Alex Andrini nous parle de son nouveau projet Dialectical Materialism

Né des cendres de PaRaLLaXe, groupe bordelais de metal instrumental actif au cours des années 2000, Dialectical Materialism se présente sous la forme d'un duo, à la croisée du metal, du progressif mais également de la musique classique et des bandes originales de film. A l'occasion de la sortie d'un premier EP instrumental lorgnant pourtant vers des thématiques originales (sociologie, philosophies et sciences politiques), nous avons souhaité en apprendre plus sur le projet en discutant par mail avec Alex Andrini, guitariste et compositeur de Dialectical Materialism

Bonjour Alex et merci d’avoir accepté cet entretien pour parler de ton nouveau projet Dialectical Materialism. Il y a quelques années, tu as fait partie de PaRaLLaXe, un groupe bordelais de metal progressif instrumental. Pourquoi avoir de nouveau choisi la voie de l’instrumental sur ce nouveau projet ?

Salut et merci pour ces questions, elles vont me permettre de déployer des sujets qui me tiennent à cœur !  Sur ce projet, en tant que compositeur, je suis tout seul et je ne suis pas du tout chanteur. Il faut préciser que je n'ai jamais eu beaucoup d'affinité avec le chant en général, notamment parce que j'ai toujours eu beaucoup de difficultés à apprécier les timbres de voix, surtout dans le prog orthodoxe dont la tessiture à une fâcheuse tendance à s'axer sur le haut du spectre fréquentiel. Je peux même rajouter que parfois le chant, s'exprimant généralement avec des mots, peut venir parasiter mon expérience auditive lors de la découverte d'une œuvre. Les mots étant plus explicatifs que les notes, il arrive parfois que l'histoire évoquée par le texte ne soit pas en adéquation avec la façon dont j'appréhende une proposition musicale. En définitive, je pense tout simplement que c'est dû à ma culture musicale qui s'est forgée au travers, d'abord, de musique classique, musiques de film, puis la musique des guitar heroes (Vai, Satriani..) pour déboucher sur le metal prog où le chant est souvent secondaire voire parfois complètement absent. À noter que Cassandra, avec qui j'ai développé le concept, n'a pas non plus d'affinité particulière avec la musique chantée. Aussi comme tu le soulignes, ma plus grande expérience musicale en tant que compositeur s'est largement agrémentée au sein de PaRaLLaXe, tout cela fait que mon approche créative s'oriente presque fatalement dans ce sens.

Thématiquement parlant, le projet explore des sujets sociologiques et philosophiques. On est loin des thèmes habituellement abordés dans le genre : la Science-Fiction ou la fantasy. Pourquoi ce choix et peux-tu nous résumer le concept abordé dans cette œuvre ?

Le projet est né tout d'abord d'une rencontre, celle que j'ai eue avec Cassandra. Elle naviguait dans un univers très philo et moi, plutôt politique,  et c'est la synthèse de ces deux mondes qui a abouti à notre amour commun pour la sociologie. S'en est suivi une évolution commune, un enrichissement mutuel qui a fini par nous mener vers le matérialisme dialectique (avec les travaux de Lucien Sève, Janine Guespin-Michel, Bernard Lahire, bien sûr Marx et Engels dans l'Idéologie Allemande...). On pourrait aussi se demander: pourquoi ce sont des thèmes aussi peu abordés ? Dans "science-fiction", il y a "science" or les sciences humaines et sociales sont assez peu explorées en général, pas seulement dans l'art, et même souvent bafouées au profit d'une anthropologie de la prédation de l'Homme sur l'Homme.

Si nous sommes souvent en capacité d'imaginer une technologie très avancée (quoique toujours délimitée par les connaissances présentes), on est bien plus en peine de trouver de la créativité pour penser des organisations sociales un tantinet alternatives.  Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans nos vies, nous sommes très peu en contact avec les sciences humaines et sociales que ce soit à l'école ou même dans tout le champ de notre quotidienneté. Elles sont méprisées, considérées comme de l'idéologie (dont les sciences "dures" seraient dépourvues) et donc, supposément pas vraiment de la science.

Pour aller plus loin, c'est simplifié mais, en gros, les transformations sociales, mues par la pratique humaine, métamorphosent les idéologies qui influencent l'univers culturel, dont la musique, qui à leur tour, enrichissent les transformations sociales etc... Pour sûr et au vu de l'état actuel du monde,  je pense que nous observerons de plus en plus  d'activités humaines évoluant en ce sens.

En bref, je répondrais, en bon matérialiste, que si Übermensch? existe c'est parce qu'on vit un moment où les mouvements sociaux d'émancipation reprennent de la force. Pour finir et répondre rapidement à la question, le grand thème d'Übermensch? c'est l'individu et sa place dans le monde social.

 

Le mot « Übermensch » pourrait être traduit par « surhomme ». As-tu l’impression que la société actuelle impose trop d’injonctions aux êtres humains pour arriver à une sorte de perfection ? Ou bien cela évoque-t-il le transhumanisme qui reprend du poil de la bête sous l’égide de multi-milliardaires tout droit issus du néo-libéralisme ?

Übermensch? c'est une référence directe à la pensée de Nietzsche. C'est un concept qui fait référence à l'humanité idéale nietzschéenne, celle qui suivrait son essence véritable à savoir la "volonté de puissance". D'où les nombreuses références dans certaines parties du morceau ("Fiat Lux" est inspiré de la musique Ainsi Parlait Zarathoustra, puis les scènes "... L'abîme te regarde aussi", "Sipo Matador", "Amor Fati").

Si j'utilise le conditionnel, c'est pour la même raison que le titre contient un point d'interrogation : c'est un questionnement et une critique de cette vision. C'est, plus largement, une critique des idéologies du dépassement de soi, du "spencerisme", ou "darwinisme social" (qui n'a aucun rapport avec Darwin), des philosophies de développement personnel, individualistes et naturalisantes. Mais aussi, et ça, ce sera surtout dans la partie 2, une critique de l'idéalisme et du matérialisme mécaniste, pour ce dernier, une vision du monde fixe, linéaire et anhistorique. Au final, le fatalisme misanthrope, cette incompréhension totale du monde social dont je parlais précédemment, c'était aussi mon cas, il n'y a pas si longtemps. C'est juste que la société m'a transformé en même temps que je cherchais à la comprendre et à la modifier. C'est d'ailleurs aussi ce cheminement (autobiographique pour nous deux) que raconte Übermensch?, une épopée ordinaire, commune, d'individus paumés, en souffrance, qui, du fait des contradictions internes du mode de production capitaliste, après avoir cru en l'émancipation individuelle et isolée, finissent par se tracer un chemin vers l'émancipation collective. Car, le collectif précède l'individu et l'un ne peut exister sans l'autre.

Vous avez fait le choix de proposer une seule œuvre de 20 mn mais avec un découpage très fin, en 22 scènes. Cela me rappelle ce que vous aviez réalisé sur le Soundtrack de Parallaxe, notamment sur le titre final "Origine", qui était découpé en plusieurs pistes courtes (mais une durée générale de 20 mn). C’est quelque chose dont tu étais conscient ou ça fait tout simplement partie de ta façon de composer ? 

Ubermensch? a d'abord été conçu à partir de séquences et d'images bien précises, notre but, inatteignable pour des raisons techniques et financières, était de faire une vidéo d'animation qui retranscrive ces scènes dans le détail. C'est donc pour cette raison que la découpe est aussi fine, ça correspond à la méthode de composition que l'on a utilisée. On a travaillé à deux de telle sorte que :

  • on part d'une grosse question en philosophie, ici : le thème de l'individu et son épanouissement. On s'appuie sur des auteurs existants de façon plus ou moins précise.
  • On essaye d'illustrer le propos par des images, une histoire, en formulant un corpus d'émotions, de scènes, d'ambiances, de concepts.
  • On traduit ça en notes, en signatures rythmiques, en thèmes, en ambiances...
  • On doit être satisfaits tous les deux avant de passer à la suite, peu importe le temps que ça prend.

Toutes ces réflexions philo-socio que j'ai évoquées précédemment ont été converties en une histoire palpable, divisée en scènes, au travers d'un personnage, en l'occurrence une fille qui a été projetée dans un monde qui ne lui convient/appartient pas et qu'elle cherche à comprendre. Elle cherche de toutes ses forces à s'adapter, accepter les règles du jeu, telles qu'elles sont, pour prendre part à la partie, s'affirmer, s'épanouir personnellement mais elle n'y arrive pas. Quelques-unes des thématiques mises en notes dans le morceau sont la naissance, l'enfance, l'adolescence, en passant par la dépression, la renaissance puis la rechute, la partie 1 se termine sur une impasse.

 

Pour l’instant, le titre est uniquement disponible en digital, mais le « Part 1 » appelle une « Part 2 ». Les deux titres seront-ils réunis sur un même support physique ? Comment voyez-vous les choses et avez-vous déjà terminé cette suite ?

Nous avons effectivement émis la possibilité que les 2 parties soient réunies sur une galette afin d'aboutir in fine au format album. Toutefois, ça dépendra du dénouement de cette première partie et si cet EP suscite un minimum d'intérêt. Pour l'heure, impossible d'en dire plus à ce sujet. En ce qui concerne la Part 2, elle en est pour le moment au stade de l'ébauche de la conceptualisation. Elle sera je pense atypique voire probablement inédite dans sa démarche !

 

Le format duo est bien évidemment limitant pour vous produire sur scène. Avez-vous envisagé cette possibilité ou bien Dialectical Materialism n’est-il voué qu’à rester un projet studio ?

Dialectical Materialism n'a jamais été pensé pour la scène, et d'ailleurs au début il n'était même pas prévu de créer un groupe au sens traditionnel du terme. Ce projet a vu le jour pour une première raison principale, me remettre à la composition. Composer est une activité que je n'avais pas complètement abandonnée depuis la fin de PaRaLLaXe mais qui n'était que quelques idées couchées ci et là  pour alimenter le contenu de mon activité professionnelle. Or depuis 2007, des problèmes de santé me limitent fortement dans ma pratique instrumentale et je ne peux jouer rarement plus de 20/30 minutes sans souci, il est donc hautement probable que le groupe s'en tienne au studio.

De par ce travail en duo, vous avez recours à des instruments virtuels. Pourtant, les orchestrations sonnent de façon très réaliste (je pense notamment à ces sons de violoncelles ou aux parties de piano). Quel matériel utilisez-vous ?

Pour les sons virtuels, muni de mon clavier maitre et de mon DAW,  j'utilise plusieurs banques issues de divers développeurs bien connus. Je ne pense pas qu'il soit utile de les mentionner car actuellement rares sont les VSTs qui sonnent mal. Après, même si en soi la plupart du temps le son est crédible sur le plan textural, il faut quand même passer un peu de temps à manipuler le midi pour le rendre le plus  "vivant" possible. En général, comme je pratique un peu le piano, j'essaye de jouer les parties en direct en évitant de les programmer dans le piano roll afin d'éviter l'effet mécanique du calage sur la grille. Pour les parties qui dépassent mon niveau technique (n'étant pas du tout un virtuose au piano !), je les joue tout simplement au ralenti comme ça je garde les imprécisions bien utiles pour maintenir l'humanisation du jeu. Ensuite, si besoin, je retouche la vélocité et autres modulations pour nuancer les attaques surtout sur les instruments orchestraux comme par exemple les cordes ou les cuivres...

 

Je sais que tu es également luthier et que tu as développé ton atelier, produisant les très belles guitares Boissières. Comment ton amour de l’instrument influence ton jeu et ta façon de composer ?

Merci ! Je t'avoue que ça fait plusieurs jours que j'essaie de répondre à cette question et il me parait évident qu'à part à rentrer dans une introspection infinie avec quelques nuits blanches en cadeau, je ne pense pas pouvoir y répondre de façon claire et synthétique. Je botte donc en touche et je sors mon joker !

 

Merci à toi pour tes réponses. Je te laisse le mot de la fin !

Merci à toi pour tes questions et j'espère tout simplement qu'Übermensch? Pt.1 pourra faire voyager et susciter un peu de curiosité !

Interview réalisée par e-mail en août 2025.
Photographies promotionnelles : DR / Dialectical Materialism
Artwork et logo : Deadale



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