Fange – Purge

Deux ans après leur premier EP - le très riche et réussi Poisse - les rennais de Fange passent la vitesse supérieure et sortent leur premier vrai album, au nom tout aussi évocateur: Purge.

Formé autour de Benjamin Moreau, bassiste de Huata, qui officie ici à la guitare, et à qui l'on doit le bel artwork que voici, la formation connait quelques changements de personnel avec le départ de Baptiste Gautier-Lorenzo (retourné matraquer les fûts chez Brain Pyramid, autre formation rennaise fleurant bon le fuzz et les herbes aromatiques), remplacé par Boris Louvet (Le Dead Projet, Eat Roses), ainsi que l'abandon du chant par Jean-Baptiste Lévêque afin de se concentrer sur le "Noise" (je cite le groupe), et ce au profit d'un autre nouveau venu, Matthias Jungbluth (venu de l'excellent groupe de HxC/Powerviolence Calvaiire). Voilà pour le mercato du jour.

Fange, Groupe, Sludge, Noise

Le groupe nous propose, tout comme sur son premier EP, un Sludge d'une violence et d'une noirceur tout à fait remarquables, mâtiné d'influences diverses, dont les plus notables sont le Death suédois old school, le Doom/Death et le Hardcore/Crust.
Les plus observateurs d'entre vous auront sans doute remarqué qu'il n'est fait nulle mention d'un bassiste dans la description du line-up qui précède, et c'est entièrement normal: le démentiel mur de son qui s'abat sur l'auditeur n'est l’œuvre que d'un seul et unique guitariste. Pour ceux que - comme moi - ce genre de chose émoustille, le monsieur, au goût visiblement très sûr, joue sur une Kramer à manche aluminum (dont la construction fait également la joie des guitaristes de Sunn O))) et Torche, entre autres), à travers un certain nombre - il les collectionne - de Boss HM-2 (LA pédale de disto à la base du "chainsaw sound", le son du Death Suédois - et même précisément Gothembourgeois - des 90s, avec Entombed ou Dismember), et un beau mur d'amplis Orange et Sunn Model T, utilisés et rendus célèbres par qui-vous-savez-dont-le-nom-ressemble-vachement-et-c'est-pas-un-hasard. Bref, pensez Entombed rencontre Electric Wizard, et vous ne serez pas loin de la vérité.

Les amateurs de progressions alambiquées et d'intermèdes floydiens planants ou psychédéliques en seront donc pour leurs frais; nous sommes face à trente-huit minutes d'agression sonore ininterrompue, dense et impitoyable, ne laissant ni répit ni espoir à l'auditeur. Ce qui ne signifie pas, et loin de là, que les titres se ressemblent tous, et encore moins qu'ils sont linéaires et monolithiques. Au contraire, et tout comme sur son premier EP, le groupe a eu soin d'introduire nuances et dynamique dans chacune de ses compos, de sorte à ce que l'attention de l'auditeur soit en permanence captée par un élément nouveau, et que jamais la lassitude ne pointe.

Ainsi, les gros riffs Sludge, comme l'imparable et groovy riff d'intro de "Roy-Vermine", laissent volontiers place à des passages Doom/Death plus downtempo (façon Ramesses), comme sur "Étouffoir" ou "Girone Della Merda", des riffs Swedeath bien carrés (comme dans la première partie, jouissive, de "Mâchefer") et des passages lents en arpèges dissonants et oppressants (à la fin du même morceau, par exemple), ou encore de fulgurantes accélérations Hardcore/Crust qui raviront les amateurs de cavalcades D-Beat, comme sur "Cour Martiale" ou "Girone Della Merda". On pense alors à Converge ou encore aux excellents californiens de Nails.
Entre autres moments de bravoure, on retient le final apocalyptique, dissonant et désespéré de "Roy-Vermine", ralentissant interminablement jusqu'à l'arrêt final, résonant comme l'expiration d'un dernier souffle mêlé de sang, aveu d'impuissance devant une fin qu'on devine peu enviable, sur un champ de bataille ravagé par la folie des hommes. On peut également noter l'impressionnante sauvagerie du refrain (si l'on peut parler de refrain) d’"Étouffoir", ou encore l'étrange progression d'accords dissonants samplée et reprise ad lib sur la seconde partie de "De Guerre Lasse".

Fange, Live, Guitare, Concert, Sludge, Noise, Harsh, Benjamin Moreau

Le nouveau chanteur trouve parfaitement sa place dans le groupe, modulant sa voix entre growls caverneux et hurlements possédés blackisant, plus aigus, à la manière de ce que font les stéphanois de Cult Of Occult, par exemple. Il signe également les paroles, qui, si elles ne sont que peu compréhensibles à l'écoute, n'en sont pas moins intéressantes, poésie en prose onirique, ne laissant aucune place à la lumière ou à l'espoir.
Le batteur sait également nuancer son jeu et introduire des effets intéressants, modifiant la perception d'un même riff par un changement de tempo momentané, par exemple.
Quant au "noise" évoqué plus haut, il s'agit de petites touches de clavier et de noisebox savamment triturées pour rajouter, très subtilement (c'est généralement indiscernable du reste du magma sonore), de l'épaisseur au son, ajoutant ainsi au sentiment général de malaise qui se dégage de la musique de Fange à tout instant.

La production, signée KKP (Abjvration, Huata, Ataraxie…), est toujours très bonne, quoique toujours très sale, grasse et dégoulinante, genre musical oblige. Elle met notamment la voix du chanteur plus en avant que sur l'EP précédent, où elle était, il est vrai, un peu noyée dans la masse du son.
À l'inverse, la guitare, très en avant et in-your-face (agressive, râpeuse et pleine de mids) sur Poisse, devient ici plus sourde et grasse, et, perdant ses mids, se trouve au final un peu en retrait du mix. C'est à mon sens regrettable; je suis sûr qu'il aurait été possible de mieux mettre en avant la voix sans pour autant sacrifier le délicieux grain de la HM-2, jusqu'ici superbement mis en valeur. À moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse d'un choix délibéré de la part du guitariste.
Quoiqu'il en soit, ça n'est là qu'un défaut discutable et mineur, et le son est globalement très bon. On dira simplement, pour reprendre sans honte à notre compte un poncif usé jusqu'à l'os, que le son a gagné en épaisseur ce qu'il a perdu en spontanéité.

Au final, Fange propose avec Purge un album très cohérent et de grande qualité, et transforme haut la main l'essai déjà très convaincant qu'était l'EP Poisse.
Il est encore un peu tôt pour affirmer que le groupe révolutionnera le genre, mais il a su définir un son qui lui est propre, à la fois très personnel et très abouti, et a donc toutes les cartes en main pour s'imposer comme une réussite du genre.
Il prouve, au passage, que les groupes de metal français ont parfaitement leur place sur la scène internationale, pour peu que l'on prenne la peine de se pencher sur les émergents, plutôt que de continuer à ressasser des banalités sur les sempiternels mêmes groupes (si bons soient-ils).
L'ambiance et les thèmes abordés me rappellent d'ailleurs l'oeuvre d'autres français injustement méconnus ; les lyonnais de Celeste, et leur Blackened Sludge d'une violence et d'une noirceur absolues, qui gagnerait à être connu, mais ceci est une autre histoire.

Une franche réussite, sur laquelle tous les amateurs des genres précités se devraient de jeter une oreille, pour peu qu'ils aient l'esprit ouvert aux mélanges de genres.
Personnellement, j'ai déjà commandé mon exemplaire de l'EP, l'album le suivra dans ma boite aux lettres dès sa sortie, et j'attends de pied ferme son successeur !

close

Ne perdez pas un instant

Soyez le premier à être au courant des actus de La Grosse Radio

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



Partagez cet article sur vos réseaux sociaux :

Ces artistes en relation peuvent aussi vous intéresser...