Matt Calvert, guitariste et clavieriste de Three Trapped Tigers

Il est assez rare d'interviewer des artistes qui ne se classent absolument pas dans le métal. Matt Calvert, guitariste et clavieriste de Three Trapped Tigers nous partage ici quelques petites choses sur la création de leur nouvel album Silent Earthling.

Bonjour. Tout d’abord, j’ai quelques questions à poser sur votre nouvel album, sorti le 1er avril. Je l’ai écouté car je l’ai chroniqué il y a peu, et je dois dire que je l’ai adoré. J’ai découvert Three Trapped Tigers en 2011. Un ami m’a tendu votre premier album en me disant "Ecoute ça, ça va te vriller la tête. Tu vas adorer." Et il avait raison. J’étais impatiente de pouvoir écouter votre nouvel album parce que je me demandais si le son allait être similaire. Et pour ma part je trouve qu’on reconnait tout à fait votre patte. Donc dis-moi quel est votre secret pour créer un univers totalement différent tout en gardant votre son si unique ?

Matt Calvert : Eh bien, on a toujours été soucieux de maintenir un son identifiable à notre groupe tout en essayant de faire quelque chose de nouveau sur chaque album. Et c’était déjà le cas sur nos différents EPs, je ne sais pas si tu les as écoutés…

Oui je les ai tous écoutés.

Matt Calvert : Ok super ! Donc, je pense que si l’on écoute le premier EP on remarque qu’il sonne différemment du second. Et ils sont aussi assez différents du premier album. Je pense que c’est toujours un challenge d’essayer de garder un son qui nous est propre tout en essayant de l’étendre vers quelque chose de nouveau. Ce que nous voulions sur ce nouvel album c’était plutôt ne pas trop se reposer sur les choses qui étaient en quelque sorte nos béquilles sur notre premier album, Route one or die. C'est-à-dire des tempos très rapides, beaucoup de bruits, beaucoup d’énergie pour l’énergie en elle-même…

Ça peut sembler être une chose un peu ennuyeuse à dire mais on a pensé à des trucs du style : "Ok, est-ce qu’on devrait utiliser des tempos plus lents cette fois-ci ?" Du coup, beaucoup des chansons sur ce nouvel album sont bien plus lentes que pas mal de nos précédentes compositions. La première piste de l’album est plutôt lourde et lugubre, alors que d’autres titres sonnent plutôt "funk" (Je n’arrive pas à trouver d’autre terme plus juste). Ce genre de choses fait partie de nos efforts pour étendre notre musique à quelque chose de nouveau. Et je pense que ça marche plutôt bien. Je pense qu’on a aussi essayé d’être un peu plus mélodique, un peu plus répétitif pour créer des chansons qui restent un peu plus dans la tête des gens. Cela va aussi sembler un peu ennuyeux mais on voulait aussi utiliser d’autres équipements, comme toute une collection de synthétisers. Cela nous a vraiment aidé à changer un peu les choses. Et j’imagine qu’on a aussi réussi à garder beaucoup de choses similaires à ce que nous faisions avant au niveau du son de la guitare et de la batterie. Adam Betts joue un rôle très important dans le groupe. On réfléchit beaucoup à comment faire pour que les partitions de batterie soient uniques. On essaye de faire en sorte que seul Adam soit capable de les jouer. On réfléchit beaucoup à comment nous réinventer tout en gardant suffisamment de choses pour que nos morceaux sonnent comme du Three Trapped Tigers.

Eh bien je pense que c’est plutôt réussi. La batterie est vraiment exceptionnelle et j’ai l’impression que vous vous êtes bien éclatés en faisant cet album.

Matt Calvert : Comme il y a eu une très longue pause entre nos deux albums, c’était vraiment plaisant de composer et de jouer ensembles. Et je pense c’est important de faire en sorte que les choses soient amusantes et pleines d’énergie. Parfois, la musique est tellement compliquée qu’elle n’est pas très plaisante à jouer. Et je ne pense pas que cela soit une bonne chose. On doit se sentir bien en jouant la musique, tout comme la personne qui nous écoute doit se sentir bien en écoutant nos morceaux. Donc, une de nos grandes priorités est notre ressenti par rapport à la musique que nous jouons. Il y a aussi autre chose d’intéressant à dire sur les parties de batterie. En fait, c’est moi qui ai écrit la plupart d’entre-elles alors que je ne suis pas le batteur du groupe. Ce sont des choses que j’avais déjà programmées. J’avais tout simplement imaginé Adam les jouer. Et je ne connais pas beaucoup de batteurs capables de les jouer techniquement parlant. Et même les batteurs que je connais qui en sont capables ne pourraient pas le faire aussi bien qu’Adam. Adam est une grande source d’inspiration dans le groupe. Beaucoup de ces partitions de batterie sont difficiles à jouer, même pour lui et c’est un grand challenge pour lui d’arriver à les jouer et d’apprécier les jouer. Et je pense que ce sera génial à jouer lorsqu’on sera en tournée.

En écoutant cet album. Je me suis dit qu’il racontait une histoire. Pour moi il sonne comme un voyage intergalactique. Quelle est l’histoire que raconte cet album?

Matt Calvert : Eh bien, je ne peux pas dire qu’il y ait une réelle histoire pour nous. Ce n’est pas un concept album. On a réellement essayé de faire en sorte que notre musique soit vive et évocatrice. Je pense que c’est une bonne chose de laisser une ouverture à l’imagination des auditeurs. Qu’ils puissent se créer leur propre histoire. Il n’y a pas de paroles pour leur dire ce qu’ils devraient ressentir ou penser. Même les titres des chansons restent plutôt vagues. Ils n’ont pas vraiment de signification. Certaines des pistes peuvent donner cette idée d’espace ou de globe. On peut voir cette association d’idée dans le mot "earthling" (terrien). "Hemisphere" suggère évidemment cette image de globe, ou de longue distance ou d’espace. Avec "Blimp" c’est un peu comme si on flottait dans les airs. Et même le dernier morceau "Elsewhere" qui est plutôt abstrait donne une impression "d’endroit". On essaye toujours de mettre l’auditeur dans un endroit, mais c’est l’auditeur qui interprète cet endroit comme il le désire.

En écoutant votre album, il y a un morceau en particulier qui m’a fait imaginer beaucoup de choses. Au début, je n’ai pas regardé les titres des chansons. Mais en écoutant "Kraken" je me suis imaginée une sorte de lutte de pouvoir entre les sons stridents et les sons graves. Et quand j’ai vu le titre du morceau je me suis dit que les sons graves représentaient bien les tentacules d’un immense kraken attaquant un vaisseau. Les sons stridents m’ont fait penser à l’équipage tentant de sauver leurs vies. Donc, même sans regarder les titres je m’étais déjà imaginée quelque chose plutôt proche du titre que vous aviez choisi.

Matt Calvert : En fait, même pour ce genre de morceau on a juste écrit la musique, on l’a jouée et ensuite Tom Rogerson l’a nommée. Et c’est un succès quand quelqu’un arrive à s’imaginer une histoire à partir de la musique, et cette histoire peut être totalement différente pour une autre personne.

Avant de vous réunir pour cet album, vous avez tous eu des projets différents. Est-ce que ces projets ont été sources d’inspiration pour Silent Earthling ?

Matt Calvert : En effet, on a fait beaucoup de choses différentes entre nos deux albums. Et je pense qu’il est impossible de ne pas être influencé par notre travail. J’essaye de penser à une chose en particulier qui puisse être une inspiration directe pour cet album. En général, je travaillais avec d’autres groupes. J’ai fait beaucoup de mixage et de production, du coup, j’ai peut-être pensé à cet album comme à une superposition d’arrangements. Je voulais qu’il y ait différentes couches de sons dont certains nouveaux pour nous. Et je pense qu’on a plus ou moins réussi à le faire. C’est un disque bien plus détaillé en matière de son que tout ce que nous avons fait auparavant. En terme de musique, Adam et moi avons joué dans cette formation appelée The Heritage Orchestra. Et quelques-uns des projets que nous avons réalisés avec cette formation étaient totalement différents de ce qu’on fait d’habitude. Mais il y a un projet en particulier qui, je pense, a influencé un titre sur notre nouvel album. Ce projet consistait à jouer la musique de Goldie, un artiste britannique qui fait de la drum and bass. En gros, on a repris Timeless, un de ses albums sorti en 1995. Cet album n'a été conçu pratiquement qu’avec des samples, des boîtes à rythmes et des synthés. Presque rien n’a été joué avec des instruments de musique. On a fait une version de cet album où Adam a joué toutes les parties faites avec les boîtes à rythmes à la batterie et j’ai joué toutes les parties samplées, ainsi qu’un peu de clavier et de guitare. Mon frère jumeau a joué la basse également. En fait, il y avait un orchestre complet. Ce projet a été en vrai challenge pour Adam. Ça n’a pas été une mince affaire de jouer les parties programmées pour des boîtes à rythmes. Les jouer en live a été un vrai parcours du combattant. Mais je pense qu’il a l’habitude de faire ce genre de choses vu toutes les partitions ardues que je crée pour lui. En travaillant sur ce projet j’ai appris plein de choses sur comment ils ont écrit Timeless. C’était plutôt instructif. Certaines choses qui ont été écrites pour cet album m’ont inspiré pour écrire cette chanson intitulée "Rainbow Road", l’avant dernier titre de notre nouvel album. Ça ne sonne pas vraiment comme de la drum and bass mais le tempo est similaire. Il est plutôt rapide, et certaines des parties de batterie ont été directement inspirées des parties de batterie de ce disque. Les parties guitare et clavier, tous les accords que j’ai écrits pour ce morceau ont été influencés par certains morceaux de Goldie. Certains accords peuvent paraître un peu naïfs, mais c’est le rendu que je voulais. Je pense que c’est l’exemple le plus parlant, mais sinon je ne vois pas trop comment les autres projets ont pu directement influencer notre nouvel album. C’est plus la musique que nous avons écoutée plutôt que la musique que nous avons jouée qui a eu une influence sur Silent Earthling.

Quelle est la partie que vous préférez dans la création d’un album : composer, enregistrer ou jouer sur scène ?

Matt Calvert : Je pense que chacun de ces moments peut être enrichissant et gratifiant. J’adore quand on crée un album et que tout le monde est sûr du chemin que les chansons vont prendre et de comment elles vont sonner. C’est aussi une grande satisfaction de monter sur scène et de jouer nos morceaux avec confiance et d’apprécier le faire, de voir l’énergie qu’ils transmettent. J’aime aussi beaucoup enregistrer. C’est très excitant de créer un album, d’être créatif avec les arrangements. Mais je pense que les meilleurs moments que j’ai eu dans ma vie, mis à part jouer de la musique ou même les choses qui n’ont rien à voir avec la musique, sont quand j’ai écrit quelque chose, que j’en ai fait une démo et que je l’ai réécouté et que j’en ai été réellement content. C’est vraiment l’une des meilleures sensations pour moi. Et même si parfois on pense que personne d’autre ne l’écoutera, et même avant de réfléchir à ce que les autres pourraient en penser, on peut avoir ce fabuleux moment où l’on est heureux de ce que l’on a créé et c’est l’un des moments les plus gratifiants pour moi. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire.

Oui je comprends. Après chaque musicien a une vision différente des choses.

Matt Calvert : Je pense que beaucoup de musiciens ne veulent plus écouter, voire même jouer les morceaux sur lesquels ils ont passé un temps fou. Mais je crois que je suis peut-être un peu plus impliqué que beaucoup de gens. Mais bon, quand on aura joué notre nouvel album pendant quelques années on le détestera peut-être, ou alors on écrira sûrement quelque chose d’autre.

Et comment définirais-tu Three Trapped Tigers en un mot seulement ?

Matt Calvert : Pfffffff, oh mon dieu! C’est carrément impossible !

“Impossible” peut être une réponse.

Matt Calvert : Ahah, non ce ne sera pas ma réponse. Pffffff, bon… je sais ce que je veux dire mais je ne sais pas si je peux le résumer en un mot. Tu poses cette question à beaucoup de groupes ?

Oui ! 

Matt Calvert : Et qu’est-ce qu’ils répondent en général?

Les réponses sont toujours très différentes. On m’a répondu "ananas" un jour. Tu peux dire un truc complètement stupide si te le sens comme ça.

Matt Calvert : Oh mon dieu! Je ne veux pas dire un truc trop évident ou ennuyeux. Y a-t-il d’autres questions ? On peut revenir à celle-ci plus tard ?

Ok. Je ne m’intéresse pas seulement au groupe. J’aime bien poser des questions un peu plus personnelles pour découvrir qui se cache derrière le musicien. J’aurais deux questions. Que lis-tu et qu’écoutes-tu en ce moment ?

Matt Calvert : Je viens juste de finir ce livre intitulé WE de Yevgeny Zamyatin. Il a été écrit en 1921 et il a été une grande inspiration pour les livres 1984 d’Orwell et Brave New World de Aldous Huxley. Huxley disait qu’il n’avait pas lu ce livre avant d’écrire le sien, mais l’intrigue de 1984 de George Orwell est incroyablement similaire. En fait j’adore lire quoi que ce soit ayant un rapport avec le communisme. Je lis aussi beaucoup de livres sur la Corée du Nord, l’Allemagne de l’Est, la Chine et la Russie. C’est plutôt fascinant.

Et concernant ce que j’écoute… Eh bien, je me suis fait des playlists sur Spotify et Pitchfork avec une bonne centaine de morceaux de 2015. Il y a des trucs horribles, mais aussi de très bonnes choses, des morceaux et des artistes que je connaissais déjà et d’autres que j’ai découvert. Et il y a un album en particulier qui m’a marqué dans ces playlists. C’est l’album Mutant de Arca. Je trouve la musique plutôt originale. Ça sonne très contemporain. J’ai aussi écouté l’album des Oneohtrix Point Never récemment. Et pareil, je le trouve plutôt original. J’ai aussi un peu écouté Holly Herndon. Je trouve que c’est une artiste très intéressante. Je pense qu’elle a une approche de la musique très réfléchie. Elle a une bonne réflexion conceptuelle, mais la musique reste agréable à écouter, ce n’est pas purement académique.

Je ne connais aucun de ces artistes. Je vais écouter tout ça. Cela me permettra d’écouter un peu autre chose que du métal.

Matt Calvert : On a aussi écouté beaucoup de métal par le passé. Surtout Adam et moi quand on était ados. J’ai 33 ans maintenant, du coup quand j’étais ado c’était une super période pour écouter du métal avec des groupes géniaux comme Machine Head, Panthera, Sepultura ou encore Slayer, et tous ces super albums des années 90. En fait, j’aimais bien Korn à l’époque. J’étais à fond dans les deux premiers albums. Et le métal a vraiment eu un impact sur Three Trapped Tigers. On a toujours voulu être mélodique et varié, mais on ne peut pas nier nos influences métal. La raison pour laquelle nous ne sonnons pas comme un groupe de métal est que le lien entre Tom, Adam et moi a toujours été la musique électronique. On s’y est toujours intéressé. On en a toujours écouté. Cela fait de nous un groupe assez inclassable: pas tout à fait rock ou métal avec beaucoup d’électro. On a toujours voulu que Three Trapped Tigers soit plus électro que rock.

Et du coup, ça fait quoi d’être interviewé pour une radio métal ?

Matt Calvert : Ben en fait, je suis vraiment intéressé par les opinions que peuvent avoir les auditeurs de métal sur Three Trapped Tigers. On a fait les premières parties de Deftones et de Dillinger Escape Plan qui sont deux groupes de métal. Et pour l’instant je dois dire que notre musique à l’air de bien passer auprès des fans de musique extrême. Je suis vraiment curieux de savoir ce que vos auditeurs et vos lecteurs vont penser de notre nouvel album.

En parlant de concerts, vous commencez une tournée ce mois-ci mais seulement au Royaume Uni. Est-ce qu’on aura la chance de vous voir jouer en France ?

Matt Calvert : On essaye d’organiser une tournée européenne pour cet été et on essaye de placer quelques shows autour de ceux où l’on fera la première partie de Deftones. Pour le moment, aucun de ces concerts ne sont en France et j’espère vraiment qu’il y en aura parce qu’on a fait des supers dates en France, souvent un peu à l’arrache. Mais je pense qu’il y a un potentiel pour que nous jouions en France, donc j’espère vraiment pouvoir y organiser quelques dates sur notre prochaine tournée. Ce serait cool. On a déjà joué à Paris, à Strasbourg (là c’était vraiment de l’arrache totale), à Lyon aussi, Le Mans… donc oui on pourrait trouver quelques dates et je l’espère vraiment.

Je vais maintenant revenir à une de mes questions précédentes. As-tu trouvé un mot pour définir Three Trapped Tigers ?

Matt Calvert : Je pense que je vais demander l’opinion du reste du groupe. Je leur envoie un message parce que je ne voudrais pas parler à leur place. C’est important qu’on soit tous d’accord. Je pense qu’il ne vont pas partir sur un truc trop sérieux. Ce sera probablement un peu stupide. Je pense qu’on risque de partir sur un truc comme "inutile". Bon ça y est j’ai les réponses ! Mais on s’est mis d’accord sur deux mots : “Honnest but Pointless” , “honnête mais inutile". C’est plutôt pas mal !

Oui en effet c’est plutôt bien trouvé. Merci d’avoir répondu à mes questions.

Matt Calvert : Merci pour cette interview. J’attends les retours des métaleux !


 

Eloïse Morisse
Photos : © 2013 Fanny Storck
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe
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