Marilyn Manson – Antichrist Superstar (1996)

"Antichrist Superstar est un album paradoxal ; imparfait mais marquant, maladroit mais génial, parfois de mauvais goût mais artistiquement puissant"

20 ans déjà. Une éternité. Alors que double M nous a fait un retour en forme l'année dernière avec The Pale Emperor (qui l'eût cru ?) et qu'il pourrait chercher à enfoncer le clou rapidement, profitons de l'anniversaire de l'album qui l'a fait exploser pour nous y replonger. 

On pourrait prétendre que l'album est un classique qui n'a pas pris une ride, ce ne serait qu'à moitié vrai. Oui, c'est un classique. Difficile de prétendre le contraire : qu'on l'aime ou pas, son succès a marqué et influencé la scène rock de l'époque. Aujourd'hui encore, les amateurs de Manson se réfèrent à la trilogie Antichrist - Mechanical Animals - Holy wood comme la sainte trinité, avant que le groupe ne connaisse de longues années de vache maigre (pour une analyse plus poussée de la carrière de Manson, c'est par ici). Le terme de trilogie n'est pas employé au hasard ; c'est bien de cette façon que ces albums ont été conçus, au moins dans un deuxième temps. En effet, cette trilogie est sortie à rebours, de sorte qu'Antichrist en est la conclusion. Pas sûr que tout ait été bien planifié dès le départ, mais peu importe : Antichrist Superstar se suffit à lui-même.

twiggy ramirez, trent reznor, 20 ans, nine inch nails

Après avoir connu un petit succès avec son premier album, et surtout avoir lancé un gros buzz avec la reprise de "Sweet Dreams", Manson a de grandes ambitions. Inspiré aussi bien par l'industriel que par les stars de la scène glam / punk des annés 1970, le chanteur se lance dans la conception d'un opéra-rock qui se veut être un reflet au vitriol des pires travers de la société américaine (une véritable obsession chez lui) ainsi qu'une extrapolation mégalomaniaque de ce qu'il espère être sa carrière. Outre le fait que le chanteur, marqué par une éducation religieuse stricte, souhaite régler quelques comptes, il est également bien conscient du tollé médiatique qu'il pourrait générer, et du pouvoir que cela pourrait lui conférer.

 

 

Le concept tourne précisément autour de ce thème : dans un univers dominé par les puissants ("beautiful people"), un faible (présenté comme le ver, the worm, dont la chrysalide orne la pochette de l'album), va dépasser ses limites pour renverser l'ordre établi. Problème, il se rend compte que l'admiration qu'il suscite chez ses nouveaux fidèles est précisément ce qu'il cherchait à combattre. Le peuple ne souhaite pas tant la liberté et des symbôles d'espoir que déléguer les responsabilités à d'autres et se comporter tranquillement en moutons. Ecoueuré par leur lâcheté, le ver va bien se transformer, non pas pour sauver le monde, mais au contraire pour devenir une figure totalitaire vouée à la destruction et au chaos qui utilise l'admiration qu'il suscite pour entraîner le monde vers sa fin ("Antichrist Superstar", représenté au dos de la pochette). 

 

 

Outre le fait que l'histoire arrive au bon moment, alors que les boys-band cartonnent, que la télé-réalité fait ses débuts, et que la culture du paraître et l'aseptisation qui va avec amorcent leur envol, musicalement, le groupe ne laisse rien au hasard et propose une bande-son parfois maladroite, mais d'une noirceur tétanisante qui ne peut laisser indifférent. 


Si Antichrist a tellement marqué, c'est avant tout par son ambiance. Etouffantes, glauquissimes, viciées, ces 70 minutes de musique feraient la bande-son parfaite pour un voyage au sein de marais nauséabonds à côté desquels le marais des morts du Seigneur des Anneaux ferait figure de jardin japonais. Au rayon line-up, Manson ne s'est pas encore lancé dans le jeu des chaises musicales, et bien que le guitariste Daisy Berkowitz se soit fait virer en cours de route (il sera remplacé par Zim Zum sur la tournée), le batteur Ginger Fish, le claviériste Madonna Wayne Gacy et le bassiste Twiggy Ramirez sont des piliers sur lesquels Manson peut s'appuyer pour mettre ses idées en musique et le suivre dans ses délires (le groupe consomme alors de grosses quantités de drogues en tous genres). Composé d'un frontman intelligent et de musiciens capables (à défaut d'êtres géniaux), Marilyn Manson, le groupe, peut surtout compter sur le parrain en matière de rock industriel, Trent Reznor de Nine Inch Nails.

Très proche de double M, avec qui il partage son dégoût de l'amérique bien-pensante, et effrayé par l'attente suscitée par le retour de son groupe après le carton de The Downward Spiral (Manson a joué en première partie sur la tournée), Reznor, qui a par ailleurs signé le groupe sur son label Nothing Records, va concentrer toute son attention sur la production d'Antichrist. Si les compos sont bonnes, parfois très bonnes, l'album n'aurait jamais eu autant d'impact sans le travail sur le son réalisé par le maître à penser de NIN. Trafiquant le son des instruments pour aboutir à un rendu vaudou et enrichir les compositions, ajoutant des bruitages peu ragoûtants, notamment de nombreux grouillements, le mentor de Manson offre à son poulain l'écrin idéal pour lui permettre de réaliser ses ambitions.

 

 

L'année de sa sortie, Antichrist Superstar et Manson ne laissent personne indifférent : pour certain(e)s, il propose une alternative au punk à roulettes qui cartonne alors et renoue avec une grandiloquence oubliée. Pour d'autres, il se contente de proposer une musique dont l'étrangeté des mélodies ne fait que cacher l'incompétence des musiciens (ce qui n'est pas complètement faux, il suffit de voir les progrès réalisés par la suite). Mais l'essentiel est bien sûr ailleurs : les conservateurs font de Manson leur bouc émissaire, vont manifester devant les salles de concert, initient un phénomène médiatique de grande ampleur et font de l'Antichrist qu'ils voulaient détruire une superstar. La boucle est bouclée, et Manson peut profiter de son tour de passe passe qui a réussi au delà de ses espérances.

 

 

20 ans plus tard, l'album, s'il a indéniablement pris un petit coup de vieux (comme souvent quand la production joue un grand rôle dans le résultat final), tient toujours la route. Musicalement, il souffre de la comparaison avec ses successeurs, notamment Holy wood (Mechanical Animals évoluant dans un tout autre registre). Manson a considérablement élargi son registre au chant, ses zicos ont soit progressé, soit été remplacés par des grosses brutes (comme le guitariste John 5). Néanmoins, réduire un album à ses défauts, c'est oublier un peu vite pourquoi il a marqué son époque. Bien sûr, Antichrist Superstar est parfois excessivement braillard et il y a des longueurs. Pourtant, ces maladresses ont également contribué à l'ambiance unique qui règne tout au long du disque, résultat du travail d'une bande de sales gosses, de punks ambitieux et défoncés à longueur de journée (l'enregistrement a été un cauchemar et sera à l'origine de la brouille entre Reznor et Manson), dont le mode de vie chaotique et les limites musicales ont abouti à un résultat aussi bancal que fascinant. En renouant avec une démesure oubliée (sur album mais sur scène également), en nageant à contre-courant des tendances dominantes de son époque, Manson a proposé une alternative radicale, jusqu'au boutiste, et a remporté la timbale.


Antichrist superstar est donc un album paradoxal ; imparfait mais marquant, maladroit mais génial, parfois de mauvais goût mais artistiquement puissant. Tour à tour frontal ("Irresponsible hate anthem" , "Little Horn", "angel with the scabbed wings", "1996), vicieux ("Beautiful people", "Tourniquet", "Deformography"), mais aussi capable de moments touchants ("Cryptorchid", "Man that you fear"), il propose en plus une vraie profondeur qui permet la découverte de nouveaux éléments au fil des écoutes. Son impact a encore été renforcé par le rejet dont il a fait l'objet et les parallèles forts qui existent entre son concept et la carrière du révérend. Un paradoxe qui est à l'origine même du projet (Marilyn Monroe et Charles Manson) et qui reflète celui de l'Amérique, tiraillée entre sa fascination pour la beauté et celle pour l'horreur. Un paradoxe qu'elle cherche à dissimuler et que le chanteur et ses sbires ont su mettre en scène avec talent. Pour le meilleur et pour le pire, et malgré tous ses défauts, Antichrist Superstar demeure aujourd'hui un classique des années 1990. Quant à savoir s'il est un classique de l'histoire du rock... 

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