Motocultor 2025 – J4 : Stoner brûlant, spleen et armes à feu

Dimanche 17 août, Carhaix

Le Motocultor touche à sa fin avec son dernier jour le plus chaud. Si le soleil était déjà impitoyable samedi, il devient carrément écrasant en ce dimanche : un vrai problème pour les trois scènes extérieures, même si le contexte est approprié pour les nombreux groupes de stoner / doom peuplant la Bruce Dickinscène. La Dave Mustage voit défiler ses plus gros poids lourds avec Landmvrks, Blind Guardian et Machine Head.

Les corps sont fatigués après les trois premiers jours du festival, et la châleur s'annonce encore pire pour dimanche. Alors qu'on se dirige vers une édition sans la moindre goutte de pluie, l'arrosage copieux de la foule par les équipes de sécurité devient systématique (y en avait-il le samedi ?) et permet d'apprécier dans les meilleures conditions possibles une programmation pertinente : des découvertes avec Møsi, Wyatt E. et Margarita Witch Cult cotôyant les références actuelles (CandlemassMachine Head) comme futuress (Landmvrks, Kanonenfieber).

Les concerts du jour

Møsi

Massey Ferguscène, 12h30

La tente de la Massey Ferguscène est fort clairsemée en ce dimanche midi au début du concert de Møsi. Il faut dire que les corps sont fatigués après trois jours de festivités et que la formule pas vraiment pleine de joie de vivre du duo rennais (deux frères, l’un à la batterie et l’autre guitare/chant) n’est vraisemblablement pas ce dont le public a besoin pour attaquer une dernière journée de festival. Le spleen c’est en général plutôt pour après le festival, et du spleen, Møsi en a beaucoup à revendre. De quoi abreuver le public. Rien que le titre des albums annonce déjà la couleur : Noble dans la défaite, Oiseau bleu sur fond mort ou encore La Mise en Scène Volontaire de l’Échec. Pour reprendre Marien Joly (le guitariste chanteur), on n’est pas trop dans le registre du “youpi”, et cela ressort très clairement dès les textes du premier titre, “Sol” : “La Terre et ses enfants mutilés par nos pères” ou encore “Quelles seront nos dernières paroles, quelle épitaphe gravée”. Des textes plein de noirceur, désabusés, servis par un timbre écorché qui nous rappelle Noir Désir. La formule du groupe (entre noise, rock alternatif et post-hardcore) prend immédiatement, la tente se garnit peu à peu de curieux venus (majoritairement) découvrir.

Marien présente le groupe après quelques titres, et annonce que Møsi ne fait pas que dans les morceaux tristes, qu’en se mobilisant collectivement on peut rendre les choses moins pénibles et plus positives. “Contre le vent” est en effet un titre moins fataliste, invitant à se rassembler collectivement pour déjouer la course naturelle des éléments, pas si irrévocable en dépit des apparences. “Inarrêtable”, dernier titre du set, est un peu dans le même esprit. C’est cependant probablement sur “Le vacarme des mouettes” que le concert atteint son apogée. Le titre du premier album est puissant et présente une belle dynamique entre ses sections calmes et énervées. Marien n’hésite pas à se mettre en retrait, laissant les percussions de Melen prendre l’ensemble du spectre, avant de briser le calme par des hurlements déchirants loin du micro. C’est très intense et poignant, servi par un mix propre qui permet aux textes de bien ressortir sans brider l’énergie dégagée par le duo. Notons l’usage d’un archet sur “Le temps où les arbres étaient vivants”, pour une attaque de titre assez mélodique avant un final violent et cataclysmique, la guitare plaquée contre l’ampli. Saisissant contraste, à l’image du concert.

Setlist Møsi:

Sol
Jusqu’ici, tout va bien
Contre le vent
Le Vacarme des Mouettes
Le temps où les arbres étaient vivants
Inarrêtable

Wyatt E.

Bruce Dickinscène, 13h15

C’est en plein cagnard que Wyatt E. doit investir la scène, alors que le soleil approche du zénith et que ce dimanche s’annonce aussi chaud que la veille. Le parfait terrain de jeu pour le drone/doom mystique du combo belge, qui puise ses inspirations dans les textes antiques, quelque part entre la Judée et le Sinaï. Les musiciens arrivent sur scène tout de noir vêtus : avec leurs longues barbes, ils doivent bien transpirer. Le premier titre, particulièrement long, s’ouvre sur des effets de vent balayant le désert, jusqu’à la mise en place progressive d’une rythmique hypnotisante à la basse. Et c’est parti pour une quête spirituelle et musicale dans un désert brûlant, où les rares vocalises de Stéphane Rondia (guitare/synthé) et Sébastien von Landau (basse/synthé) sont délivrées avec masse d’effets et dans une langue éteinte parlée en mésopotamie, l’akkadien. Cette quête colle avec le soleil de plomb qui règne sur la Bruce alors, heureusement, la sécurité possède une lance à eau salvatrice, régulièrement dirigée vers la foule pour rendre l’expérience plus supportable. Quitte à y perdre un peu de cohérence, on aurait quand-même apprécié le confort de voir ce concert sous tente : c’était à la base ce qui était prévu pour la Bruce, contrariée par une indisponibilité du chapiteau.

Après un gros quart d'heure, le premier titre est terminé et laisse la place à un second à la rythmique initialement plus entraînante. “Kerretu Mahrû”, ou “À propos de la Culture de la Mort” s’inscrit dans un registre plus rythmé, loin du premier titre contemplatif qui met longtemps à se mettre en place. Il évolue vers une section rythmique très dynamique, où Jonas Sanders (batterie) réoriente largement son jeu vers les toms. C’est dynamique, presque dansant, et toujours dans cette ambiance proche orient. Wyatt E. joue ici exclusivement des titres de son dernier album sorti en janvier dernier, zamāru ultu qereb ziqquratu Part 1 (Musique de l’intérieur de la Ziggourat), premier chapitre d’une nouvelle série d’albums conceptuels sur l’ancienne Babylone. On se laisse embarquer dans le voyage, lorsque les effets présents au tout début du concert reviennent et annoncent (déjà) la fin du set sur “Aḫānu Erṣetum”, titre de clôture de l’album. C’est reparti pour une longue montée en intensité dans la lourdeur, pesante comme la quête dans le désert qu’elle représente jusqu’au final tout en fuzz, avec toujours beaucoup de vocalises sur les micros. Fin du concert, le groupe se retire sous les applaudissements et le public part chercher de l’ombre, cramé par ce concert mystique tant que par ses conditions Carhaisiennes.

Setlist Wyatt E:

Qaqqari Lā Târi Part 1
About the Culture of Death (Kerretu Mahrû)
Im Lelya
Aḫānu Erṣetum

Margarita Witch Club

Bruce Dickinscène, 14h45

Du desert rock en provenance de Birmingham, voilà qui n'est pas banal. Pourtant, le trio n'a pas de mal à nous convaincre que nous sommes au milieu de la Sierra Nevada. Les conditions sont certes favorables : la chaleur est écrasante ce jour-là, presque autant que la veille, et la terre et la poussière devant la Bruce Dickinscène pourraient presque nous faire croire que nous sommes dans une terre aride et dépeuplée et non en plein cœur de la Bretagne. Il y a d'ailleurs peu de monde avant le début du concert, à part à la barrière.

Cependant, juste avant le début du concert, les vigiles commencent à arroser les premiers rangs au tuyau d'arrosage, ce qui fait avancer une partie du public dispersé et gonfler la foule. Le trio anglais entame un stoner très lourd mais énergique, avec des influences doom évidentes sur certains passages, des sons de basse proéminents, de la distorsion à foison et quelques soli. Margarita Witch Cult alterne les morceaux relativement lents et ceux plus rapides, tout en gardant du dynamisme sur tous les titres, certains assez longs avec des changements de rythmes et d’autres plus courts et directs. En cinq ans d’existence et deux albums, le groupe affiche déjà une belle présence scénique et des morceaux solides. Le bassiste et le guitariste se font d’ailleurs régulièrement remarquer en faisant de grands moulinets de bras parfaitement coordonnés avant d’attaquer leurs cordes.

Sa musique est également riche en longues plages instrumentales, le chant arrivant parfois assez tardivement ou étant d’autres fois plutôt minoritaire. Le guitariste Screamin' Scott Vincent et le bassiste Jim Thing se partagent le chant, entre voix claire, souvent éraillée, et voix légèrement saturée. Selon les titres, ils alternent le chant ou vocalisent de concert, et le batteur George Casual assure aussi les chœurs. Globalement, le son est correct. Avec un nom pareil, le groupe parle évidemment beaucoup de sorcières – moins de margarita, à notre grand dam.

La fosse se remplit peu à peu tandis qu’à intervalles réguliers, la sécurité continue d'arroser copieusement le public. "Scream for me Motocultor !" Demande le batteur à l'issue du premier morceau « Crawl Home to Your Coffin », précisant ensuite que le groupe vient de "Birmingham, England". Cela lui vaut d'ailleurs des acclamations, certaines personnes se mettant alors à scander "Ozzy".

George Casual assure souvent la communication avec le public. "Ça sonne comme un dimanche après-midi", lance-t-il à un moment. "Ça sent comme un dimanche après-midi", rétorque le guitariste, sans que l’on sache s'il parle du public couvert de transpiration ou de leur propre situation.

Mais là où le batteur emporte l'enthousiasme du public, c'est quand il demande : " Vous savez d'où nous venons ?". Les acclamations fusent par anticipation, car évidemment, un groupe de Birmingham pouvait difficilement ne pas rendre hommage à Ozzy Osbourne : le groupe entame donc le début de « Sabbath Bloody Sabbath » avant d’enchaîner sur son propre excellent titre, « The Witchfinder Comes », dont le riff de guitare est d’ailleurs extrêmement proche. L’influence de Black Sabbath est d’une manière générale très audible dans la musique du combo, et Margarita Witch Cult a même enregistré une vidéo pour le dernier concert des vétérans, Back To The Beginning, début juillet.

Le groupe réussit sur les derniers morceaux à obtenir un circle pit et un pogo, et quelques slams sur le dernier titre "Sacrifice", dont il fait scander le titre au public. Au final, Margarita Witch Cult a offert une prestation alliant la sueur du désert à l’héritage du Prince des Ténèbres.

Setlist

Crawl Home to Your Coffin
Scream Bloody Murder
Witches’ Candle
Theme from Cyclops
Lord of the Flies
The Witchfinder Comes (+ extrait Sabbath Bloody Sabbath de Black Sabbath)
Death Luks at every Time
Diabolical Influence
Sacrifice

Cobra the Impaler

Massey Ferguscène, 15h30

Cinq minutes avant le début du set Cobra the Impaler fait encore ses balances (« Are you guys enjoying the soundcheck ? » plaisante le vocaliste Manuel Remmerie). La formation stoner / sludge originaire de Belgique a été fondée il y a cinq ans par deux ex-Aborted, Tace Dc (guitare) et le batteur de Megadeth Dirk Verbeuren. Deux solides albums plus tard, le groupe – sans Verbeuren, parti assez rapidement – s’est fait une belle place sur la foisonnante scène belge, distillant un heavy metal lourd mais accrocheur aux riffs entêtants et aux influences progressives. Et ça commence en force avec « Seasons of the Savage » et l’énorme blast signé du dernier arrivé Gert Stals à la batterie. Le bassiste Michélé De Feudis assure les parties de chant clair de son timbre grave, tandis que Manuel part du côté saturé de la force.

Les rythmiques s’emballent, et les riffs pleuvent, non sans rappeler le son de Mastodon (comme sur l’intro énervée de « Inferno »). Les deux guitaristes Tace Dc et James Falck rivalisent de virtuosité et headbanguent énergiquement. Entre les titres, le vocaliste communique en flamand ou en anglais avec le public, sauf pour lancer régulièrement « à la vôtre ! ». « Colossal Gods » commence très lourd et s’achève sur des lignes plus mélodiques.

La force de Cobra the Impaler tient aussi à cet équilibre réussi entre riffs, son de basse, scream et chant clair, qui ajoute encore au dynamisme de l’ensemble. Pour l’entame redoutable de « Blood Eye » Manuel demande un moshpit plutôt bien suivi compte-tenu de la forte chaleur ce dimanche encore. Les gros passages lourds alternent avec un refrain mélodique, et les deux voix claires de Manuel et Michélé s’harmonisent très bien. L’instrumental reste très musclé, et des accélérations relancent les pogos. Manuel demande même un circle pit sur le pont très heavy, qui lève déjà de fortes quantités de poussière. Très expressif, il pousse un cri long et monstrueux puis s’avance vers le public et fait mine de s’étrangler avec le micro. Complètement pris dans sa performance, il entame à cappella « Tempest Rising » avant de présenter « Karma Collision », morceau-titre du dernier album sorti en 2024. La température monte d’un cran, mais heureusement les agents de sécurité arrosent généreusement le public à la lance – et récoltent d’ailleurs une belle ovation. Le public, redynamisé par cette hydratation salvatrice, prend des initiatives et commence à s’écarter pour former un wall of death. Problème : la fin du morceau se révèle plutôt lente et mélodique. Manuel fait donc patienter les festivaliers en manque de poussière et lance « Scorched Earth », titre intense plus adapté au wall of death et aux pogos. 

Quelques remerciements et il est déjà l’heure du dernier morceau, « Assassins of the Vision », alternant passages très lourds et moments plus prog / stoner, sur lesquels le batteur se distingue une dernière fois. Le vocaliste, auteur d’une prestation énergique et enflammée, finit à genoux en chant clair avant de faire chanter le public, qui se prête volontiers au jeu des Flamands, salués par un tonnerre d'applaudissements. Un Cobra vraiment royal, qu’on espère vraiment voir bien vite en tête d’affiche en France.

Setlist Cobra the Impaler :

Season of the Savage
My Inferno
Colossal Gods
Blood Eye
Tempest Rising
Karma Collision
Scorched Earth
Assassins of the Vision

Ensiferum

Dave Mustage, 16h20

Il se passe des choses étranges sur la scène principale avant le concert d'Ensiferum : une musique enregistrée est diffusée, s'arrête, les gens applaudissent, puis le silence se fait. Au fond, un grand écran s'allume avec le logo du groupe. Sur scène, une demi-douzaine de techniciens s'activent.

Un homme s'approche du micro, checke le son puis s'adresse à la foule : le groupe a eu un problème d'avion. “Je ne citerai pas la compagnie aérienne française..." … mais celle-ci a perdu tout le matériel du groupe. En coulisses, l'organisation s'est débrouillée pour trouver du matériel au groupe, mais celui-ci n'a donc ni son backdrop, ni ses costumes. "On m'a demandé de vous expliquer ça parce que le groupe ne parle pas français et la majorité d'entre vous ne parlent pas anglais". Le messager se fait copieusement huer, résultat évidemment voulu, qui a le mérite de chauffer la salle, à qui il demande même de crier plus fort.

Les musiciens finissent donc par arriver, d'abord le batteur Janne Parviainen, qui lance un roulement de batterie, puis ses quatre comparses. On ne nous a pas menti : les musiciens n'ont pas leurs accoutrements pseudo-viking, mais sont habillés comme des festivaliers lambda.

Le groupe chauffe le public d’emblée, lui fait lever les mains, puis attaque son folk metal viking épique aux ambiances épiques et entraînantes, qui évoque notamment la mythologie nordique. L’ensemble est puissant et dynamique, avec des claviers très présents et des guitares massives. La basse et la batterie assurent des parties rythmiques lourdes et efficaces, pas forcément très originales, même si on sent poindre ici et là plus de groove qu’à l’ordinaire. Le guitariste Petri Lindroos assure le chant guttural, tandis que le bassiste Sami Hinkka s’occupe du chant clair, parfois avec des sonorités traditionnelles. Le second guitariste Markus Toivonen est polyvalent, chantant surtout les chœurs, le tout permettant d’avoir une certaine variété vocale.

Le public adhère dès le tout premier morceau et des slams partent immédiatement. « Puisque nous n’avons pas notre propre matériel, nous avons dû réfléchir à quelles chansons nous pouvions jouer, explique Lindroos. Cette chanson vient de notre premier album ». Lequel aura tout de même vingt-cinq ans l’an prochain.

Ensiferum attaque donc « Hero in a Dream »… qui n’avait plus été joué depuis 2019. Même si on plaint évidemment le groupe, c’est l’un des avantages de le voir ainsi chamboulé dans ses habitudes. Le groupe joue généralement des setlists quasiment (voire entièrement) identiques d’un concert à l’autre. Cet après-midi, nous avons droit à un enchaînement de titres entièrement customisé !

Le Motocultor entend ainsi « One More Magic Potion ». Si le morceau a presque vingt ans, il reste fréquemment joué (bien que son dernier passage date alors de plus d’un an), mais il reste extrêmement réjouissant à entendre, avec son introduction de clavier kitsch, évoquant presque un dessin animé (le clip en est d’ailleurs un).

Si le groupe assure ses morceaux, entre chaque chanson, il y a parfois un léger flottement, les musiciens se parlent systématiquement avant d’entamer la suivante. Mais c’est le seul signe, entièrement compréhensible, que le groupe n’a pas tous ses repères. Avec deux décennies d’expérience, il ne se laisse pas perturber par la perte de matériel et les bouleversements de dernière minute. D’autant que ce n’est pas la première fois qu’il perd son matériel durant un vol, les festivaliers de l’édition du Motocultor 2017 s’en souviennent... On est à deux doigts de lui conseiller d’investir dans un char à voile !

Les musiciens bénéficient d’ailleurs du prêt de superbes guitares en bois (on se demande si elles viennent du luthier local). Mais le groupe n’y est pas forcément habitué. “Cette partie est en vrai putain de metal, commente ainsi Petri Lindroos, avec le soleil qui tape dessus, elle est en train de me brûler la main !

En tous cas, Ensiferum n’en perd pas son bagout et communique amplement avec l’auditoire, le bassiste invoquant ainsi, en français dans le texte, « mes amis, mes frères et mes sœurs du metal ». Il connaît les ficelles du métier, demande aux spectateurs s’il leur reste de l’énergie, si « quelqu’un a envie de sauter ? », ajoutant « moi aussi », mais reprochant aux gens de ne pas réagir assez fort : « Je suis peut-être vieux mais je ne suis pas sourd ni aveugle ».

Le public est pourtant agité, car outre les slams, un gros pogo n’a pas tardé à se former, ainsi qu’un circle pit – durant lequel on voit une demoiselle perchée sur les épaules d’un jeune homme, l’équilibre est périlleux mais cela fonctionne.

Et le groupe continue sur sa lancée de titres sortant de ses setlists habituelles, puisque le claviériste Pekka Montin s’approche de l’avant-scène pour offrir une reprise de « Breaking the Law » de Judas Priest ! Ce n’est certes pas la première fois, mais la dernière date de 2018. On sait gré au groupe d’avoir repris autre chose que du Black Sabbath, histoire d’apporter un peu de variété dans les reprises du festival. Ensiferum s’en tire honorablement, en restant assez proche de l’original, et avec des montées vocales dans les aigües assez marquantes.

Finalement, on a envie de remercier Air France – cette mystérieuse compagnie aérienne – pour la perte du matériel d’Ensiferum. Car celui-ci a proposé un set avec beaucoup plus d’originalité et de spontanéité que d’habitude, tout en restant efficace, et au final avec probablement plus d’intérêt qu’une date lambda de sa tournée.

Fear Factory

Dave Mustage, 18h05

Certains groupes ne sont pas là pour rigoler et le font savoir dès leur entrée sur scène. A peine les quatre musiciens de Fear Factory ont-ils foulé les planches que le chanteur Milo Silvestri s'exclame « Open this fucking pit ! Right now ! » La foule lui obéit, un espace s’ouvre et un circle pit se lance. Les slams aussi, et bientôt, c’est même un crowd surfer sur son matelas gonflable qui passe au-dessus de la foule. C’est à l’image de la musique du combo états-unien : son metal indus, mâtiné de death, notamment sur les premiers albums, et de groove metal, est particulièrement puissant et agressif, et pas là pour faire dans la dentelle.

Toute la grosse première moitié du set est composée de morceaux du deuxième album, Demanufacture, sorti en 1995, parfois considéré comme le meilleur opus du combo. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, puisque le groupe est en pleine tournée anniversaire pour célébrer les trente ans du disque. C’est aussi peut-être l’un des plus violents, et l’introduction du set avec le titre éponyme suivi de « New Breed » en est un bon exemple : uniquement du chant saturé, des riffs assassins, des blasts à foison, le tout agrémenté de samples et de sonorités électroniques.

Sacrée claque pour débuter. Le titre suivant, « Zero Signal », ralentit à peine la cadence, avec une intro plus mid tempo et du chant clair pour la première fois sur le refrain, toujours avec une rythmique qui tabasse, menée avec violence par Pete Webber à la batterie. L’ensemble en fait un morceau vraiment marquant.

Le frontman déborde d’énergie, arpente la scène, court. Alors que le groupe fête cette année ses trente-cinq ans d’existence, Milo Silvestri n’est arrivé qu’il y a deux ans, et n’a du coup enregistré aucun album avec Fear Factory. L’Italien est aussi sensiblement plus jeune que ses comparses, puisqu’il est né seulement deux ans avant la création du groupe. Le growl déborde d’agressivité, la voix claire est superbe sur plusieurs titres, notamment « Replica » - le guitariste Dino Cazares, cofondateur du groupe, et le bassiste Tony Campos en assurent aussi une partie. Le groupe explique qu’il s’agit du dernier concert de sa tournée européenne, et y met toute l’énergie qui lui reste. La batterie est particulièrement impressionnante, même si ce n’est pas la seule, et se fait par exemple étrange tout autant que dévastatrice sur « H-K (Hunter-Killer) ».

L’énergie que dégage le groupe, à commencer par son chanteur, est bien rendue côté public, avec une fosse enragée qui ne s’arrête jamais. Même sur la plateforme réservée aux VIP et à la presse, le public semble à fond. Le groupe fait de nouveau ouvrir le pit sur « H-K (Hunter-Killer) », résultant en un gros wall of death, qui repart en circle pit sur le morceau suivant. Les gens sont d’ailleurs venus en masse voir le groupe culte d’indus, puisque la fosse déborde largement devant la Supositor Stage voisine.

Après six morceaux de Demanufacture, il reste quatre titres à Fear Factory pour donner un aperçu du reste de sa discographie, mais il reste concentré sur son début de carrière, représentant les trois albums suivants, sortis entre 1998 et 2004. Les titres s’avèrent tout aussi dévastateurs en live. Sur le dernier morceau, « Linchpin », le groupe enjoint le public à sauter en rythme, ordre très majoritairement suivi dans la fosse. Fear Factory quitte la scène après cinquante minutes absolument épuisantes mais cathartiques, laissant un public en nage mais ravi.

Between the Buried and Me

Massey Ferguscène, 19h

Alors que la fin de la journée approche, nous retournons sous la tente de la Massey une troisième fois ce dimanche, pour un nouveau concert de metal progressif, le dernier du festival. Et qui de mieux dans ce rôle que le combo death prog de Caroline du Nord : Between The Buried And Me. Le groupe termine ce dimanche une intense tournée européenne (17 concerts en 19 dates !) passant par plusieurs festivals. En particulier, il se produisait les deux jours précédents au festival ArcTangent, proposant sur une des deux dates le set Colors complet et une sélection de titres puisant plus largement dans sa discographie le lendemain. Dans le cadre du Motocultor, on s’attend à un concert comme ce dernier, mettant notamment en avant au moins un des singles du prochain album, The Blue Nowhere, prévu pour le 12 septembre (sorti à date de parution de cet article). Lorsque les musiciens arrivent, on repère une nouvelle tête se joindre au quatuor (Dustie Waring a quitté le groupe en 2023 après avoir été mis en cause pour agression sexuelle) : Tristan Auman (officiant dans Sometime In February) vient apporter une seconde guitare, et trouve sa place dès l’attaque sur “Alaska”, dont l’album éponyme fête ses vingt ans. Il se déplace bien sur la scène, ne reste pas systématiquement en arrière plan, et vient même parfois partager le devant de la scène avec Dan Briggs (basse) et Paul Waggoner (guitare) lorsque Tommy Rogers délaisse le chant pour se concentrer sur ses claviers.

Parce que la musique de Between The Buried And Me est très technique, alternant passages super bourrins à 100% en voix growl (déchaînant le public nombreux qui répond allègrement avec de réguliers départs de mosh) et sections alambiquées qui semblent ne pas avoir de limites. On retrouve de tout en termes d’influences dans la musique du combo, et ce n’est pas “Things We Tell Ourselves in the Dark” et ses passages typés jazz-fusion / funk qui vont prouver le contraire. Le nouveau titre, premier single du prochain album, en sera le seul interprété : le groupe s’attèle plutôt à méticuleusement couvrir le plus d’albums possibles dans le temps imparti. Si on considère Colors I et II comme une seule et même oeuvre et pareil pour Automata, ce sont même tous les albums qui sont représentés depuis Alaska, pour une setlist remarquablement excellente, jugez plutôt : “The Coma Machine”, “Lay Your Ghosts to Rest” (et son passage “weak souls / weak minds”), “The Double Helix of Extinction” et ce final intense sur “Disease, Injury, Madness”. Les Américains ont délivré et conquis sans mal le public venu les voir ce soir, ravissant les passionnés avec un set aux petits oignons et séduisant les novices, découvrant avec ce set un groupe qui regorge d’idées. Et qui ne semble pas près d’en tarir, au vu des extraits disponibles de The Blue Nowhere.

Setlist Between The Buried And Me:

Alaska
The Coma Machine
Things We Tell Ourselves in the Dark
House Organ
Lay Your Ghosts to Rest
The Double Helix of Extinction
Disease, Injury, Madness

Landmvrks

Dave Mustage, 19h55

La fosse de la Dave déborde jusqu’en haut du site et bien au-delà de la Supositor Stage voisine, et la tribune VIP est bondée. La folie Landmvrks avait commencé dès le début d’après-midi avec une file d’attente de plusieurs centaines de mètres pour la séance de dédicaces du groupe marseillais. Un record d’affluence, qui n’aura d’égal sur le weekend que le show de clôture de Machine Head, plus tard sur la même scène.

On ne présente plus Landmvrks, pour qui les choses s’accélèrent sérieusement depuis la sortie des deux derniers albums Lost in the Waves en 2021 et The Darkest Place I’ve Ever Been, quatrième opus sorti cette année. Connus également pour des performances live énergiques et mémorables, les chouchous de la scène metalcore française vont livrer une prestation percutante à la production digne des plus grands, en donnant la part belle à ces deux derniers disques sur la setlist.

Dès l’arrivée du groupe sur « Creature », Florent Salfati commence en rap avant de crier, et la pyro se déchaîne sur les passages plus hardcore. Le son met bien en avant le chant clair du vocaliste sur le refrain, et sur les passages plus énervés, les pogos se mettent vite en route. Le public semble déjà bien connaître ce titre pourtant vieux de quelques mois. Les musiciens sont tous assez dynamiques sur scène, les deux guitaristes Nicolas Exposito et Paul Cordebard ainsi que le bassiste Rudy Purkart échangent leurs places sur les podiums latéraux qui entourent la batterie. Florent n’hésite pas à faire participer le public sur « Death » sur laquelle d’énormes flammes viennent embraser Carhaix avant une fin très lourde portée par son growl profond. Sur la très hardcore « Blistering », les fulgurances de double pédale signées Kévin D’Agostino entraînent encore plus la foule dans une fièvre inarrêtable. On ne compte plus les slammeurs qui arrivent par régiments entiers dans les bras de la sécurité, renforcée pour l’occasion. Certains courageux surfers partent même de la (lointaine) régie son !

Une configuration minimaliste s’ensuit pour le début de « Visage », avec Florent qui rappe et Kévin debout devant une batterie électronique. Ils font sauter le public avant le basculement vers le hardcore et le retour des musiciens, accueillis à nouveau par un déferlement de slammeurs. Pour « Sulfur » le frontman demande un wall of death, tellement suivi que la poussière épaisse soulevée par les corps en mouvement cache complètement le lightshow et les effets de pyro mis en œuvre sur ce titre très dansant. Un nouveau changement de décor s’opère avec le son de « Sombre 16 » diffusé pendant que Flo peint un « V » en mode street art sur une grande toile posée au centre de la scène. L’entame butale hardcore de « Say No Words » met en route un circle pit, et voilà le retour de la poussière et de la pyro. Le chanteur échange beaucoup avec le public, et va même jusqu’à présenter ses excuses : ils n’ont pas pu prendre tout le monde à la séance de dédicaces de l’après-midi. Il entame « Suffocate » seul à la guitare sèche avant d’être rejoint par ses camarades pour une deuxième partie bien lourde.

Landmvrks, applaudi par la foule, opère une première sortie et revient pour « Lost in a Wave ». Au menu, gros riffs et breakdown démentiels, accueillis par des pogos monstres et des mouvements de danse généralisés entre deux headbangs. L’enchaînement final achève de ravager la fosse de la Dave : voici « Rainfall » et ses riffs puissants, « Blood Red » à l’intro pop et aux couplets rappés dans la langue de Molière. Sur l’ultime morceau « Self-Made Black Hole », le hardcore se déchaîne, les riffs modernes et tranchants répondent au cri de Flo avant les refrains mélodiques et un breakdown d’école. Après une heure de show seulement, les Marseillais sont ovationnés par la foule du Motocultor qui en redemande. Une chose est sûre, plus rien n’arrête Landmvrks qui signe un set percutant, authentique, digne d’une tête d’affiche.

Setlist Landmvrks :

Creature
Death
Blistering
A Line in the Dust
Visage
Sulfur
Sombre 16 (sur piste)
Say No Word
Scars
Suffocate
Lost in a Wave
Rainfall
Blood Red
Self-Made Black Hole

Harakiri for the Sky

Massey Ferguscène, 21h

Les quatre initiales du nom du groupe Autrichien de post metal ornent la scène, et un frisson se fait ressentir à l’arrivée des cinq musiciens. Scorched Earth, sixième album du duo composé de M.S. à la guitare et J.J. au chant, a fait couler de l’encre depuis sa sortie en janvier dernier, et le groupe a donné une série de concerts fort réussis dans des petites salles il y a quelques mois, comme à la Machine à Paris en avril. Les attentes sont grandes, et les chanceux présents suffisamment à l’avance sous la Massey peuvent entendre lors des balances « Without You I’m Just a Sad Song », issue de ce dernier opus.

 

Première surprise, et légère déception, ce morceau ne figurera pas au programme du show du soir. Seuls deux morceaux de Scorched Earth seront joués, en ouverture et en conclusion d’un set intense mais bien court. D’emblée, on remarque que le son n’est pas bien réglé, les lignes de guitares se retrouvent noyées sous la batterie et les basses, trop fortes. Cela gâche un peu l’excellent « Heal Me », qui pourtant lance bien le déferlement de puissance sur une rythmique assourdissante signée Paul Färber qui assure derrière les fûts, tout en jouant sur la corde sensible avec des lignes mélodiques et un chant crié bouleversant signé J.J.. Pour « Sing for the Damage We’ve Done » à la belle introduction, la mélodie entêtante portée notamment par les lignes de M.S. et Marrok aux guitares est plus audible, même si le son n’est toujours pas optimal.

Le vocaliste, assez expressif et mobile, interprète avec sincérité ses parties vocales déchirantes, collant parfaitement à l’atmosphère tourmentée des compositions. Les musiciens sont dynamiques, le bassiste Radek Karpienko et les deux guitaristes headbanguent ensemble sur « Funeral Dreams », morceau sorti en 2016 sur III : Trauma. L’énorme entame du morceau aux tendances dépressives « Fire, Walk With Me » se mue en déferlement de riffs hypnotiques dont M.S. a le secret. Le chanteur passe un moment accroupi devant la batterie et termine en faisant mine de se pendre avec le fil de son micro. Après une introduction au piano, sur piste, la récente « Keep Me Longing » tape bien. La batterie claque bien, et sur le pont J.J. saute de la scène et vient se placer debout à la barrière pour dispenser son cri déchirant au plus près du public. Quel changement depuis l’époque où sa nature introvertie l’empêchait même de faire face aux spectateurs !

Le combo termine son set quelques minutes avant l’heure prévue. Le public semble avoir apprécié le show intense des Autrichiens, et applaudit les musiciens qui quittent assez rapidement la scène, laissant malgré tout derrière eux une impression d’inachevé et une certaine frustration, notamment pour les fans du dernier opus finalement assez peu représenté ce soir.

Setlist Harakiri For the Sky :

Heal Me
Fire, Walk With Me
Funeral Dreams
Sing for the Damage We’ve Done
Keep Me Longing

Candlemass

Bruce Dickinscène, 21h55

Cette fois, la fin du festival approche pour de bon. Quoi de mieux que de se préparer à la fin avec Candlemass ? Le quintette suédois, père du doom metal – même si sa musique reste relativement accessible pour ce genre – a toujours joué une musique dégageant une certaine mélancolie, une noirceur élégante et bien dosée. Alors que la nuit tombe, ce créneau lui sied à merveille. Plus que jamais, le groupe, qui a tout de même dépassé les quatre décennies de carrière, va jouer la carte de la nostalgie.

En effet, à l’exception de « Sweet Evil Sun », morceau tiré de l’éponyme dernier album en date, paru en 2022, le groupe se concentre sur les quatre premiers albums de sa carrière, avec même les deux-tiers de la setlist tirés des deux premiers, Epicus Doomicus Metallicus et Nightfall. Il ne s’agit pas d’un bête élan passéiste : le tout premier chanteur, Johan Längqvist, qui avait quitté le groupe après le premier album, est revenu en 2018, ravissant les fans de littéralement la première heure. Le frontman ne manquera d’ailleurs pas de le rappeler, avant de lancer « Under the Oak », de ce premier album : « Nous sommes ici pour célébrer quarante ans de doom, de la musique que nous aimons ».

Le moins qu’on puisse dire, c’est que visuellement, les musiciens font vintage. Si on les croisait dans les travées du festival, on les prendrait pour des papis en goguette venus s’encanailler un peu, avec leur crinière blanche et leurs lunettes en demi-lune. Mais il est bien connu que l’habit ne fait pas le metalleux, et sur scène, ils impressionnent autant par leur prestance que par la solidité de leur jeu.

Le doom du groupe reste toujours très mélodique, relativement pesant mais en se permettant parfois un côté un peu aérien. La basse de Leif Edling sait se faire lourde, sans écraser le reste, tandis que lui-même est souvent assez démonstratif. Le guitariste lead Lars Johansson n’est jamais avare de soli. Celui sur « Crystal Ball » est particulièrement prenant, avant que Mats « Mappe » Björkman (guitare rythmique), Leif Edling et Jan Lindh (batterie) ne lui emboîtent le pas pour faire repartir le morceau de plus belle.

Si l’on voit parfois  Johan Längqvist sortir sur certains des nombreux ponts des morceaux, il est impeccable vocalement, et assure des trémolos aigus, par exemple sur « Mirror Mirror ». Il est aussi très communicatif avec le public, plaçant à l’occasion une petite blague. « On va devoir vérifier le tempo, le morceau qui vient est un morceau rapide… du moins pour nous », assure-t-il ainsi avant de lancer le mid-tempo « Dark Reflections ». Les jeux de lumières sont eux aussi très beaux et élégants – par exemple le jeu de clair – obscur sur le pont de « Under the Oak ». Si l’espace devant la Bruce Dickinscène n’est pas entièrement plein, il y a tout de même du monde, qui semble pris dans les sortilèges de Candlemass.

Le set s’achève sur le classique « Solitude », et sa supplique aussi poignante que déprimante, « Please let me die in solitude », tandis que Johan Längqvist finit le concert à la barrière auprès du public. Non, définitivement, nous n’avons aucune envie de laisser mourir Candlemass, encore moins dans la solitude, alors que son obscure clarté illumine cette dernière nuit étoilée au Motocultor.

Kanonenfieber

Supositor Stage, 23h10

Le phénomène de la scène metal allemande, projet solo du multi-instrumentiste Noise (au chant uniquement en live), est né il y a cinq ans. Avec deux albums et plusieurs EP au compteur, Kanonenfieber s’est propulsé en un éclair des salles confidentielles aux plus grandes scènes européennes avec son blackened death qui raconte les horreurs de la Première Guerre mondiale. 

Bien plus qu’un concert, le groupe va proposer ce soir une vraie performance théâtrale, sorte de tragédie musicale en dix tableaux, avec des sorties de scène régulières et autres changements de costumes et de décor. Les Allemands ont pleinement exploité l’espace mis à leur disposition sur la grande scène Supositor pour proposer une scénographie exceptionnelle et ambitieuse digne des plus grands groupes. On est loin des micro-scènes du Backstage ou du Glazart où les Allemands se produisaient encore il y a deux ou trois ans… Les connaisseurs comme les curieux se pressent donc devant la Supo à l’heure dite, car on peut déjà admirer des éléments de décors reconstituant très fidèlement une tranchée. Noir, rideau : que le spectacle commence.

D’emblée on est soufflé par l’entame du show avec l’intro « Grossmachtfantasie » et le morceau épique « Menschenmühle », au point de ne plus savoir où donner de la tête. Quel décor, quelle scénographie, et quelle puissance sonore ! Le son est exceptionnel, les riffs lourds et la rythmique impitoyable. Des jets de flamme sont déclenchés en synchronisation avec les refrains interprétés avec passion par le frontman cagoulé – comme les quatre autres musiciens qui l’accompagnent, l'ensemble du groupe étant vêtu d’uniformes d’époque, et Noise coiffé du fameux casque à pointe.

« Menschenmühle », morceau-titre du premier album sorti en 2021, se révèle fédératrice au possible. Ponctuée d’explosions d’étincelles, ce titre traite de l’entame du conflit, quand la folie guerrière a fait envoyer des milliers de soldats envoyés à la boucherie pour la patrie (Le public scande déjà « Kriegessucht und Wahnkrankheit », soif de guerre et folie, ou « Die Welt versinkt im Krieg » le monde sombre dans la guerre). Toutes les nations impliquées dans la Grande Guerre y passent, et Noise ne cesse de faire des gestes impérieux sur l’instrumentale effrénée de la fin du titre. Son visage a beau être caché, il mime sans cesse les paroles et incarne son personnage avec passion. Aux chœurs, Gunnar (basse) et Kreuzer (guitare) assurent tout en délivrant des lignes rythmiques imparables, tandis que Sickfried signe des leads tranchants assurant une touche mélodique au son du groupe. Tous les musiciens allient d’ailleurs virtuosité, aisance et talents d’acteurs, et communiquent énormément avec le public. Un comble de voir ce groupe entièrement cagoulé proposer les jeux de scène les plus expressifs du weekend.

Le puissant « Sturmtrupp » verse davantage vers le death avec un double blast dévastateur et un refrain martial très entraînant avant une fin redoutable. Quelle chaleur ! Les abondants jets de flamme participent à la narration et à la mise en scène, correspondant aux scènes de combat, accompagnées de déflagrations pour évoquer les tirs d’artillerie, et les lignes de batterie meurtrières signées Hans se muent parfois en tirs d’artillerie ou percussions militaires.

Mais pour l’excellent « Der Füsilier I », l’hiver s’installe, un canon projette de la neige artificielle sur un côté de la scène, et les musiciens frissonnent et prennent l’air transi. Noise dirige un bazooka/canon à fumée vers le public pendant l’intro solennelle qui se mue en marche militaire. Les deux guitaristes marchent au pas sous le commandement impitoyable du chef de guerre campé par le frontman, pour un énorme titre très marqué black metal, au refrain entêtant – et connu de beaucoup dans le public, qui chante, lève les mains et lance même un circle pit. Le vocaliste fait mine d’être blessé.

Le charismatique maître de cérémonie livre une performance magnétique, forte, vibrante et complètement habitée. Son chant puissant et sa précision dans la gestuelle porte le show, et vaut toutes les reconstitutions du monde. Avec un souci du détail pour les décors, Kanonenfieber nous fait revivre l’histoire avec beaucoup d’intensité, et enchaîne les tableaux élaborés. Voilà les musiciens dans le rôle de mineurs, vêtus de marcels, munis de lanternes, pour « Der Maulwurf ». Assis au milieu, le frontman se lamente, souffre, puis gesticule avec une pelle, rappelant les conditions des mineurs forcés de construire des galeries souterraines au péril de leur vie pendant la guerre des tranchées. À la fin il s’assied et fait mine d’être touché, avant que résonne une déflagration et des étincelles puis le noir final.

C’est solide musicalement, très beau visuellement, parfaitement interprété, touchant et intense – mais ne versant jamais dans le ridicule. Les gros riffs (et circle pits) sont de sortie pour « Panzerhenker », et tous les musiciens headbanguent avec énergie. Pendant le pont, on entend des battements de cœur avant d’assister à l’agonie du frontman, apparemment exécuté.

Le spectacle se poursuit avec l’installation sur scène de la proue d’un navire de guerre. C’est l’heure de « Kampf und Sturm », où un tintement de sonar vient appuyer le tempo de la batterie, sous des éclairages verts et violets, et de la martiale « Z-Vor ». Le groupe, en uniforme de la marine, évoque les batailles navales marquantes du conflit à coup de lignes de guitares mélodiques et de mitrailleuses du batteur. Noise, du haut de son bateau, domine l’ensemble, il screame et growle sans se ménager. Et là, c’est le drame. « Die Havarie », chant de marins version tragédie navale, décrit l’équipage d’un sous-marin militaire allemand (UB2) désormais condamné à périr dans ce cercueil de fer. Des passages de marche militaires se mêlent au déferlement d’un black mélodique où le frontman crie, hurle même. Vocalement très solide, impressionnant de puissance et d’expressivité, il ne sort jamais de son personnage même quand il ne chante pas : lorsque des pistes d’archives sont diffusées, il arpente l’arrière de la scène, fait mine d’entraîner le public. Quant au refrain accrocheur, il est repris en chœur par le public de connaisseurs.

Pour l’ultime changement de décor et de costume, le Motocultor est transporté sur le charnier de la bataille de Verdun pour un final apocalyptique, « Ausblutungsschlacht ». Noise, du haut d’un podium, porte un masque de squelette et tient un double fusil/lance-flamme. La pyro se déchaîne, et la force de frappe du combo allemand s’abat une fois de plus sur la Supo, pour un effet monumental. Les profs d’histoire du soir terminent sous un tonnerre d'applaudissements, en ayant proposé une heure durant un show intense, réellement époustouflant. On leur décerne sans aucun problème la médaille de la meilleure utilisation d’une main stage de tout le festival !

Setlist Kanonenfieber :

Grossmachtfantasie
Menschenmühle
Sturmtrupp
Der Füsilier I
Der Maulwurf
Panzerhenker
Kampf und Sturm
Z-Vor
Die Havarie
Verdun (sur piste)
Ausblutungsschlacht

Machine Head

Dave Mustage, 00h05

Tête d’affiche incontestable du festival Motocultor, qui signe avec ce dernier jour son record historique d’entrées, Machine Head est un gros poisson et compte bien clore cette édition 2025 de la plus belle des manières. “Bohemian Rhapsody”, joué intégralement dans les enceintes avant le concert, est bien repris par le public très nombreux et compact qui chante d’une voix comme rarement. Puis une vidéo avec un navire est diffusée sur le fond de scène : “In Comes The Flood”, Robb Flynn et sa bande investissent la scène pour la dernière date de leur tournée et ouvrent sur “Imperium”. La production en envoie immédiatement plein dans les rétines, fait appel à de la pyrotechnie, des feux d'artifice et des étincelles. Beaucoup, qui finiront même en fin de set par allumer un incendie (rapidement éteint heureusement) sur un des projecteurs. Robb demande un gros circle pit, le premier d’une longue série, exécuté par le public dynamisé par ce titre efficace, de même que les suivants.

“CHØKE ØN THE ASHES ØF YØUR HATE”, nettement plus thrash et rapide, maintient l’énergie du début de concert et “Ten Ton Hammer”, classique du groupe, voit des marteaux en plastique voler sur la foule, plus tard remplacés par des cubes géants à l’effigie du groupe sur “From This Day”. Associé au lancer de bières dans le public - on apprécie l’effort d’intégration, Robb lançant un “yecʼhed mat” (santé! en breton) - et à la séance de sit in/jump, on peut reconnaître que le combo délivre du matériel typique de tête d’affiche. Cela n’empêche cependant pas une certaine lassitude de s’installer durant le set. Est-ce la faute aux titres du dernier album UNATØNED, qui ne passent pas si bien l’exercice du live avec leurs refrains mollassons (on pense notamment à “ØUTSIDER”) ? Il faut attendre “Bulldozer” pour retrouver de l’énergie, avant l’enchaînement jusqu’à “Davidian” : les flammes et les feu d’artifices sont de retour, aussi intenses qu’à l’ouverture du concert. En guise de rappel, “Halo” déclenche de très nombreux slams dans le public, préfigurant ceux de la sécu dès le concert terminé. Un concert inégal mais au moins festif pour finir le festival.

Setlist Machine Head:

In Comes The Flood (sur bande)
Imperium
Ten Ton Hammer
CHØKE ØN THE ASHES ØF YØUR HATE
Now We Die
Is There Anybody Out There?
ØUTSIDER
Locust
BØNESCRAPER
The Declaration (sur bande)
Bulldozer
From This Day
Davidian

Rappel:
Halo

Les autres concerts

Duo fracassant sous la Massey : un bassiste, échappé d'Amenra et un batteur offre un metal indus extrêmement percutant avec Doodseskader. Les deux se partagent le chant, entre clair et saturé, joue sur des rythmiques imparables et réussit à deux à occuper tout l'espace sonore et à proposer un son original pour le genre. Entre deux morceaux, le bassiste Tim De Gieter prend le temps d'expliquer le message de certains morceaux, notamment pour évoquer les problèmes de santé mentale. Le public semble assez captivé, et le groupe nous happe par ses rythmes syncopés et son originalité.

Place à l’électro et au synthwave avec Gost, sans H, mystérieux artiste américain masqué qui se produit sur scène aux commandes d’une console de mix accompagné uniquement d’un bassiste. La scène est bien dépouillée pour la performance pourtant lourde et très dansante du duo qui transforme la fournaise du chapiteau en night-club sombre tendance années 80 avec son groove et ses basses fréquences. Le public n’hésite pas à sauter et à marquer son appréciation, soulagé par les arrosages salvateurs des agents de sécurité. Quelques slammeurs s’élancent, et une zone de pogos / circle pits composée exclusivement d’enfants se crée, sous la surveillance bienveillante des adultes de la fosse et de l’équipe de sécurité. Le frontman, quant à lui, ne se ménage pas, il ne cesse d’encourager le public à headbanguer, et finira dans le pit pour saluer la foule en fin de set, sous les applaudissements .  

Après le concert enragé de Fear Factory, la fosse des scènes principales se vide grandement. Heureusement, il reste tout de même un peu de monde pour écouter le très beau set de Primordial sur la Suppositor Stage. Le quintette irlandais est souvent présenté comme une formation de black metal, mais cela semble inexact et réducteur. Certes, les ambiances sont sombres, assez occultes, mélancoliques et oppressantes, mais l’agressivité est atténuée par rapport à du black metal standard. En revanche, Primordial intègre des éléments de musique irlandaise, en faisant plutôt un groupe de black folk, avec aussi des éléments de doom, et un chant souvent clair. La mélancolie de sa musique a quelque chose de presque doux, et semble adaptée pour un dimanche soir qui fleure la fin de festival. Pour un set plus long, le groupe sera d’ailleurs la tête d’affiche du prochain Cernunnos Pagan Fest.

Alors que la majeure partie du festival est devant les scènes principales pour mugir avec la machine de guerre qu’est Machine Head, la Bruce Dickinscène nous offre une clôture plus douce et plus envoûtante. Le groupe britannique Green Lung conclut la journée stoner / doom de la petite scène. Actif depuis 2017, le quintette propose une musique planante, inspirée des vieux groupes de rock et heavy metal des années 1970, avec un côté presque psychédélique, renforcé par une esthétique doom et stoner qui n’est cependant jamais pesante. Un concert idéal pour se laisser porter une dernière fois et se noyer dans la musique.

Textes : 
- Aude D (Margarita Witch Cult, Ensiferum, Fear Factory, Candlemass)
- Félix Darricau (Møsi,Wyatt E, Between the Buried and Me, Machine Head)
- Julie L (Cobra the Impaler, Landmvrks, Harakiri for the Sky, Kanonenfieber)

Photos : Lil'Goth Live Picture. Toute reproduction interdite sans l'autorisation de la photographe.



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