Après plus de trente ans de carrière à modeler un metal gothique unique, profondément lié à la mélancolie portugaise et à l’occultisme poétique, Moonspell publie Opus Diabolicum, captation monumentale de sa première tournée orchestrale. Enregistré au MEO Arena de Lisbonne, l’album n’a rien d’un simple live avec cordes : c’est un opéra metal mis en scène, une réécriture symphonique qui place le groupe et l’orchestre dans une unité sonore pensée pour le spectacle.

Pour comprendre pourquoi ce projet fonctionne aussi bien, il faut revenir à l’essence même de Moonspell. Depuis Wolfheart et Irreligious, les Portugais façonnent un metal gothique singulier, nourri d’histoire, de poésie, de symbolisme et de mélancolie lusitanienne (ancien peuple ibérique). Leur musique porte déjà en elle une certaine théâtralité : voix grave et polymorphe de Fernando Ribeiro, guitares brumeuses, atmosphères occultes, sens du rituel. L’idée d’un live orchestral planait depuis longtemps dans l’air : 1755, enregistré avec un ensemble classique, en avait été l’esquisse. Mais Opus Diabolicum franchit un cap : ici, l’orchestre n’accompagne pas, il respire avec le groupe.
Dès l’ouverture, l’Orquestra Sinfonietta de Lisboa impose une densité sonore saisissante. Les cordes plongent la salle dans une tension quasi liturgique, les cuivres installent une menace sourde et les bois renforcent l’atmosphère nocturne. Ce n’est jamais décoratif : le Sinfonietta dialogue avec Moonspell, amplifie les riffs, épaule la batterie, transforme les crescendi en véritables vagues émotionnelles. Le chef Vasco Pearce de Azevedo conduit l’ensemble avec une précision qui donne l’impression de suivre un récit, une véritable narration musicale.
L’équilibre est remarquable. Qu’il s’agisse du souffle tragique de "Desastre" ou de la déferlante orchestrale de "Extinct", les arrangements dévoilent des couches harmoniques qui semblaient enfouies dans les versions studio. La puissance du metal n’est jamais atténuée : elle est magnifiée. La batterie claque et les guitares de Ricardo Amorim et Pedro Paixão sont mordantes, mais les arcs mélodiques des violons ou les irruptions des cuivres apportent une dimension cinématographique qui semble avoir toujours appartenu à l’univers du groupe.
Un répertoire réinventé sans trahir ses racines
Certains titres comme "Em Nome Do Medo" prennent sens avec l'orchestre comme seul interlocuteur au chant, alors d'autres paraissent presque renaître. "Vampiria" devient une invocation gothique totale, laissant s’installer une tension opératique que l’album d’origine ne contenait qu’en germe. "Alma Mater", quant à lui, se mue en chant de ralliement : les cordes élèvent le morceau vers une dimension plus héroïque encore, tandis que le public répond à Fernando Ribeiro comme un chœur, offrant l’un des moments les plus intenses du concert.
À l’inverse, d’autres pièces comme "In Tremor Dei" ou "1755" conservent une structure familière (avec des moments déjà orchestraux d'origine), mais gagnent en poids dramatique grâce à des subtilités orchestrales : un motif prolongé ici, une montée plus lente là, un silence plus expressif... Ces modifications discrètes, mais sensibles, transforment la dramaturgie globale du live et donnent un sens nouveau à l’enchaînement des morceaux. L’ensemble dessine une véritable progression émotionnelle, plus riche que sur les albums studio.
Opus Diabolicum impressionne par sa cohérence. On n’y sent jamais la séparation entre un groupe amplifié et un orchestre acoustique : les deux entités vivent ensemble, se répondent, s’enrichissent. Cela tient autant à la qualité des arrangements et du mix qu’à la capacité de Moonspell à accepter une relecture profonde de son propre répertoire. Leur univers sombre, baroque et passionné s’épanouit pleinement dans ce format, comme si l’orchestre avait toujours été là, dans les interstices de leurs chansons.
Tout cela donne au live une ampleur rare. On ne parle pas d’un simple « anniversaire », on parle d’une œuvre qui met en perspective trente ans de création et qui les projette vers l’avenir.

Fernando Ribeiro, narrateur d'une cérémonie noire
Grâce au travail de mixage, le chanteur devient ici un véritable conteur dramatique. L’orchestre ne recouvre jamais la voix, au contraire, il multiplie les réponses, les échos, les contrastes. Le travail vocal, entre mélopées basses, incantations parlées et chant death, repose sur une maîtrise scénique impressionnante.
L’ingénierie sonore est remarquable : le mix évite la collision guitares–orchestre, la batterie de Hugo Ribeiro est puissante, les tissus de cordes et les cuivres conservent leur ampleur. L’album sonne massif sans jamais sacrifier la finesse.
L’expérience symphonique vient ici modifier la dramaturgie (la musique est plus progressive et souvent plus tragique) et les couleurs harmoniques (les cordes révèlent des tensions ou des résolutions insoupçonnées). Les silences sont beaucoup plus expressifs et la dynamique générale devient plus narrative et moins frontale.
La captation filmée renforce encore ce sentiment de rituel. Jeux de lumière, cadrages sur les musiciens de du Sinfonietta, mise en scène sobre mais habitée : Opus Diabolicum raconte visuellement ce que la musique nous conte déjà. On comprend vite que ce concert a été pensé comme une œuvre en soi et non comme une captation opportuniste.

Opus Diabolicum est un jalon majeur de la carrière des Portugais. À la fois hommage, célébration et exploration, ce live orchestré montre un groupe au sommet de sa maturité artistique, prêt à transformer son héritage en fresque cinématographique. Moonspell n’ajoute pas un orchestre : ils créent un monde où le gothique, le métal et la musique classique dialoguent pour raconter une histoire.
Un album important, puissant et élégant : l’un des live symphoniques les plus réussis de ces dernières années !
Les meilleurs moments
- “Vampiria”
Ce moment attendu par le public change l'atmosphère du concert par l'appel incantatoire de Fernando Ribeiro. Ici, théâtralisation de la musique, montée orchestrale, emphase gothique. L'orchestre transforme le côté très death metal de l'album par une musique planante et invocatoire. Jusqu'à ce que tout s'enflamme. La batterie envoie la double pédale, les guitares commencent leurs riffs saturés et l'orchestre entame de lancinantes et hypnotiques montées. L'arrangement laisse place aux moments suspendus, accepte le silence et la réécriture du final rappelle les arrangements du Skálmöld Og Sinfóníuhljómsveit Íslands pour le plaisir de nos oreilles.
- “Alma Mater”
Le morceau commence par un appel du chanteur à qui répond le public. Puis le chant guerrier est repris par tout le MEO Arena et ce, pendant tout le morceau. L'énergie est puissante et partagée par tous les musiciens. Les cordes tiennent des lignes mélodiques sans fin qui surlignent le chant inarrêtable du public et les trompettes sonnent le glas dramatique de cette scène glorieuse. La ferveur du moment est suivie de plusieurs minutes d'applaudissements et on comprend pourquoi.
- "Tungstennio"
Pour finir, on ne peut pas ne pas parler de l'introduction 100% orchestrale qui plonge le public dans une ambiance sombre et rituelle. Les bois graves entament une lancinante mélodie qui durera plus de cinq minutes et sur laquelle viendra s'ajouter petit à petit tout l'orchestre. Les cuivres d'abord, avec des interventions précises mais laissant présager un mal qui vient. Puis les cordes qui viennent doubler la mélodie première. S'ajoutent à cela de plus en plus de dissonances et d'effets sonores de l'orchestre jusqu'à ce que la musique se change en une danse étrange et hallucinée, qui rappelle les déambulations de la dixième symphonie de Mahler. La musique est de plus en plus tourmentée et les nuances augmentent avec le drame qui semble s'annoncer.
Opus Diabolicus est sorti le 31 octobre 2025 sur le label Napalm Records.
Tungstennio
Em Nome do Medo
1755
In Tremor Dei
Desastre
Ruínas
Breathe (Until We Are No More)
Extinct
Proliferation
Finisterra
Everything Invaded
Scorpion Flower
Vampiria
Alma Mater
Fullmoon Madness











