A quel point peut-on brasser les genres? Mixer ses influences pour donner un résultat où chacune est apparente? Il existe des groupes qui ont du mal à se décider. De véritables cas de conscience. Doit-on saluer la démarche? Pousser les musiciens à expérimenter encore et encore? Ou tirer la sonnette d'alarme quand cela s'avère nécessaire? De nombreuses questions qui se bousculent à l'écoute de telles formations. Pas la peine d'être doté d'un doctorat pour comprendre que ces interrogations s'adressent à A Secret Revealed. Ce jeune combo d'outre-Rhin franchit le cap difficile de la sortie d'un premier album. Un disque loin d'être singulier, par ailleurs…
Il y a de la bonne volonté, dans The Bleakness. Une envie perceptible de casser les codes et d'oser s'aventurer hors des carcans. Pour autant, difficile de qualifier l'ensemble de particulièrement original. Le quintette sert l'énième recette post-black / hardcore entendue auparavant des dizaines de fois. Le genre semblant particulièrement bien se développer, il n'est plus étonnant de découvrir un nouveau poulain dans l'écurie. Les Allemands empruntent des sentiers battus mais sortent de la masse par leur application. Les titres composant l’œuvre sont très bien écrits, et parviennent à accrocher l'oreille grâce à leurs mélodies. De cette façon, la massive « The Veil » ou la longue « Drowning » aux ambiances contrastées sont des réussites indéniables. S'il manque une personnalité musicale à A Secret Revealed, les jeunes hommes misent avant tout sur le chant pour désarçonner l'auditoire et se façonner une identité. De ce côté là, c'est réussi, mais à double tranchant.
Sur la formule post-black classique mais efficace, vient se greffer Paul. Et c'est cette carte abattue qui va se révéler déroutante. Le frontman évolue dans une veine hardcore / screamo qui rebute de prime abord. Il faut bien admettre que le mélange est osé, et pourrait se révéler intéressant. Seulement, là où les Allemands auraient pu marquer des points, The Bleakness souffre au contraire de l'interprétation du vocaliste. Ses hurlements sont monolithiques, à tel point qu'ils en deviennent fatigants, et révèlent l'incapacité complète de Paul à varier ses interventions. On se retrouve donc devant un chant hurlé tombant à plus d'une reprise hors-de-propos, comme en témoigne « Avoid the Light » ou « Shards ». Sa voix affuble le disque d'un côté linéaire que ses compagnons tentent pourtant de dissimuler en piochant des ambiances et riffs issus d'inspirations multiples. Mais les efforts se voient majoritairement ruinés par la pénible prestation vocale.
Cet obstacle pénalise complètement l'immersion dans l'ambiance développée sur The Bleakness. Il est difficile, au fond, de reprocher cette volonté de sortir des carcans. D'autant plus qu'instrumentalement, l'ensemble tient la route. Il suffit d'écouter « The Abyss » ou le final « The Longest Days » pour se persuader qu'A Secret Revealed est loin de l'amateurisme. Ces morceaux tiennent la route, instaurent de belles ambiances, et démontrent le savoir-faire évident des Allemands. Pourtant, Paul y chante de la même façon, aussi bien sur les parties ambiantes que les moments plus agressifs, et ce sera une constante sur l’œuvre. On ressort de l'écoute fatigué, et frustré. Même dans une pièce comme « To Have a Dream is to Be Cursed », où le frontman pourrait être plus à son aise, celui-ci ruine tous les efforts du combo. Un comble.
Cet album, c'est un peu comme si La Dispute s'essayait à du Der Weg Einer Freiheit, ne serait-ce que sur « Avoid the Light ». L'idée n'est pas déplaisante sur le papier mais le mélange rebute. Les nuances font cruellement défaut à A Secret Revealed, qui aurait pu surprendre et se montrer comme l'un des plus grands espoirs de la scène. Malheureusement, The Bleakness se révèle lassant, pénalisé par cette voix difficilement supportable. Ce n'est pas l'idée et l'envie de sortir des sentiers battus qui est condamnable. C'est simplement cette façon de vociférer incroyablement monotone et agaçante. Les bonnes intentions sont présentes, et les idées également. Il ne reste qu'à retravailler cette recette pour la rendre plus digeste et harmonieuse. Et au frontman de commencer à moduler son chant. On gardera un œil bienveillant sur ces cinq musiciens prometteurs, qui en ont encore sous le pied.
