exhumer un titre aussi peu connu après "For Whom the Bell Tolls", "Battery" ou "Master".

G : Un tel événement, ça arrivera peut-être pour Maiden ou AC/DC. Mais pour Maiden, on attendra encore longtemps avant que ça ait lieu car le groupe est encore en grande forme. Je pense que l’événement de Birmingham en inspirera d’autres car vu comment ça a marqué les esprits, on n’est pas à l’abri que des promoteurs tels que Live Nation souhaitent refaire la même chose dans 15 ans.

M : Et jusqu’à présent, peu d’événements comme ça ont eu lieu ! Il y a eu le tribute à Freddy Mercury, les Live AID de 1985 et de 2005 (mais tu n’as que trois groupes de hard rock / metal). Il y a peu de concerts de cette ampleur, c’est pour cela qu’il faut que ça reste un événement exceptionnel. Autre chose, Ozzy a réussi à créer une vraie famille autour de lui et une communauté de musiciens prêts à prendre l’avion et à galoper pour lui mais je ne suis pas sûr que beaucoup d’autres artistes arrivent à créer ce lien avec d’autres groupes. Et puis, il faut quelqu’un comme Sharon Osbourne pour gérer le plan logistique.

G : A titre personnel, j’avais entendu des échos il y a déjà deux ans comme quoi un tel événement était en préparation à Birmingham sans vraiment savoir quel serait le format. Je pense que la maladie d’Ozzy a précipité les choses et a impacté le format de la soirée. S’il avait été en meilleure santé, on aurait peut-être eu quelque chose de plus classique, un concert complet d’une heure. Mais je pense qu’il a fallu s’adapter à la dégradation de son état de santé en proposant ce format-là...

Cela m’amène à ma dernière question : s’il devait y avoir un autre artiste pour lequel vous consacreriez un nouveau livre sur ce format, quel serait-il ?

M : On a dans l’idée de réaliser un podcast autour d’Ozzy et de Dio et de leurs carrières solos. Mais je ne sais pas s’il y aura un autre bouquin là-dessus. Pour un autre artiste, comme Maiden par exemple, je ne pense pas être le plus qualifié pour le faire. Je m’y connais, mais cela me demanderait beaucoup de travail pour aboutir au même résultat.

G : Il y aura aussi quelques épisodes bonus sur des live par exemple avant de voir si l’on enchaîne sur la carrière solo d’Ozzy. Surtout qu’il y a matière : l’exemple le plus connu de la vie d’Ozzy Osbourne, c’est le moment où il arrache la tête d’une chauve-souris sur scène dans les années 80 ! Donc il y a matière à faire des choses, en décortiquant ces épisodes de sa vie. Sinon, une fois qu’on aura fini tout ça, je me verrais bien faire quelque chose sur Judas Priest qui est l’un de mes groupes préférés. Quoi qu’il en soit, rien n’est décidé, on verra !

 

Merci à Emilien des Editions des Flammes Noires pour avoir permis cette interview. Nous dédions cet article à Ozzy Osbourne, Ronnie James Dio et Geoff Nicholls.



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