Black Sabbath – Heaven and Hell (1980)


De l'enfer au paradis !

1979. La mythique formation anglaise Black Sabbath est exsangue, à bout de souffle, rongée par les conflits et - surtout - les excès de toute sorte. De l'aveu même de Tony Iommi, l'heure était grave, chacun ne pensant qu'à se droguer, le nez dans la coke, un état second constant et global qui empêchait le quatuor mythique de répéter sérieusement. Quelque chose était cassé, le mythe semblait lentement se briser, d'autant plus que les deux précédents opus - peut-être un peu trop expérimentaux par défaut de sur-consommation de produits illicites - furent froidement accueilli par la critique. Quand bien même Never Say Die! offrait un léger mieux par rapport au foirage technique que consistait le médiocre Technical Ecstasy, la motivation et l'envie n'y étaient plus vraiment.

Le guitariste légendaire ne voyait qu'une chose pour relancer la machine : l'éviction d'un Ozzy Osbourne, sûrement le plus "atteint" de tous, saoul pratiquement 24 heures sur 24 et qui ne mettait plus une note devant l'autre. Il était donc clair que l'aventure devait s'arrêter là entre le chanteur à la voix si caractéristique et le combo pionnier du heavy metal dont Mr. Iommi détenait les rennes.

Tony demande donc au batteur, Bill Ward, pourtant bien éméché à cette période, de prévenir lui-même celui qui était à cette époque son meilleur pote. Ce qu'il fit dans des détails qui resteront quelque peu obscurs, Ward révélant qu'il n'était pas tout à fait net au moment de cette annonce. Cependant, c'était également d'après lui la seule chose à faire.

"Alcohol was definitely one of the most damaging things to Black Sabbath. We were destined to destroy each other. The band were toxic, very toxic.", quelques mots faisant froid dans le dos avec le recul mais qui résument bien l'ambiance très fin-70s d'un groupe rock sur le déclin...

Black Sabbath en 1975

Black Sabbath en 1975, avant le début de la chute...

Black Sabbath aurait très bien pu stopper là, ou continuer sa lente descente aux enfers. Mais, ironie cruelle du sort, celle qui allait devenir la femme d'Ozzy Osbourne, la dénommée Sharon Arden (Sharon Osbourne herself donc), conseilla alors au groupe un certain Ronnie James Dio pour le poste de nouveau chanteur. Un contre-pied total, le sieur Ronnie James ayant une voix totalement différente d'Ozzy, dans un registre bien plus épique déjà rendu célèbre sur trois albums devenus immortels du "nouveau groupe" de Richie Blackmore (après avoir claqué la porte de Deep Purple) : Rainbow, et ses envolées impressionnantes de compositions qui en auront inspiré plus d'un. Dio, la puissance incarnée, l'instigateur du signe de la corne devenu si populaire auprès des metalleux, une quasi légende déjà à l'époque... jusqu'à son entrée dans le plus grand groupe metal de tous les temps pour une place définitive au panthéon des plus grands. Pour un chef d'oeuvre intemporel. 1980, 25 avril, Heaven and Hell marque à jamais l'histoire du heavy - un pilier, une pièce maîtresse, peut-être le meilleur opus de tous les temps ?

Les qualificatifs peuvent paraître démesurés pour certains, fans ultimes de la période Ozzy. Mais soyons clair, le Black Sabbath-nouveau né en cette nouvelle décennie encore jeune n'a que peu de points communs avec les sombres mais magiques Black Sabbath, Paranoid ou autres Master of Reality. La sensation est différente, la portée vocale du né-Ronald James Padavona portant les compositions du groupe vers une autre dimension. Non pas spécialement meilleures en termes purement objectifs, juste différentes, plus heavy à l'anglaise et potentiellement une base de départ de la NWOBHM ou du futur genre appelé "power metal" en Europe. Une base, une révélation, la confirmation d'un groupe de talent qui n'avait besoin que de ce changement drastique pour renaître de ses cendres et ainsi à nouveau tutoyer les cieux.

Ah Ronnie James, à toi seul tu portes cet opus vers une dimension supérieure, peu s'en cachent d'ailleurs. 2 ans aujourd'hui que tu nous as quitté, emporté par ce perfide cancer qui en enlève plus d'un à la vie. Pourtant tu avais déjà été magistral avec Rainbow... Comment ne pas fondre devant de telles performances vocales livrées sur les "Stargazer" (Rising, 1976) ou autres "Gates of Babylon" (Long Live Rock 'n' Roll, 1978) ? Comment ne pas se rappeler de ce fameux Live On Stage qui fait encore frissonner nos souvenirs tant tu éclaboussais l'auditoire de ta classe naturelle ? Avant même ce Heaven and Hell, tu étais parmi les plus grands, nous pouvions même remonter jusqu'aux sources de ton premier groupe Elf. Car en 1980, tu avais déjà 38 ans et plus de 20 ans de carrière, tu étais donc tout sauf un petit jeune sorti de nulle part, et en cela ton apport au style Black Sabbath s'est fait de façon drastique. On pensait jusqu'alors que jamais tu ne pourrais mieux faire que le splendide Rising paru en quatre années auparavant, c'était sans compter sur le talent de Tony Iommi qui allait une nouvelle fois sublimer tes talents dans ce premier Black Sabbath avec ta voix d'or derrière le micro.

Ronnie James Dio

Dio au firmament...

Car Heaven and Hell est un peu ce que l'on peut considérer comme l'album parfait, le 10/10 absolu, mérité et sans contestation possible. On peut toujours s'amuser à chercher une chanson faible, point il n'y en a. Bien qu'évidemment certaines soient "en dessous", elles auraient contenté n'importe quel groupe de heavy de "plus ou moins" seconde zone comme tube de toute une carrière. C'est injuste pour la concurrence, il est vrai, mais même des "Lady Evil", "Walk Away" ou "Lonely Is the Word" parfois considérés (à tort) comme des "fillers" ont pour chacune d'entre elles leur âme. Comment en effet ne pas tomber en pâmoison devant le refrain à la fois simple de cette "magical mystical woman" qui hante très vite notre esprit ? Comment ne pas avoir envie de headbanguer sur le rythme langoureux de cette neuvième et avant-dernière piste où Dio sonne de toute sa force, où la basse de Geezer Butler vrombit comme au bon vieux temps des premiers opus, et où un certain accent pré-glam vient titiller nos oreilles le temps de quelques choeurs bien placés (écoutez donc le morceau "Lick It Up" de Kiss sur l'album du même nom sorti en 1983 et le parallèle pourra s'avérer intéressant) ? Quant à savoir si la solitude est le mot, oui certainement, car la conclusion de ce disque de rêve s'apprécie plus que jamais comme un plaisir égoïste.

Le reste fait partie de l'histoire. En une chanson, placée en introduction, on sait déjà qu'une légende s'écrit en lettres d'or. "Neon Knights" et son speed galopant place d'emblée la barre à des sommets potentiellement inégalés, dans la plus pure tradition British, dans la lignée des UFO ou autres Judas Priest mais globalement dominé par le son opaque d'un Black Sabbath qui s'amuse à nous remémorer sa première période via un rythmique donnant une place privilégiée à la basse. Si la batterie de Bill Ward reste globalement en retrait, elle ne manque pour autant pas de briller par sa précision, laissant Geezer s'installer en patron en accompagnement d'un Tony Iommi plus inspiré que jamais. Et c'est là qu'on se rend compte que l'apport de Geoff Nicholls aux claviers, presque en tant que 5ème membre à part entière sur cet opus, révèlera encore plus le son de cet album éternel. Cela est encore plus criant sur l'orgasmique "Children of the Sea" faisant suite, hymne ultime, langoureux et émouvant à souhait, qui enfonce encore plus le clou - un Ronnie James à son meilleur, des arrangements quasi épiques qui inspireront les plus grands (quid de le tout aussi regretté Quorthon pour ses albums période viking de Bathory ?) tout en prenant des racines psychés à la fois discrètes et profondes. Un tel début d'album ne peut que laisser sans voix, avant même d'écouter la suite nous savons - au moment où nous découvront cette pièce d'art - que ce disque sera bien à part.

Evidemment la pièce centrale de cette galette intervient peu après avec le morceau éponyme. Que dis-je, LE morceau éponyme. Qui dit Black Sabbath avec Dio, dit "Heaven and Hell", plus souvent même plus le morceau en tant que tel que l'album en lui-même. Les jeunes gens ayant découvert cette période de Black Sab l'ont probablement fait avec cette cavalcade ultime défiant littéralement les lois de l'apesanteur. On se tait et s'envole au loin au rythme d'une intro lancinante, prémices d'une spectaculaire bouffé de lyrisme heavy aux paroles soignées à l'excès. Ce monument prend les bases de sa popularité dans le côté aérien apporté par un Dio jouissif soutenu par un Iommi explosif d'aisance technique. L'alchimie est parfaite, le tout s'englobe dans une sphère magique et se contient jusqu'à exploser dans un final d'anthologie ponctué d'une finesse acoustique inattendue... Le contraste est saisissant entre cette conclusion épileptique et ces breaks rehaussés d'une réverb sans fin et d'un effet d'écho excessif. Un excès que nous dégustons à l'infini, entre paradis et enfer.

Poor fool, toi qui ose t'aventurer dans ce carrousel légendaire, prends garde à toi... Cependant, sois rassuré, positive à nouveau et exhauce tes voeux, le groupe entier t'y invite le temps d'un "Wishing Well" à la tonalité lumineuse qui replonge le cher Dio dans ses premières amours - pas forcément éloigné vocalement de ce qu'il avait pu offrir le temps d'un single mondialement célèbre, le fameux "Love Is All" de Roger Glover (Deep Purple), extrait de son projet solo Butterfly Ball, qui fera plus tard les beaux jours d'une marque de sirop. Comme quoi des millions de gens ont pu savourer les envolées lyriques de notre regretté chanteur sans même forcément savoir de qui il s'agissait vraiment.

Black Sabbath et Ronnie James Dio 1980

Black Sabbath et Dio (non, ce n'est pas Paul Stanley ^^), l'alchimie parfaite...

Point de respiration possible cependant, comme vous l'avez compris chaque morceau s'enchaîne et démontre le savoir-faire ultime d'un groupe qui fait taire ceux qui pensaient le meilleur derrière lui. Iommi and co se permettent même le luxe de plus ou moins poursuivre les expérimentations maladroitement tentées auparavant, avec cette fois-ci la maturité nécessaire d'une sérénité retrouvée. "Die Young" peut surprendre, mais nous permet un voyage différent vers des cieux plus étoilés encore, un moment de génie qui jamais ne s'évaporera dans l'inconscient collectif. Et cet effet de clavier alors ? Le groupe français Air allant même jusqu'à lui rendre un hommage discret dans la BO du film Virgin Suicides près de 20 après (sur le morceau "Empty House")... au-delà de toute frontière stylistique donc.

Un tel pan de l'histoire n'aurait pu être possible sans le boulot du producteur Martin Birch (apparu jusque là derrière les manettes pour Rainbow, Deep Purple, Wishbone Ash - et dès l'année suivante sur le cultissime Fire of Unknown Origin de Blue Öyster Cult dont nous avons déjà causé ici) qui s'avère parfait en tout point. Un effort délicat de production enraciné dans une tradition hard rock 70s tout en offrant une visée d'avenir qui rendra par ailleurs l'homme célèbre pour sa collaboration avec Iron Maiden, chapeautant le son des meilleurs albums avec Bruce Dickinson au chant, jusqu'à sa retraite en 1992. Monsieur Birch poursuivra d'ailleurs son travail avec Black Sabbath dès l'année suivante pour un Mob Rules attendu au tournant comme une suite direct de Heaven and Hell, bien qu'il ne put jamais véritablement rivaliser de splendeur malgré un résultat final des plus probants... mais ceci est une autre histoire !

A cette époque donc, Black Sabbath venait de frapper un grand coup, lançant une nouvelle ère dans l'histoire du metal - insufflant un nouveau souffle à ce style qu'ils avaient eux-même fomenté. Rien ne fut pourtant facile au départ avec un Ronnie James Dio difficilement accepté par les fans de la première heure... or les premiers live eurent raison des septiques, le frontman s'imposant rapidement au micro du groupe tout en parvenant à galvaniser les immenses foules qui se pressaient aux concerts. Son style scénique restera à jamais dans les mémoires, le public retenant pour la postérité ses chemises d'inspiration médiévale, son pied de microphone tournoyant dans les airs et surtout comme nous l'évoquions plus tôt sa contribution majeure à la popularisation de la fameuse « Mano Cornuta » (geste de la main consistant à replier le majeur, l'annulaire et le pouce, ne laissant que l'index et l'auriculaire dressés) qui devint vite le geste de ralliement de l'intégralité des fans de heavy metal. Pour la petite histoire, il s'agissait à l'origine d'un geste de protection spirituelle utilisé par sa grand-mère italienne contre tout personnage malveillant et qui l'avait particulièrement marqué durant son enfance. Et on peut le dire, Dio a su faire fuir tout mauvais démon sur cette période dorée d'une carrière qui était loin d'être finie...


Ronnie James Dio, un frontman hors normes...

Par la suite, Black Sabbath et Dio enchaineront donc ensemble sur Mob Rules avant une longue période de séparation pendant laquelle le duo Iommi-Butler (Bill Ward quittant le groupe pendant la tournée Heaven and Hell avant de revenir puis quitter à nouveau) sort un opus avec Ian Gillian derrière le micro avant de transformer en "Tony Iommi solo entouré de divers guests", ou tout du moins le temps d'un album avec Glenn Hughes au chant. Black Sabbath ne regagnera jamais les mêmes sommets mais saura offrir de bons disques avec notamment le sous-estimé Tony Martin au chant, avant le retour du Dieu Dio en 1992 sur le fort correct Dehumanizer permettant une temporaire résurrection commerciale du combo. Entre temps (puis par la suite), le chanteur avait lancé sa carrière solo, son groupe à son nom, le temps de nombreux succès dont l'excellent Holy Diver en 1983 qui vous sera narré sur ces pages sous peu, car cette journée en hommage à Ronnie James ne fait que commencer...

Anecdote finale et ultime prouvant que cet album sorti il y a 32 ans a profondément marqué les moeurs et la carrière du duo Dio-Iommi : le nouveau groupe formé par ces deux, entourés du fidèle Geezer et de Vinny Appice (soit le line-up de Mob Rules), prit pour nom son titre. Un Heaven & Hell à la carrière aussi fulgurante que brève, pour les raisons qu'on connait tous, et un album unique (The Devil You Know, 2009) profondément remarquable qui a ainsi pu relancer une nouvelle fois la légende. Celle-ci étant désormais éternelle.

Pour conclure, nous vous laissons avec l'une des citations célèbres de l'homme d'une sympathie et d'une simplicité rare jusqu'aux derniers jours de sa vie...

"The best subjects are always people, who never fail to amaze me by their unpredictability."

Thank you, Ronnie James, because you never failed to amaze us either... in many positive ways...

 

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