Peter Dolving, chanteur du groupe The Haunted

Il y a des artistes plus intéressants à interviewer que d'autres. Bien qu'il soit toujours intéressant (enfin presque) de pouvoir discuter musique avec des pros, il arrive qu'on ait à faire à de très fortes personnalités dont le discours et l'attitude peuvent être assez radicales, pour le meilleur ou pour le pire. Pour cette interview de The Haunted, le choix était donné entre Per Möller Jensen, le batteur, charmant comme ses petits camarades, et Peter Dolving, personnage sympathique mais au discours et idées nettement plus affirmées. L'occasion était trop belle d'en apprendre un peu plus sur ce caractère bien trempé, qui n'a pas la langue dans sa poche et dont les propos, parfois un peu abrupts, tranchent assez radicalement avec ce qu'on a l'habitude d'entendre. S'en est suivi une interview centrée autour du rapport à la création que voici, malheureusement effectuée par mail, de sorte qu'il était impossible de réagir aux réponses et donc d'approfondir davantage. La prochaine fois !

Avant toute chose, revenons un instant à VERSUS. Es-tu satisfait de l'accueil qui lui a été réservé ?

Laisse moi commencer l'interview en expliquant à quel point je suis fatigué de parler du passé. Le travail  (ndlr : Peter utilise souvent "The Work" pour évoquer l'investissement artistique quotidien) en est à un point où si je ne m'éloigne pas de la façon traditionnelle de rencontrer des journalistes de musique, je vais devenir amer et désagréable. Je vais essayer une approche différente.
 

Avec le recul, es-tu toujours satisfait ?

Dans la perspective "c'est juste un autre album", si tu peux comprendre le feeling. Avec le temps, je réalise de plus en plus que chaque album, chaque étape de travail n'est qu'un moment arrêté dans le temps, parce que cela a été défini par la société capitaliste dans laquelle nous vivons : en tant qu'artiste, je dois m'arrêter, faire un effort commercial et artistique pour prouver ma valeur sur le marché dans le but de pouvoir faire ce qui compte vraiment, monter sur scène et jouer de la musique. C'est franchement ridicule, nous sommes piégés, chacun de nous, donc on fait de notre mieux pour fonctionner dans ce confinement, trouver un équilibre qui fonctionne, et prendre l'opportunité de saisir l'instant et de l'exprimer. Ce qui est exprimé à ce moment est utilisé par les esprits bornés, ignorants et faciles à flouer pour nous juger par la suite. C'est très très étrange. Je suis traité comme une marchandise, bien que je sois un être humain vivant, qui respire et ressent. Et après certaines personnes s'étonnent que quelqu'un comme moi, et le groupe, fassions de la musique agressive !

Un peu comme the dead eye, unseen est assez expérimental et aventureux. Dirais-tu qu'il s'agit d'une réaction par rapport à Versus, qui était du the haunted plus classique ?

Steve Reich est expérimental. Fugazi était expérimental. The Mars Volta est tout juste expérimental. Il n'y a rien d'expérimental dans ce que nous faisons. Nous créons de la dynamique, du métal chargé émotionellement avec des retournements, on mélange des éléments pop, hardcore, punkrock et du heavy rock traditionnel dans notre musique. Qu'y a-t il d'expérimental là-dedans ? Je souhaite juste dire qu'on fait de la musique, de la musique pour des êtres humains. Pas pour des robots, ou des gens qui pensent détenir toutes les réponses, pas pour des gens qui sont convaincus, pas pour des gens qui sont persuadés d'avoir raison, mais pour des êtres humains qui ont un coeur qui bat dans leurs poitrines. Une envie profonde d'aimer, un désir ardent d'espoir. Des êtres humains qui veulent aimer. Celui qui connaît la difficulté de la vie comprend qu'il y a plus que de l'indifférence. Des êtres humains qui voient la musique comme un art magnifique et le lien social qu'elle est véritablement. Une dépendance à la vie.

 
Dans quel état d'esprit avez-vous abordé la composition ?

La discipline est la voie vers tout ce qui est créatif. J'emmerde l'inspiration et toutes ces illusions hiérarchiques qui entourent la créativité. C'est comme les arts martiaux. Tu dois apprendre les techniques, les maîtriser, puis apprendre à tenir ton ego à l'écart, et y aller, tout simplement. Tout comme quelqu'un apprend à marcher, parler, ou faire du vélo. Et alors ça commence. Vraiment. Ca sonne très anti-romantique pas vrai ?

 
Ton chant est phénoménal. As-tu été impliqué plus en amont cette fois, car je crois que d'habitude tu travailles sur les compos que tes camarades te proposent ?

On a fait le contraire, on a travaillé en flux constant cette fois. On a pris une décision : nous n'allons pas juger quoi que ce soit sur une histoire d'apparence ou de bonne gueule. On va plutôt s'efforcer d'abord et avant tout d'écrire des chansons. Des chansons distinctes et qui se retiennent. La plupart de ce que tu as pu entendre est issu d'ébauches : un riff me vient, je l'écoute et le laisse de côté, et à la fin je vais trouver les bons mots. Parfois j'enregistrais une chanson a capella et je l'envoyais aux autres. On s'envoyait des petits enregistrements les uns aux autres. De la guitare acoustique, des fredonnements... C'est un processus ouvert avec un but, faire des chansons qu'on aime vraiment, des chansons dont on sait qu'on va apprécier les jouer pour un public et les chanter, pour eux et avec eux. Des chansons qui communiquent notre voyage émotionnel comme le résultat de notre voyage physique. On cherche l'équilibre et la simplicité. Zen.

La musique est très riche, simple en apparence, mais truffée de trouvailles mélodiques. Etait-ce un challenge en termes d'écriture de de production ?

Non. Ca nous est enfin venu naturellement.

Même si le groupe n'a jamais eu peur d'expérimenter, l'évolution stylistique est très marquée cette fois. Est-ce que la possible réaction de votre public est quelque chose que vous prenez en compte ou pas du tout ?

On doit faire un choix à chaque fois qu'on créé une sorte d'enregistrement/documentation/représentation de notre travail/entité. On doit choisir de rester loyaux envers nous-mêmes, ou pas. Cela peut être douloureux, le désir humain d'amour, de validation et de confirmation est fort. Les années passant, nous avons appris qu'en faisant notre travail on s'expose à la réaction de milliers, voire de millions de personnes. Mais à la fin de la journée, on en est arrivés à la conclusion que nous devons créer avec nos propres conceptions esthétiques comme boussole. Pas avec le ressenti de personnes extérieures au groupe. Ce pour une raison très simple : nous sommes ceux qui allons jouer ces chansons live, encore et encore et encore. Si nous n'aimons pas le travail que nous avons créé, cela va nous blesser en tant qu'humains et nous allons peu à peu nous désintégrer, devenir de plus en plus minces, vides et finalement morts. Notre motivation est de grandir en tant qu'artistes et hommes, pas de capitaliser sur une espèce de notion préconçue de ce que nous sommes supposés être, ou de quel style de musique ou mode de vie que nous devrions représenter pour les autres. Nous sommes des humains bordel de dieu ! Homo Sapiens. Pas Homo Ignorami (ndlr : très ignorant).

On peut sentir une grosse maturité. Comment vois-tu le groupe aujourd'hui ?

Comme une force vitale, un groupe de frères aux coeurs éclairés, riches, très expérimentés qui ont voyagé en connaissant des hauts et des bas, ont vu la beauté incroyable et l'affreuse laideur et qui se sentent forts, motivés et enthousiastes dans notre investissement continuel.

Penses-tu que l'âge et l'expérience qui va avec modifie votre rapport à la création musicale ?

Bien sûr.

Le titre de l'album est assez explicite, surtout pour qui connaît un peu ton style. Peux-tu néanmoins nous dire quelques mots sur les thèmes que tu as voulu aborder ? 
 
Au niveau des paroles c'est un album qui est globalement centré sur la question de la définition, de l'émergence des termes, et du refus de continuer avec des schémas et structures mentales destructives. Je trouve que c'est plein d'espoir, mais aussi bien plus dur que sur nos albums précédents.  

Cet album est tellement énorme que vous avez peut-être des objectifs particuliers avec ?

Notre objectif est de rester en mouvement et de toujours nous inspirer nous-mêmes, et avec un peu de chance à t'inspirer toi et les gens qui nous écoutent. Le reste dépend de chacun, de qui sait recevoir ou non la musique.

Quels sont vos plans pour la prochaine tournée ?

Comme toujours : on va tourner. Ce qui se passe sur scène est le résultat de la rencontre entre notre énergie et celle de l'audience, chaque soir est différent, mais c'est quelque chose de magnifique, qui croît et change sans arrêt. On est complètement parés pour un nouveau tour de piste.

Unseen, sortie le 21 mars chez Century Media

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