Matte, bassiste de My Sleeping Karma

Pendant les balances de la date parisienne du Up In Smoke, et entre deux activités logistiques concernant cette tournée qu'il supervise, Matte de My Sleeping Karma a eu la gentillesse de nous accorder une demi-heure de son temps. Avec lui, nous avons pu évoquer le dernier album en date du combo allemand, Moksha, ainsi que l'évolution du groupe, ou encore sa vision du marché de la musique en 2016.

Salut Matte ! Merci à toi de prendre du temps pour parler avec nous du dernier album de My Sleeping Karma et de la tournée en cours. Cette tournée à commencé il y a quelques jours en Allemagne, et la date parisienne de ce soir est la quatrième. Comment ça se passe jusqu’à maintenant ?

Matte : C’est super pour l'instant, le concert allemand à Wiesbaden était complet, et les dates en Belgique et à Londres étaient bien remplies aussi. On m’a dit que c’etait aussi sold-out ce soir. On ne peut pas demander mieux ! Les groupes s’entendent bien, on s’éclate bien, les gens sont heureux de nous entendre jouer notre musique, donc tout va bien !

Est-ce que les nouveaux morceaux fonctionnent bien sur scène ?

M : On a choisi d’intégrer trois morceaux de Moksha dans le set, et on essaie toujours, quand on ajoute de nouveaux morceaux, qu’ils aient bien leur place dans la setlist. Il faut que l’ordre des morceaux représente bien la philosophie du concert qu’on donne. On n’a donc pas eu de mauvaises surprises avec ces nouveaux morceaux, et je crois que les gens les aiment bien.

Est-ce que le groupe a considéré l’idée de jouer le nouvel album, Moksha, dans son intégralité ?

M : On en a brièvement discuté, oui. Mais on s’est vite ravisés en se disant que tous les titres de My Sleeping Karma ne sont pas faits pour la scène. Certains sont plus destinés à rester un travail de studio, avec beaucoup de détails. Sur scène, il faut plus d’énergie, et des structures pas trop complexes, contrairement au titre éponyme de l’album Moksha par exemple : il fait huit ou neuf minutes, il comporte plein d’instruments différents, et si on voulait le jouer sur scène, on voudrait le jouer tel qu’il est, mais on ne pourrait pas engager un violoniste pour ne jouer que huit minutes chaque soir sur toute une tournée. Ce serait trop compliqué, et c’est pour cela qu’on a toujours une setlist qui pioche dans nos anciens albums.

Moksha est sorti il y a maintenant neuf mois : comment le vois-tu avec le recul ?

M : Quand on a écrit Moksha, on a voulu faire les choses différemment et ne pas juste sortir “le cinquième album de My Sleeping Karma”, avec la même structure que les précédents. On a donc eu une approche différente dans la phase d’écriture, par exemple travaillant sur un piano. A ce jour on est toujours très contents du résultat, et les critiques ont été très bonnes dans l’ensemble.

Les titres des morceaux de Moksha font référence aux différents éléments, en hindou. Ils mentionnent la Terre, l’Air, le Feu et même l’Ether. Pourquoi n’y a-t-il pas l’Eau ? En bons Allemands, vous préférez la bière ?

M : [rires] Non, c’est une bonne question ! En fait on ne veut pas aller trop loin dans le côté philosophique, dans les références à ces religions que sont le bouddhisme ou l’hindouisme. On aime intégrer ces concepts dans la musique qu’on écrit, mais on n’est pas des pratiquants de ces religions. On les inclut dans nos albums, ça ouvre l’esprit, et ça colle bien à la musique. On a construit l’album petit à petit, en essayant d’avoir un ensemble cohérent sans rien forcer. On s’est retrouvés avec quatre éléments, et l’Eau n’est pas venue naturellement donc on n’a pas forcé les choses.

Comme tu l’as mentionné, l’album introduit de nouveaux instruments, comme le piano, le violoncelle, et même un ensemble de cuivres. Comment ont-elles été écrites, qui les a jouées et comment avez-vous dirigé les choses ?

M : Si on prend les cuivres, l’idée est venu d’un ami de la ville où je vis, et qui en joue. On s’est dit “Pourquoi ne pas essayer ?” sans être sûrs d’utiliser le résultat, mais on voulait vraiment voir si ça pouvait coller à notre musique. On a finalement choisi de garder cet élément dans “Vayu”, pour terminer le morceau. Concernant le morceau “Moksha”, pendant l’écriture, on sentait bien qu’il avait un aspect mélancolique, et on a voulu renforcer ce sentiment. On s’est dit que le violoncelle ferait bien cela, et ca a bien renforcé l’atmosphère. Il y a ensuite un de nos amis, un chanteur canadien qui s’appelle David Celia, qui nous a mis en contact avec un violoncelliste, qui joue avec de groupes au Canada. On lui a donc écrit, on s’est présenté et il était très emballé. Il a aimé le morceau et notre idée. La magie de notre époque moderne a fait le reste : on s’est échangé des fichiers audio jusqu’à obtenir le résultat que tu connais.

Dans ce cas par exemple, le groupe a écrit une mélodie à la guitare ou au piano, pour qu’elle soit jouée au violoncelle ?

M : On aime toujours laisser des libertés aux gens avec qui on collabore. Forcément, quand ils ont pour base une structure et des mélodies, ça donne déjà un cadre. On voit ensuite ce qu’ils y ajoutent, en leur laissant carte blanche.

Pour la première fois de votre carrière, j’ai clairement décelé l’influence de Pink Floyd. Je pense aux parties d’orgue Hammond sur “Vayu” ou encore à “Interlude 5”, où la guitare sonne purement David Gilmour.

M : C’est vrai ! Je suis d’accord. Mais voilà l’histoire des interludes : sur cet album, on ne les a pas écrits nous-même, on a demandé à de bons amis s’ils voulaient réaliser des interludes pour nous. Il s’agissait de voir comment ils percevaient My Sleeping Karma à travers ces courtes pièces. L’interlude dont tu parles à été écrit par David, le guitariste du groupe néerlandais The Machine. Et ce son à la Pink Floyd vient de lui, on n’y est pour rien ! [rires]

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Par ailleurs, des interludes semblent offrir une place importante à l’expérimentation : c’est quelque chose que vous avez demandé ?

M : Non pas vraiment. On leur a laissé une totale liberté artistique en leur disant de faire les choses comme il le souhaitaient. Par exemple, le premier interlude a été fait par notre ingénieur du son, qui joue aussi dans un groupe. Il a pris une direction tres inspirée par le bouddhisme, alors que d’autres ont été plus conventionnels dans leur approche.

Depuis plusieurs albums, la structure alterne morceaux et interludes, qui sont numérotés mais n’ont pas de titre. Pourquoi ?

M : Au début de cette histoire d’interludes, on voulait que nos albums soient un tout, et pas une succession de morceaux isolés. On voulait à chaque fois avoir une histoire complète, et on s’est dit que les interludes joueraient le rôle de ponts entre les titres. Ça crée un lien émotionnel entre deux morceaux et ça aide à obtenir une unité dans l’histoire qu'on raconte. Ça évite que certains sautent des titres en écoutant nos albums. Et on continue à faire ça car les interludes sont courts, ce ne sont pas de véritables morceaux, en quelque sorte. Ça fait partie de ce qu’on veut présenter au public.

La production de Moksha semble plus aboutie et professionnelle qu’auparavant : qu’est ce qui a changé ?

M : Je vois ce que tu veux dire. Disons qu’on ne passe jamais deux semaines entières en studio pour boucler un album, parce qu’on a tous un boulot normal à côté. Sur notre temps libre on part en tournée, donc on n’a pas le temps de consacrer deux semaines entières à ça. On enregistre donc au fur et à mesure, sur notre propre matériel, chez les uns et les autres. Au fil des années, on est de mieux en mieux équipés : on arrive peu à peu à mettre de l’argent de côté pour acheter de meilleurs préamplis, de meilleurs micros, et ce genre de trucs. Sur nos albums, on peut donc clairement entendre qu’on a plus de moyens de production aujourd'hui qu’à nos débuts. Et plus d’expérience, aussi.

Est-ce que le groupe a continué à écrire depuis la sortie de Moksha ?

M : On n’a pas encore eu le temps, non. Quand Moksha est sorti, on avait déjà programmé des dates donc on est parti les assurer directement. A l’automne, l’un d’entre nous est devenu papa, donc on a pris une pause. La tournée actuelle est aussi là pour présenter ce nouvel album Moksha, et peut-être qu’à la fin de celle-ci on commencera tranquillement à penser à un prochain disque. On a aussi des dates cette été, avec quelques festivals, donc en étant réalistes ce ne sera pas avant l’automne ou l’hiver prochain ! Mais on n’est pas pressés, on aime ce cycle d’un album tous les deux ans.

Pour en finir avec le sujet de Moksha, quels en sont tes morceaux préférés ?

M : C’est peu difficile à dire, car quand tu finis un album, tu t’es tellement investi dans chaque morceau et dans chaque détail que tu as du mal à choisir. Mais si je devais. Voisine ce serait peut-être le titre “Moksha”, qui comporte de nombreuses phases très différentes, et est assez mélancolique. Même si on ne la joue pas sur scène, c’est peut-être bien le morceau à retenir, parce qu’il contient beaucoup d’émotions.

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La musique de My Sleeping Karma arrive assez facilement à couper l’auditeur du monde réel, a le faire voyager. Tu crois que c’est ce qu’un bon album doit provoquer ?

M : C’est en tous cas la façon dont on veut continuer à écrire notre mutique. On a construit ce son ensemble, et quand on a réussi cela, on s’est rendu compte que c’était assez unique. Je pense que quand on entend un nos morceaux, notre style est immédiatement reconnaissable. L’idee a toujours été d’ecrire une musique qui ouvre l’esprit, et qui laisse à l’auditeur de l’espace et la liberté d’en faire ce qu’il veut. J’espère que dans plusieurs moments de ta vie tu trouveras notre musique adaptée à ce que tu ressens : que tu sois heureux, triste, que tu t’ennuies au volant, on veut pouvoir avoir du sens. Tout repose sur les émotions. On essaie toujours d’aller encore plus loin dans ces émotions, mais ce n’est pas facile. Quand on joue sur scène, c’est beaucoup moins difficile d’exprimer ces émotions, de les montrer, que quand on essaie de les capturer en studio. On a donc encore beaucoup de travail pour que notre son studio soit aussi profond que sur scène.

Donc vous n’enregistrez pas tous en même temps, vous travaillez piste par piste ?

M : Oui. On joue tous ensemble pour enregistrer la batterie, pour capturer le groove. Et ensuite on enregistre chacun notre tour.

Beaucoup de gens on du mal à croire que vous écrivez sans prendre de drogues, alors que c'est bien le cas.

M : [rires] Je peux comprendre ça, oui ! Je pense que quand tu joues ce genre de musique hypnotique et psychédélique, les gens se disent que tu dois être sous champignons pour écrire de tels trucs. Mais en fait on est les mecs les plus normaux qui soient, à l’exact opposé du cliché des rock stars. On aime bien sûr boire une bière ou fumer un peu de temps en temps, comme tout le monde. Mais ce n’est absolument pas nécessaire pour écrire de la bonne musique, au contraire ! Il n’y a aucun rapport entre les deux.

My Sleeping Karma est un des rares groupes actuels à avoir un concept et un sens profonds. Vous restez à quand même assez underground : comment vois-tu le marché de la musique depuis cette position ?

M : C’est un marché qui change très vite de tendance, passe d’un groupe à un autre ou d’une tendance à une autre en un clin d’oeil. Tu n’as pas vraiment le temps de développer quoi que ce soit. Un nouveau groupe doit tout de suite avoir de la gueule, faire ceci ou cela selon ce que veut le label, pour espérer bien vendre. Et si ce n’est pas le cas, on les oublie très vite. Heureusement c’est assez différent pour nous, on est là depuis presque dix ans. On a commencé comme une bande de quatre copains qui jouaient en buvant des bières. Le développement du groupe a été très lent, organique et spontané : c’est  pour ça qu’on est si heureux et surpris de voir tous ces gens à nos concerts, pour voir un groupe instrumental. Je me rappelle qu’a nos début - ça a sûrement changé aujourd'hui - on nous répondait “un groupe instrumental ? C’est chiant, personne n’accrochera, on ne peut pas vous signer”. C’est donc assez incroyable ce qui nous est arrivé en dix ans, arriver à sortir plusieurs albums et à avoir des fans un peu partout en Europe. On a même pu jouer dans des festivals metal comme le Hellfest !

Votre label ne vous a jamais mis la pression pour recruter un chanteur ?

M : On n’en a pas besoin ! [rires] Bien sûr on en a déjà parlé, mais ce ne serait pas nous. On nous a même proposé de sortir un single avec un chanteur, pour pouvoir passer à la radio et attirer l’attention sur nous, mais on n’a pas voulu. Tu vois, quand tu écoutes un groupe avec un chanteur, les lignes vocales et les paroles figent la direction et le sens du morceau : et c’est exactement ce qu’on ne veut pas. Voilà pourquoi en l'état actuel des choses, il n’est toujours pas question de recruter un chanteur. Ca nous briderait plus qu'autre chose.

Dans un autre ordre d’idée, quels sont tes derniers coups de cœur musicaux ?

M : C’est un peu délicat. Honnêtement, les six derniers mois, je n’ai pas eu le temps d’ecouter de nouvelles sorties ou de découvrir de nouveaux groupes. Après, on est tenus au courant par notre label Napalm Records de leurs sorties, donc on va jeter une oreille quand sort un nouveau Monster Magnet par exemple. A côté de ça, on est étrangement pas de gros fans de stoner, et on écoute tous des choses assez différentes en ce moment. On vient tous du heavy metal des années 80 et 90, Iron Maiden et ce genre de trucs, c’est notre style favori. La musique, c’est surtout une question d’emotions donc même si tu est un fan de gros sons, tu peux aussi aimer écouter des choses plus mélodiques et acoustiques par exemple : un jour j’écoute du gros heavy, et le lendemain ce sera plutôt un bon vieux blues. Ça dépend de mon humeur !

Merci encore pour ton accueil : un dernier mot pour nos lecteurs ?

M : Je veux dire un “grand merci” [en français, ndlr] à tous, pour votre grand soutien en France. On existe depuis maintenant dix ans, et à chaque fois qu’on vient en France, on est impatients. Avec l’Allemagne, c’est notre plus gros marché : le Hellfest nous a beaucoup aidé, et les gens semblent nous y apprécier de plus en plus. Merci donc pour votre soutien depuis tout ce temps, c’est grâce à vous qu’on peut continuer à exister ! 

Photos : Arnaud Dionisio / © 2015
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.

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