Le groupe irlandais Primordial, déjà auréolé d’une réputation solide dans la scène extrême, mêlant black metal, folk celtique et pagan atmosphérique, propose ici un album live qui se veut à la hauteur de sa mythologie. Ce n’est pas simplement un best-of sur scène, mais une captation de la puissance, de l’émotion et de la théâtralité dont le groupe est capable lorsqu’il se déchaîne en concert. L’album nous plonge dans une expérience où la musique sert des textes vigoureux, où le chant hargneux de Alan “Nemtheanga” Averill se fait héraut d’une parole engagée et où la machine instrumentale s’appuie sur des riffs massifs, des ambiances lourdes et une présence scénique palpable.
L’un des premiers critères pour juger un album live est évidemment la captation de l’énergie scénique : applaudissements, interactions avec le public, souffle, relief par rapport au studio. Ce live de Primordial remplit cette fonction avec brio. On ressent, sur des titres comme “No Grave Deep Enough” ou “Empire Falls”, le crescendo qui monte doucement, les riffs qui tombent comme des coups de masse, la batterie qui martèle et surtout cette voix centrale qui harangue. Même si la production ne laisse pas entendre chaque respiration du public (ou même ses réponses aux appels de Nemtheanga), on sent que le groupe joue pour l’auditoire et l’auditoire répond.

"Gardez vos proches près de vous […], c’est peut-être la dernière nuit que vous passez sur cette terre… Avec nous." - A.A. Nemtheanga
Cette dimension vivante fait que l’album ne donne pas la sensation d’un simple enregistrement : il restitue un moment, une atmosphère, presque une communion tribale, intensifiée par l’impression de salle à l’échelle humaine (et non un stade). Par exemple, sur “The Coffin Ships”, le mélange entre tempo lent, montée dramatique et exclamation collective crée un effet de catharsis et de transe tribale.
Musicalement, Primordial ne triche pas : les guitares sont épaisses, les rythmes solides, la basse bien présente. La batterie de Simon Ó Laoghaire frappe fort, les cymbales claquent, les orchestrations folk metal apparaissent dans les mélodies sinueuses.
Les albums live souffrent parfois de deux maux : un son trop brut, mal capté et/ou un mix trop « studioisé » qui fait perdre l’âme du concert. Ici, Primordial mise sur un compromis assez bon : le son est net, les instruments bien équilibrés, sans pour autant gommer totalement l’aspect sur scène. On entend parfois les respirations ou le public, ce qui donne du relief. Le travail de mixage permet de conserver la clarté tout en respectant la dynamique. Les passages lourds n’écrasent pas tout, les moments calmes ne disparaissent pas. La production live est donc réussie car la puissance brute est maintenue, il y a de l’espace pour les nuances et l’ambiance du show est bien restituée. Sur ce point, l’album remplit largement son rôle.
On peut citer “As Rome Burns” où le tempo est rapide, tendu, avec des alternances claires de couplet/refrain marqués, tandis que sur “Heathen Tribes”, la montée est plus lente, l’ambiance plus lourde, laissant place à des espaces planants avant de repartir sur un riff massif. Le mix live garde de la définition malgré une guitare lead qui se perd parfois dans le son et qui mériterait de ressortir. Le groupe réussit ainsi à offrir à la fois la puissance brute et la finesse d’un jeu bien articulé, ce qui amplifie l’impact lorsque le chant s’élève. On regrettera cependant quelques passages de batterie qui semblent moins précis comme lors de l’introduction où on a une sensation de désynchronisation des toms et de la grosse caisse, défaut que l’on retrouve à d’autres moments du live, sur des rythmiques similaires ou certains breaks, comme si Simon O Laoghaire n’était pas si en forme ce soir-là…
Ce qui ressort particulièrement chez Primordial, c’est cette dimension lyrique qui n’est pas secondaire, au contraire. Alan Averill a toujours eu un style de chant charismatique, mixture de hurlement, d’introspection et de ce qu'on pourrait appeler « invocation tribale ». Cet album live permet de saisir cette qualité dans un cadre organique. Sur des morceaux comme “Bloodied Yet Unbowed”, les paroles portent un message : lutte, mémoire, identité, puissance des traditions. La voix est traitée comme un instrument à part entière. Elle module, elle joue avec le silence, les respirations, les nuances. Elle est ce qui donne à ces morceaux une dimension plus que théâtrale. Le public est capté et l’on a l’impression d’assister à un rituel. Le fait qu’il s’agisse d’un live ajoute à cette intensité : ce n’est pas juste un enregistrement immobile, mais un acte collectif, un moment d’énergie partagée, une cérémonie tribale et pagan !
Pour qu’un album live fonctionne, il faut un bon équilibre entre les morceaux hits du répertoire et des séquences moins attendues, afin de maintenir l’intérêt. Primordial semble avoir compris cela. On y trouve des titres attendus tels que « Empire Falls », « The Coffin Ships » ou « Gallows Hymn » qui font lever le public (qui l'est probablement déjà) et des morceaux plus récents ou moins fréquemment joués comme « How it Ends » et « Victory Has 1000 Fathers, Defeat Is an Orphan ». La présence de cette dernière témoigne d’un souci de proposer autre chose que la simple redite de l’intégralité d’un seul album. Alors bien sûr, la setlist est composée aux trois quarts des hits du groupe et cela fait plaisir au public qui s’y retrouve du début à la fin. Le déroulé crée une dynamique : ouverture puissante, fondation solide et communion avec le public au milieu, puis montée vers un final marqué. Une bonne gestion du tempo (alternances entre morceaux rapides/punchy et morceaux plus lents/atmosphériques) permet de ne pas lasser. Cela donne à l’album une vraie construction de concert et pas seulement une succession de morceaux-phares.
En somme, même s'il ne s'agit pas, ici, d'une révolution du format live (arrangements radicalement différents, versions complètement retravaillées…), cet album live de Primordial est une excellente référence pour qui veut ressentir la puissance du groupe sur scène : il combine énergie brute, maîtrise instrumentale et hauteur lyrique (le texte, pas le chant hein!). Il ravira les fans et constitue une belle porte d’entrée pour les curieux.
Top 5 des moments marquants
“As Rome Burns”
Un véritable appel aux armes. Dès les premières mesures, Alan “Nemtheanga” Averill harangue la foule comme un tribun antique. Le refrain « Sing to the slaves ! » devient un cri collectif, repris par tout le public. La rythmique, rigide et martiale, soutient un texte brûlant sur la chute des civilisations et la corruption morale. Sur scène, c’est une tempête : la voix domine le mix, le public répond et c'est l’un des sommets dramatiques du live.
“The Coffin Ships”
Moment d’émotion pure et d’intensité dramatique. Cette longue pièce, l’une des plus emblématiques de Primordial, agit ici comme un rituel. Les arpèges de guitare à l'ouverture instaurent une tension quasi religieuse, bientôt balayée par l’entrée d'un chant alternant entre lamentation et défi. Le crescendo final, porté par des accords suspendus et des reverbs de cymbale, donne une ampleur presque liturgique, notamment au moment des dernières paroles scandées à la foule.
“Bloodied Yet Unbowed”
Le morceau qui résume l’essence du groupe : dignité dans la rage, lucidité dans la douleur. En live, la basse rugit, la batterie est sèche, et le chant prend une dimension plus viscérale que sur la version studio. Averill y incarne littéralement la résistance qu’il chante et chaque mot est martelé avec conviction. L’interprétation scénique, tendue et charismatique, transforme ce titre en un manifeste.
“Empire Falls”
Toujours aussi percutant, ce morceau s’impose comme le pivot du concert. Le riff principal, taillé dans le granit, entraîne la foule dans une transe rythmique. Les chœurs guerriers du refrain donnent une impression de charge épique. On y retrouve toute la dualité du groupe : le tragique des paroles et la puissance du metal comme exutoire. En live, cette chanson devient une véritable déclaration de guerre durant laquelle Nemtheanga fait chanter son public !
“Heathen Tribes”
Un final en majesté. Puissant et énergique, porté par des rythmiques de guitares qui ne s'arrêtent jamais, le titre agit comme un dernier serment scellé avec le public. Alan Averill s’y fait conteur et prophète, la voix pleine de gravité. La tension s’accumule avant l’explosion finale : un dernier cri collectif, presque cathartique, où la foule et le groupe ne font plus qu’un. Ce morceau conclut le concert sur une note à la fois triomphale et mélancolique. L’image parfaite de Primordial : fière, tragique et indomptable.
Tracklist
As Rome Burns
No Grave deep enough
The Golden Spiral
How It Ends
To Hell or the Hangman
Lain with the Wolf
Gods to the Godless
Gallows Hymn
Bloodied Yet Unbowed
The Coffin Ships
Victory Has 1000 Fathers, Defeat Is an Orphan
Empire Falls
Heathen Tribes
L'album Live in New York de Primordial est sorti le 7 novembre chez Metal Blade.



