Abduction nous vient de la banlieue parisienne. Même si l’un des musiciens vit à Versailles, ne vous attendez pas à écouter de la musique de chambre car ici on parle d’un black metal tourmenté et pictural orchestré par Guillaume Fleury aux guitares, François Blanc au chant, Mathieu Taverne à la basse et Morgan Velly à la batterie.
On commence par une très belle intro appelée « L'horloge ». Ce n’est pas celle déprimante de Jacques Brel et de sa chanson « Les Vieux », « qui dit oui qui dit non, qui dit : je vous attends » mais elle a l’audace de planter le décor de l’album Une Ombre Régit Les Ombres. On est plutôt dans un univers lorgnant vers un Baudelaire tourmenté en train d’écrire Les Fleurs Du Mal accoudé sur une table mal éclairée.
Les titres sont longs, car à part l’intro qui fait deux minutes, on a droit à cinq titres pour 52 minutes de musique. Faites le calcul, allumez un cigare, sortez la calculette, ouvrez votre plus beau flacon de cognac et commencez à déguster, la soirée promet d’être longue…
Le chant en français est compréhensible (ce qui est assez rare pour ce style de musique), parfois agressif, parfois plutôt chanté et clair et c’est ainsi qu’Abduction va nous ouvrir son album avec « Naphtalia ».
Parfois black metal atmosphérique, dépressif à l’image de l’artwork reprenant L’Eglise d’Auvers-Sur-Oise de Van Gogh en noir et blanc, les riffs agressifs surgissent mais rapidement les arpèges viennent tamiser une ambiance sereine à l’image des premiers pas d’Anathema comme ils savaient le faire sur The Silent Enigma, jonglant sur les oppositions entre violence et passage calme, noir et blanc, ombre et lumière.
La voix de François Blanc est sûre et se positionne en marqueur entre les (« trop ») nombreux arpèges ou des roulements de caisses claires venant apporter leur contribution à un climat sombre et triste.
13 mn pour « Sainte Chimère » : on a l’impression que « Naphtalia » continue puisqu’on reprend l’arpège de fin avant que ne s’effondrent les notes sous un déluge de riffs. L’esprit décousu de Van Gogh rode sur le titre qui nous propose des revirements de situation entre les mélodies et la voix lyrique suivis de gros riffs.
Avec « Les frissons des cimes » on change légèrement de registre bien que les arpèges, le calme et la longueur du titre calculée dans un genre stoner black metal, donnent au titre un côté hypnotique et surprenant, quand soudain un coup d’accélérateur survient dès les premières minutes.
Les constructions sont complexes dotées de changements de rythmes, d’ambiances et d’intonations différentes sans oublier l’arrivée des arpèges (si vous en êtes adeptes vous allez être servis) qu’on peut parfois percevoir comme le son d’une harpe, d’un luth aux influences diverses qui ne sont pas sans nous évoquer Dissection, Opeth ou Primordial sur la longueur.
« Les frissons des cimes » offre à l’auditeur des riffs bien heavy sans oublier une voix claire puis growlée pour terminer sur des riffs black metal.
Pour le titre éponyme « Une ombre régit les ombres », l’entame est plus violente avec sa drôle de mélodie épaulée par des riffs vicieux vers les 3:42, rapidement remplacés par des mélodies qui s’enchaînent jusqu’à un nouvel arpège. Par la suite, de gros blast, limite liturgiques accompagnés des chœurs de l'Église d'Auvers-sur-Oise arrivent et un retour des riffs heavy et d’arpèges revient à l’assaut.
Une Ombre Régit Les Ombres joue sur les contrastes, reste en clair-obscur, mêlant tristesse, mélancolie mais nous laisse aussi un léger espoir, tout comme l’œuvre de Vincent Van Gogh utilisée pour la pochette. Celle-ci est également dotée de paradoxes, tel le ciel à l'apparence nocturne qui se confronte à une terre éclairée de jour, sans oublier l'église à l'ombre projetée vers nous, sans que la femme à notre gauche n'en possède elle-même, tel un fantôme… Une Ombre Régit Les Ombres…
Lionel / Born 666
Photos : © 2016 Manu Wino
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