Ulver – Perdition City (2000)

Perdus en ville


Ca y est, l’hiver a bel et bien commencé. Et si la majorité des Français se réjouissait d’avoir la possibilité de sortir sans trop se couvrir en plein mois de décembre, une petite frange de la population faisait grise mine. Ils voulaient leur hiver, avec sa brume, ses rues désertées, son vent glacé et mordant… Une saison hostile, mais propice à stimuler l’imaginaire collectif. Et cela est a fortiori vrai en Norvège, pays dont sont originaires les « loups » qui nous intéressent aujourd’hui. Il y a tout juste seize ans, Ulver amorçait un changement de cap total par rapport à son passé, empreint de black metal et de musique folklorique norvégienne.

Pour être exact, la nouvelle orientation musicale voulue par Garm et Tore Ylvisaker s’est faite en deux temps, le premier ayant été l’EP imparfait mais bien nommé Metamorphosis, qui vaut tout de même la peine d’être écouté pour la surprenante « Gnosis », permettant aussi d’entrevoir la splendeur en maturation chez le duo. Car oui, à l’époque, Ulver n’était plus qu’un duo. Par ailleurs, on note aussi la présence d’une courte chanson intitulée : « Limbo Central (Theme from Perdition City) ». Perdition City… Encore une fois, les norvégiens se révèlent être aussi bons pour nommer leurs œuvres que pour la composition en elle-même…
 


Commençons par le commencement. Ulver mord d’entrée de jeu avec les beats hargneux mais étonnamment accrocheurs de « Lost in Moments », qui lorgne vers le trip hop qui est en pleine ébullition à Bristol à l'époque. Avec son solo de saxophone classieux, ses lignes de piano mélancoliques et ses arrangements électroniques audacieux, cette ouverture de Perdition City happe l’auditeur tout come sa cousine Metropolis assimile le spectateur, pour ne jamais complètement le délivrer, les mélodies de l'album continuant de le hanter après l’écoute. On peut par exemple penser aux premières notes de « Porn Piece or The Scars of Cold Kisses », qui font une nouvelle fois preuve d’un sens fin de la mélodie, bien que d’une simplicité qui peut déconcerter. C’était là aussi tout le sel d’Ulver cuvée 2000 : faire beaucoup avec peu.
 

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De fait, on pourrait presque diviser l’album en deux parties, avec d’abord le triptyque fatal « Lost in Moments »,  « Porn Piece », se concluant avec l’énigmatique « Hallways of Always », qui marque toujours autant l’esprit avec les mêmes ingrédients qui ont été utilisés jusqu’à présent, mais cette fois encore d’une différente manière, se construisant sur un long crescendo. Puis vient la deuxième partie de l’album, qui efface la mélodie pour laisser la place aux expérimentations électroniques. Et il faut ici insister sur le rôle capital de Tore Ylvisaker dans la création des textures sonores d’Ulver. Le bougre est certes en retrait par rapport au chanteur et membre fondateur du groupe Kristoffer Rygg, qui en plus d’être le leader et frontman de la formation, se charge de la plupart des contacts avec la presse. Pourtant le piano et les programmations si caractéristiques de cet album sont en grande partie du fait de l'ami Tore.
 


Ne cédons par à une admiration débridée : Perdition City n’est pas un album pionnier  de musique électronique. Il suffit d’écouter la seconde moitié de Low de David Bowie pour s’en rendre compte. Le duo a même ostensiblement revendiqué l’influence de formations reconnues du genre, notamment The Future Sound of London et son séminal album Dead Cities, allant jusqu’à titrer une des chansons « The Future Sound of Music ». On peut aussi penser au référentiel Music Has The Right To Children de Boards of Canada, sorti à l’époque où le loup commençait à changer de forme.
 

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Toujours est-il que dans le petit monde du black metal, et encore plus, dans le microcosme norvégien, Perdition City avait tout pour faire hausser un bon nombre de sourcils, alors que d’autres acteurs de premier ordre de la scène commençaient eux aussi à tourner la tête vers d’autres horizons, sans s’éloigner du metal pour autant (Satyricon, Emperor…). Ulver, eux, semblaient bien déterminés à quitter ce monde de blast beat, de distorsion et de production lo-fi, estimant avoir donné le meilleur d’eux même sur leurs trois premiers albums. Seul l’avenir nous fera mentir ou nous donnera raison, mais il y a fort à parier que ce qui est devenu aujourd’hui un collectif ne retournera jamais au metal, bien que le facétieux Garm s’autorise de nombreuses excursions chez ses collègues, la dernière en date étant Winter Thrice de Borknagar, prouvant que parfois, même les plus récalcitrants ne peuvent échapper à leur passé.
 

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En somme, Perdition City est un album qui semble hors du temps. Il pourrait sortir demain et sonnerait toujours aussi frais et imbriqué dans son époque. Cette orientation musicale centrée sur les machines se maintiendra sur les deux EP Silences Teaches You How To Sing et Silencing The Teaching, plus expérimentaux et révélant un goût de la formation pour le drone, qui se retrouvera dans leur collaboration avec Sunn o))) des années plus tard. Entretemps, Ulver aura changé de style à chaque sortie, avec (presque) à chaque fois une réussite retentissante à la clé. Et tout porte à croire que la dernière sortie des loups ne fera pas exception.

Chronique par Tfaaon

Cette chronique est dédiée à la mémoire de David Bowie [1947-2016].
 

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