Christ Agony – Daemoonseth Act II (1994)

"Astaroth... This is the devil's call !"

~
 Anno ruinae, year of decay - 1994 ... Suite et aboutissement prévisible de la maudite 1993 dont elle porte déjà tous les stigmates, cette nouvelle grande cuvée pour la scène extrême aura logiquement et en toute conséquence porté en son étreinte de mythiques albums d'Art Noir, dont nous aurons l'occasion de vous reparler tout au long de cette année de célébration de son vingtième anniversaire...

Cependant, une fois n'est pas coutume, j'aimerais mettre un instant de côté la tumultueuse scène scandinave, l'Inner Circle, sa consoeur la Satanic Horde suédoise et autres, pour partir un peu plus à l'est, du côté de l'austère Pologne. Contrée plus traditionnellement portée sur le death et le black NS, qui s'est alors libérée du joug Soviétique depuis quelques années, quand dans le même temps son emprise religieuse de prédominance catholique (dont la figure la plus emblématique restera Karol Józef WojtyŠ‚a, plus connu sous le nom de ... Jean-Paul II !), n'a, elle, cessé de croître.
Contexte tendu qu'il est important de rappeler (surtout en France, où l'on se sent parfois encore «gros bras» en tirant sur les ambulances, tout en continuant de courber l'échine devant les puissants!), et dont Gorgoroth ou même les locaux de Behemoth ont eu à faire les frais par la suite, même si depuis - et comme partout ailleurs - les lignes sont en train de bouger.

C'est donc dans ces circonstances qu'a vu le jour Christ Agony. Et ce deuxième méfait (attention à l'aspect trompeur du titre, il n'y a pas eu d'autre album appelé Daemoonseth, l'Acte I se rapportant au premier album Unholyunion de 1993 et l'Acte III à Moonlight paru trois années plus tard...), le second acte, donc, de son oeuvre personnelle et blasphématoire va nous intéresser à plus d'un titre.

 

En premier lieu car musicalement le combo, incarné en majeure partie par sa tête pensante le dénommé Cezar (personnalité locale influente et respectée, également à l'origine du projet Moon - avec Doc le regretté ex-batteur de Vader...), se pose déjà comme une formation bien à part.

A contre-courant de la seconde vague extrême scandinave alors en plein essor, et qui pour l'heure explore deux voies bien marquées - la course aux tempos les plus fébriles et supersoniques qui soient, et celle au son d'outre-tombe le plus 'necro' possible - , Christ Agony affiche bien haut et fort sa différence, sa spécificité. En effet, après un Unholyunion de bonne tenue mais encore chaotique - dans le son et dans le parcours d'un groupe qui se cherchait toujours un peu - , la horde signe avec ce Daemoonseth une production affirmée, claire et puissante (encore tout à fait honorable aujourd'hui - surtout pour un 20 ans d'âge ! - avec notamment un équilibre remarquable entre les différents instruments, tous bien perceptibles, ce qui n'était pas le moindre des mérites pour l'époque!), et qui puise aussi bien dans le death 'evil' des origines (loin de la course à la vitesse et à la brutalité avec les confrères de Deicide outre-Atlantique, à laquelle leurs compatriotes de Vader commençaient d'ailleurs à s'adonner...) que dans le black métal première vague (avant donc que l'ingratitude de cette scène ne la fasse cracher sur le heavy et parfois sur le thrash...). La batterie est ainsi des plus percutantes, mêmes si les 'blasts' eux ne vous paraîtrons peut-être pas franchement des plus impressionnants.

Un certain parallèle, au niveau des riffs mélodiques les plus rapides (et ce dès le premier pavé "Urtica Diaoica Cultha"), serait certes à faire avec le death/black d'un Dissection sur The Somberlain... Mais on sent aussi que les gaillards ont bien retenu les leçons helvétiques de Celtic Frost ou de Samael en termes de lourdeur et de tortures rituelles, mais également de toute la scène doom/death anglaise de l'époque, My Dying Bride et Paradise Lost en tête. Gageons enfin que leur coeur aura certainement été bercé aussi à l'entrain épique des évocations emplies de nostalgie de Bathory à son tournant 'viking', comme au bon vieux temps de ses râles primitifs d'ailleurs.

C'est donc armé de toutes ces influences, mais aussi de toute sa personnalité, que Cezar et ses sbires vont façonner un son qui leur est propre, et même des plus singuliers dans le genre, ce qui de fait ne manquera pas de séduire le légendaire label français Adipocere Records (et là, c'est les souvenirs de toute une époque qui remontent, hein ?!...), poussant ce dernier à les signer parmi ses autres poulains, les jeunes Moonspell, Sacramentum, ou encore ... Bethlehem, ces Allemands entrés dans l'Histoire en tant que dépositaires d'un nouveau genre, le "dark metal", avec leur album du même nom ... (je le mentionne ici, car les Christ Agony, avec leur métal à forte teneur "émotionnelle" et à la croisée de tous les genres extrêmes, allaient vite se voir affublés de la même étiquette !)
Mais du reste, on peut aussi bien imaginer que les Polonais auraient eu tout autant leur place chez les concurrents d'Holy Records (rebelote, ça y est les larmes de nostalgie vont de nouveau monter chez certains...), au milieu notamment de Nightfall ou d'un Septic Flesh alors écrit en deux mots et encore dans ses jeunes années. Bref, vous mordez le topo, les anciens ?!...

Sauf que là où toutes ces formations pouvaient parfois trahir l'amateurisme de leur jeunesse et/ou le manque de moyens, tout sur ce Daemoonseth semble avoir été peaufiné jusque dans les moindres détails...
 

Christ Agony 1994, Daemoonseth Act II line-up


La plus grande force de ce disque réside en fait peut-être dans la manière dont se développent (et ainsi se révèlent à nous) les morceaux qui le composent ... 6 pistes pour un peu moins de 47 minutes de musique (en comptant l'intro), là encore on se doute bien qu'on ne tombera pas dans la radicalité expéditive d'un brutal-death à la Deicide (même si le Vital Remains pre-Benton nous montrera en 1997 sur son Forever Underground que l'on peut aussi avec bonheur triturer et étirer les structures sur plus de 9 minutes dans un registre 'death' !) ... Seulement, attention : on n'est pas non plus pour autant en présence de morceaux black à vélléités 'ambiant', qui durent pour le plaisir de laisser durer et d'essayer de tenir en haleine avec 2-3 riffs hypnotiques tournant en boucle.

Il n'empêche que c'est bel et bien hypnotisé que l'auditeur ressortira pourtant de l'écoute de ce Daemoonseth... Pas par les artifices qui auraient pu être déployés (on se cantonne ici à un sifflement perçant en plein "Sacronocturn" et à quelques rares larsens çà et là...), mais plutôt dirais-je subjugué et envoûté jusqu'au plus profond de sa chair par les nombreuses authentiques trouvailles et le savoir-faire mis en oeuvre. Ici, on ne cherche pas à exhiber la technique et la sauvagerie poussée à l'extrême, simplement à faire ressortir la bestialité intérieure immaculée, un profond 'feeling' occulte, des riffs vicieux et tranchants... Et le combo y parvient merveilleusement !

En effet, si la musique peut sembler minimaliste par rapport à d'autres formations de l'époque (black/death? "blackened" death ?? 'dark metal' puisqu'on en parlait ?!!  Ou bien simplement comme des riffs brutal death que l'on aurait passés au ralenti, saupoudrés de traces de black mélodique...), et si le 'pattern' de répétition (à laquelle on vient toujours rajouter un petit quelque chose) est bien de mise, ce n'est que pour mieux vous envelopper et vous mettre en confiance, mes enfants !... Mais cela ne rend que plus forte encore l'incursion d'autres éléments venant ajouter du piment à l'oeuvre : furtives guitares acoustiques tirant parfois vers le 'folk', très discrètes dans le mix mais qui font toujours leur petit effet (la 'ca-danse macabre' de "Diaboli Necronasti" rappelle un peu le Behemoth des débuts...), arpèges du même accabit (cette "Introit Moon" n'aurait-elle pas pu être ainsi le 'brouillon' du "Alsvartr" d'Emperor à paraître - 4 ans plus tard - si celui-ci avait cette fois été écrit par le Satyricon de Dark Medieval Times ?!), quand il ne s'agit pas au contraire d'incartades bien 'doomy' (final d' "Urtica Diaoica Cultha") ou de pures cassures 'heavy/thrash' (le break sur la seconde partie de "Sacronocturn" est une belle mandale à lui seul !). Nombre de fois, le groupe semble ainsi se jouer de l'auditeur, qui ne sait à quoi s'attendre sur la longueur et perçoit pourtant chaque nouvel élément avec comme une sensation d' « étrange familiarité » ...

Il convient de ne pas oublier non plus de mentionner les envolées flamboyantes des parties de guitares mélodiques, tant le jeu en 'lead' se révèle des plus incarnés qui soient, viscéral et expressif au plus haut point, entre influences mélancoliques et plaintives d'un Greg Mackintosh (qui se retrouvent également dans les parties de guitare 'clean' sonnant très Paradise Lost justement...) et autres bends et mini-tappings torturés ("Diaboli Necronasti" ou "Sacronocturn" encore une fois, il suffit de réécouter attentivement les petites parties cachées dans le final de ce dernier...), dignes du jeu instinctif tout autant que maîtrisé d'un Jon Nödtveidt dans Dissection (on ose d'ailleurs à peine imaginer ce qu'une bien hypothétique collaboration entre les deux hommes aurait pu donner à l'époque !).

C'est qu'en plus de tout cela, vocalement parlant aussi cet album parvient encore à tirer son épingle du jeu ! De vocaux 'old-school' écorchés (ni tout à fait du 'scream' black, ni du 'growl' de deatheux...), on passe à des incantations parlées, chantées ou déclamées comme en pleine liturgie religieuse, ou plutôt comme si le groupe nous donnait à assister à ses premiers rituels, qu'ils soient réels, métaphoriques ou fantasmés... En tout cas, le tout mis bout à bout confère à ce Daemoonseth un véritable surcroît d'authenticité qui fait défaut à bon nombre de groupes de black « de carnaval » ...

Et cela nous amène à l'autre grande force de cet album, qui passe de la musique au texte pour mieux y retourner ensuite... C'est que Cezar, nous l'avions dit en préambule, prend ses distance ("Non Serviam !", affirmaient la même année en album leurs homologues grecs de Rotting Christ....) avec l'approche un peu 'suiveuse' typiquement scandinave (Norvégienne et ses émules en tête), afin de mieux parler de sa propre expérience personnelle et de ses convictions intimes, toujours en lien avec sa spiritualité intérieure et forcément le monde terrestre environnant qui l'a porté - et qu'il a supporté.

C'est ainsi finalement que doivent se comprendre les paroles de ce Daemoonseth : comme une forme d'abjuration, de condamnation et de « dé-communion » avec la culture religieuse portée par les valeurs et les traditions de sa Pologne natale, auxquelles notre homme renonce ici de manière totale, définitive et sans appel. Et contrairement à certains des contrées du Nord (on ne donnera pas de noms mais on y pense très fort...), il ne s'agit pas de jouer avec des figures ou des concepts occultes que l'on ne maîtrise pas - juste histoire de s'inscrire dans un certain 'folklore' juvénile - ni de sombrer à l'inverse dans un hermétisme flou qui ne s'adresserait qu'à une poignée d'initiés... Le musicien ne botte pas en touche pour autant, et fait même preuve au contraire d'une grande sagacité quand il partage son expérience en la rendant accessible au plus grand nombre, pointant directement du doigt son principal ennemi : la religion chrétienne. La pochette de couverture résume bien à elle seule l'esprit de l'album : deux serpents-démons (la dualité Satan/Lucifer ? A moins que ce ne soit juste l'émanation de quelque qliphoth...) venant enserrer et imprégner de leurs fluides la Croix renversée et avec elle les valeurs inculquées.

En utilisant directement les symboles et une terminologie empruntés à la Bible comme autant d'armes qu'il vient ainsi retourner contre l'Eglise qui fait entreprise avilissante de cette dernière, Christ Agony nous fait directement sentir - quasi « physiquement » - son propre ressenti et sa réflexion naissante en la matière, rendant l'ensemble plus perceptible que jamais, comme si une communion d'esprits - et un esprit de communion - s'opérait dans le même temps avec l'auditeur.

Dans ce contexte, LE point culminant de cette oeuvre reste assurément ce "Sacronocturn" émancipateur (et vaguement sexuel aussi !) ... Pourtant un titre de jeunesse (une démo du même nom était parue en 1990, alors que Cezar n'avait pas 20 ans...), voilà un morceau qui résonne avec toujours autant de force encore 20 autres années plus tard ! Avec ce poignant lamento cérémoniel en guise de prologue, sur lequel vient se greffer de concert une basse mélodique à tonalité aiguë qu'on croirait tout droit sortie du The Cure de la 'trilogie glacée' ou de Dinsintegration (le groupe rendrait quelques années plus tard un plus franc hommage encore à ses influences "romantiques", gothiques et dark-wave suave, de Paradise Lost à Death in June et autres Joy Division, sur le déroutant Darkside...), Christ Agony exprime alors dans toute la naïveté de sa spiritualité naissante - mais aussi avec une grande lucidité - toute la renonciation sacrificielle que sa voie implique, ainsi que ses nouvelles adhésions/affinités instinctives, qui ne manqueront pas de parler à tous ceux qui ont mis un jour ou l'autre un pied dans l'initiation occulte...
 

" It's me
that changes the wine into the blood
and my body
is to be eaten
by your congregation

Oh god
Look at me
This is my belief

(...)

I wanted to extinguish
The candles on
My own altar
I've tried to conquer the day
Which smouldered my body
I've tried the blood
From my own face
I've tried my own crown
Which kneds before you, humiliated "

Cezar these days...

Cezar « dernière époque », désormais plus rangé dans les 'standards'...

Par la suite, les Polonais ne parviendraient jamais à retrouver la flamme sacrée. Le très bon titre "Abasatha Pagan" (et son efficace leïtmotiv final « Satan, coronation ! » des plus efficaces, comme un Deicide au ralenti...), venant clôturer ce Daemoonseth - mais quelque peu en rupture avec le reste du disque - préfigurait d'ailleurs la tournure plus brutale mais aussi plus prévisible et moins authentique qu'adopterait le groupe sur ses dernières offrandes, avec d'ailleurs aujourd'hui une formation aux allures de 'all-star band' plus qu'autre chose, renfermant ponctuellement un ancien bassiste de Vader ou le batteur de Behemoth parfois de passage.

Entretemps, Christ Agony ne trouverait que le moyen de nous servir un Moonlight Act III un brin surestimé ne faisant que réchauffer les recettes ayant fait le succès de ses prédécesseurs, et pire s'empêtrerait dans des expérimentations quelques peu ratées (la fin des 90's fera d'ailleurs très mal à la carrière du groupe...). Ce qui ne nous empêchera donc pas de guetter la sortie prochaine d'un nouvel opus au nom potentiellement prometteur de Legacy, tout en ressortant régulièrement de nos étagères ce Daemoonseth, en n'oubliant pas de se le passer en boucle plusieurs fois à chaque session pour obtenir un effet optimal et, qui sait, peut-être recevoir la grâce...


Ave Cezar et Lucifer, hail Satan...  Et merci pour cette superbe oeuvre 'collégiale' (pour ne pas dire 'conjugale'...) !  En dehors de l'édition originale, désormais assez peu disponible et onéreuse, nous ne saurions trop vous conseiller la réédition de 2000 par Pagan Records, plus abordable et surtout compilé en doublé avec le premier 'Acte', Unholyunion, soit un grand moment de métal occulte pour tous les amateurs de "sensations pures". En attendant une hypothétique suite sans toutefois trop y croire hélas.
 

LeBoucherSlave


"My power stands in my soul... in my death" - Rest in Chaos, Jon & Selim ! ... Hail Azerate and current 218 !!...

 

close

Ne perdez pas un instant

Soyez le premier à être au courant des actus de La Grosse Radio

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.



Partagez cet article sur vos réseaux sociaux :

Ces articles en relation peuvent aussi vous intéresser...

Ces artistes en relation peuvent aussi vous intéresser...