Entretien avec Einar Selvik (Wardruna) au Trolls & Légendes Festival


Nous avons rencontré Einar Selvik, leader du groupe Wardruna au Trolls & Légendes Festival pour leur première date Belge. Cette année, le festival mettait les légendes nordiques à l'honneur. Qui d'autre que Wardruna ne pouvait mieux représenter ce festival en tant que tête d'affiche? Voilà ce qu'Einar Selvik a à nous dire du festival et de ses futurs projets.

[Scroll down to read the English version of the Interview below.]

C’est la première fois que vous jouez en Belgique. Êtes-vous venu ici à cause du thème du festival ?

Einar : Eh bien, nous ne faisons que très peu de concerts chaque année, donc nous sommes un peu exigeants sur le genre d’événements auxquels nous participons. Je sais aussi que beaucoup de gens, ici en Belgique, voulaient vraiment nous voir depuis des années maintenant, donc c’est un endroit où j’avais vraiment envie de jouer. Le festival m’a contacté et m’a fait l’offre de venir jouer ici. J’ai d’abord fait des recherches sur le festival car nous devons faire du bon travail et ne pas compromettre notre art. Mais j’ai trouvé que ce festival était très pro. Je pense que cela a été une bonne décision de venir ici.
 


Avez-vous un peu fait le tour des différentes activités proposées par le festival ?

Einar : Oui, j’ai fait un petit tour pour voir le site.

Il y a une troupe de reconstitution historique viking qui a apporté des instruments anciens qu’ils ont contruits eux-mêmes. Cela pourrait être intéressant de les voir car je sais que vous avez un projet annexe à Wardruna, sur lequel vous travaillez avec Ivar Bjørnson (Enslaved). Ce projet s’appelle Hugsjá – Nordvegen et vous travaillez sur des musiques anciennes et contemporaines et vous utilisez le vieux Norrois comme langue ainsi que de la poésie norvégienne.

Einar : Oui, c’est un mélange entre ce que je fais de mon côté et mon travail avec Wardruna. Nous avons rassemblé de la documentation et des recherches sur des instruments anciens que nous avons en notre possession et des guitares et de la batterie.

Avez-vous fait des recherches sur quels types d’instruments il y avait dans le passé ?

Einar : Oui, absolument. Quand j’ai commencé à travailler avec Wardruna il y a presque 17 ans de ça, c’est de là que je suis parti en faisant des recherches approfondies. En fait, il y a beaucoup de choses que l’on ne peut pas savoir avec certitude, mais d’un autre côté, c’est comme un immense puzzle dont nous avons quelques pièces. Nous avons quelques instruments que ce soit sur des images ou qui ont été découverts lors de fouilles qui datent de l’Âge de Pierre, de l’Âge du Bronze et aussi de la période médiévale viking. Il y a également des traces de notre tradition poétique qui date de très loin. Il y a plein de chose, et faire des recherches sur ces sujets a pris beaucoup de temps.

Avez-vous construit certains de ces instruments ?

Einar : De nos jours, beaucoup de gens construisent ces instruments et comme il y a un grand intérêt pour l’histoire scandinave vous pouvez trouver beaucoup d’anciens instruments européens. Mais, il y a dix ou quinze ans de ça il n’y avait pas le même intérêt et les instruments ainsi que les informations les concernant étaient très durs à trouver. J’ai presque été forcé de trouver quelqu’un pour me les confectionner ou les construire moi-même.
 


Est-ce que vous faites ce genre de musique pour faire découvrir votre culture aux gens ou juste parce que c’est celle qui vous tient à cœur ?

Einar : La chose la plus important est que je fasse la musique que je veux vraiment faire : la musique que j’entends et que je vois avec le cœur, et la musique qui vient de mon cœur. Si vous voulez que votre musique touche le cœur des gens, elle doit provenir de votre cœur. Je ne pense pas que l’histoire et les traditions sont importantes seulement car ce sont vos traditions et vos racines car beaucoup de choses qui viennent de vos racines n’ont plus de sens aujourd’hui. Mais il y a aussi différentes choses qui proviennent de vos racines qui ont un sens comme il y a 2000 ans. Ces choses sont celles que je veux mettre en lumière, car il y a des choses qui valent la peine de se remémorer. C’est ce sur quoi je veux me concentrer. Je ne me concentre pas nécessairement sur le fait de faire de l’authentique, c’est plus faire quelque chose de nouveau avec de l’ancien plutôt que d’essayer de copier le passé.

C’est aussi ce genre de point de vue qui vous a fait travailler avec les producteurs de la série Vikings ? Car historiquement parlant, ils ne montrent pas vraiment de faits historiques. C’est plus l’histoire mélangée aux contes.

Einar : Oui, eh bien, la série a beaucoup été critiquée pour ne pas être historiquement exacte, mais je pense qu’il faut se rappeler que la série Vikings n’a pas été créée pour des geeks de l’Histoire comme moi. C’est une série de divertissement faite pour divertir la masse et ils font très bon travail lorsqu’il s’agit de ça. Et même, je pense qu’ils font un bon travail en termes d’histoire, ou du moins ils font quelques pas dans la bonne direction car ils essayent de ne pas seulement se focaliser sur la guerre. Ils se concentrent également sur les valeurs familiales ainsi que d’autres valeurs. Ils enlèvent aussi certaines choses trop stéréotypées.

Ils se concentrent aussi beaucoup sur l’aspect religieux et le mélange de deux croyances.

Einar : Eh bien, des fois, je pense qu’ils en font un peu trop sur cet aspect car nous devons nous rappeler que, par exemple, quand la Norvège a été christianisée, ce n’était pas une question de religion, mais une question de relation commerciale avec d’autres pays. Accepter le Christianisme a été la clé pour le commerce avec Istanbul, Rome et l’Empire du Vatican. C’était vraiment la clé du commerce en Europe. Et aussi, les bases d’une religion comme le Christianisme étaient la centralisation du pouvoir comme c’était la mode en Europe à l’époque car c’était bien plus efficace que les démocraties païennes avec des chefs de clans et toutes ces familles qui gouvernaient. Cela n’était pas pratique et pas très bon en termes de politique, donc pour centraliser le pouvoir vous aviez besoin d’une Eglise avec une personne qui gouvernait et s’en mettait plein les poches au lieu de tout partager. Pendant ces guerres, des Païens et des Chrétiens combattaient des deux côtés. Il y avait autre chose derrière tout ça, la religion n’était qu’un moyen. Et si on regarde bien ce qui se passe aujourd’hui dans le monde c’est exactement la même chose. La religion n’est qu’une passerelle que l’on utilise alors que tout tourne autour du pouvoir et de l’argent. Donc je dirai que cette partie est un peu mal comprise, et mal nuancée, mais dans une série TV il est toujours bon d’avoir les méchants et les gentils.

Pensez-vous que jouer la musique pour la série Vikings a eu un bon impact sur votre carrière ?

Einar : Oui, absolument ! Et j’ai aussi appris beaucoup en travaillant pour ce type de production parce vous devez penser différemment. Donc, travailler pour cette série a été très intéressant. Le but était aussi d’essayer de lui apporter une valeur ajoutée. D’ajouter plus d’authenticité. On peut le voir à chaque fois que quelque chose se passe ou qu’il y a une bataille car vous pouvez entendre des poèmes de la saga de Ragnar en langue ancienne et cela correspond à ce qu'il se passe à l’écran. Je pense que même si beaucoup de gens ne comprennent pas, je crois qu’inconsciemment cela fait une différence. C’est en tout cas ce que je veux faire. C’est ajouter de la valeur que vous le perceviez consciemment ou inconsciemment. Je pense aussi que la série Vikings a créé de bonnes ondes concernant l’intérêt massif que cela a créé autour de l’histoire et de la culture scandinave. Même les Norvégiens ont commencé à oser être fiers de leur histoire, car après la deuxième guerre mondiale, les gens ont eu peur des vieux symboles à cause de la mauvaise utilisation qu’en ont fait les Nazis. Ils ont été trop longtemps connectés aux mouvements d’extrêmes droites mais heureusement, maintenant grâce à cet immense intérêt pour notre culture nous reprenons tout doucement nos symboles à ces sous-cultures qui ont utilisé le swastika et les runes à des fins politiques. Ils ont mélangé culture et politique d’une façon malsaine.
 


Votre musique est toujours très expérimentale. Vous êtes en tournée avec Wardruna en ce moment, mais avez-vous l’intention de partir en tournée avec le projet Hugsjá ?

Einar : Eh bien, je ne sais pas. Je n’ai pas encore décidé. Nous pourrions le faire. Avec Hugsjá nous sommes en train d’écrire quelques morceaux à jouer sur scène lors d’un festival à Bergen. Pour jouer cela, nous avons sélectionné un certain nombre d’endroits sur la côte norvégienne. Et ce qui arrivera après ceci est difficile à dire. Nous pourrions faire quelque chose si nous sommes contents de ce projet.

Je vous avais vu jouer avec Ivar Bjørnson lors de la première édition du Midgardsblot Festival en Norvège et cela pourrait être super de vous voir jouer ailleurs qu’en Norvège.

Einar : La production est si énorme. Notre premier projet Skuggsjá devait être Wardruna et Enslaved jouant ensemble. Mais maintenant nous nous dirigeons vers autre chose, et nous n’aurons pas une production aussi énorme car voyager avec Skuggsjá serait bien trop difficile. Cela a été un réel challenge de jouer sur scène. Mais je crois que nos nouveaux morceaux seront plus faciles à faire voyager.

Si vous pouviez définir Wardruna en un seul mot, lequel serait-il?

Einar : C’est difficile d’utiliser un seul mot, mais si je pouvais utiliser une phrase ce serait : ‘’Wardruna nous parle de notre relation avec la Nature, de notre relation aux autres et de notre relation avec quelque chose qui nous dépasse.’’ C’est ça l’essence de Wardruna.

 

ENGLISH VERSION

We met Einar Selvik, leader of the band Wardruna at the Trolls & Légendes Festival for their first concert in Belgium. This year the festival chose the theme of the Northern Tales. Who else than the members of Wardruna could better represent the festival? Here is what Einar Selvik has to say about the festival and his future projects. 

It is your first time doing a concert in Belgium. Did you come here because of the theme of the festival?

Einar: Well, we only do a handful of concerts every year, so we are quite picky on the sorts of events we do. That thing said, I know that there are a lot of people here in Belgium that really wanted us to come for many years now, so it’s something I really wanted to do, and this festival approached me with an offer to come here and play. I first checked out the festival because we have to do a good job and not compromise the art. But I found it to be a very professional festival. I think it was a good decision to come.

Have you made a tour of the different activities of the festival?

Einar: Yes, I had a little walk around to see the site.

There is a historical Viking re-enactment troupe on the festival who brought some old instruments they built themselves. It could be interesting to see because I know that you also have a side project apart from Wardruna, on which you work with Ivar Bjørnson (Enslaved). This project is called Hugsjá – Nordvegen and you work on ancient and contemporary music, using the Old Norse language and Norwegian Poetry.

Einar: Yes, it is basically a combination between what I do and my work with Wardruna. We put together the documentation and researches on old instruments that we have and we made it in contact with guitars and drums.

Did you make any researches about the kinds of instruments they could have at the time?

Einar: Absolutely. When I started to work with Wardruna almost 17 years ago, that is basically where I started, going deep into researching. The thing is that there are many things we cannot know for sure, but on the other hand it’s like a big puzzle and we have bits and pieces, and we have quite a few instruments that we have either in pictures or findings dating back from the Stone Age, the Bronze Age and also Viking medieval times. There are also traces of the poetic traditions that go very far back. There are many things, and researching all this took a lot of time.

 


Have you ever tried to build any of those instruments?

Einar: Nowadays, there are a lot of people who build these instruments and because there is a huge interest for the Scandinavian History you can find a lot of ancient European instruments I would say. But, 10 or 15 years ago there was not the same interest and both the instruments as well as information about them was very hard to find. I was basically forced to either have somebody do it for me or I had to build them myself.

Do you make this kind of music to make people discover your culture or just because you have it at heart?

Einar: The most important thing is that I make the music that I want to make. The music that I hear and see with my heart and that comes from my heart. If you want music to reach the heart of others, it has to come from the heart. I don’t think that History or tradition is important just because it is your tradition or your roots because a lot of things that come from your roots are not relevant anymore. They are not important, they don’t mean anything because now we live in a different world, in different times where different things are important. But there are definitely different things that come from your traditions that are just as relevant today as they were 2000 years ago. Those things are what is important for me to shade light on again, because there are things worth remembering. That is basically my focus. My focus is not necessarily to do everything authentic it’s more about making something new with something old rather than to try to copy the past.

Is it also this kind of point of view that made you work with the people who created the series Vikings? Because historically speaking they don’t really show historical facts about the Vikings. It’s more history mixed with tales.

Einar: Yes, well, the show has in many ways been criticised for not being historically correct but I think that we have to remember that the TV show Vikings was not made to please History nerds like me. It’s an entertainment series made to entertain the masses and they are making a very good job at it. And still, I think they are doing a good job in terms of history, or at least they are making steps towards the good direction because they are trying to not only focus on war. They also focus on family values and different values. They are also removing some pieces that are stereotypical.

There is also a big focus on the religious aspect and the mix between two beliefs.

Einar: Well, sometimes, I think they overdo that part a bit, because we have to remember that, for instance, when Norway was christened it was not about religion but a question of trade relationships with other countries. Accepting Christianity was the key to trade with Istanbul, or Rome and the Vatican Empire. It was really the key to trade in Europe. And also the basics of a religion like Christianity was the centralisation of power like the fashion in Europe because it was much more efficient than the democratic pagan way with chieftains and these different families governing. It was so unpractical and not very good in terms of politics, so to centralise power, you needed the Church with one person ruling and adding up a big pile of money instead of dividing it. In these wars, there were Pagans and Christians fighting on both sides. It was something else, and religion was the means. And if you look at what is happening in the world now it’s the same thing. Religion is just the gateway that you use but it’s basically about power and money. So it’s a bit misunderstood I would say or a bit unnuanced, but in a TV show it’s always good to have the bad guys and the good guys.

Do you think that playing the music for Vikings had a good impact on your career?

Einar: Yes, absolutely! And also I learned a lot from working with this type of production because you have to think differently. So working with the show has been very interesting. It was also to try and add something to it. Add some more authenticity, like whenever something is happening, or when there is a battle you hear poetry from the Saga of Ragnar in the ancient tongue and that fits to what’s happening on the screen. I think that even though many people don’t understand it I believe that subconsciously it makes a difference. That’s my point. It’s adding value whenever you see it consciously or subconsciously. I think also that the TV show Vikings has created some good waves in terms of the massive interest it has created around the Scandinavian culture and History. Even people in Norway have started to dare to be proud of their History because after World War II, people had been very scared of the old symbols because of the all Nazi misuse of this things. It had been connected for so long with the right wing movements and stuff like that, but luckily now with this huge interest we are slowly taking back our symbols from these subcultures who used the swastika and the runes in a political way. They mixed culture and politics in an unhealthy way.

 


Your music is always very experimental. Now, you’re on tour with Wardruna, but are you planning to go on tour with Hugsjá?

Einar: Well, I don’t know. I haven’t decided yet. We might do that. But with Hugsjá, we are writing some pieces to perform it live at this festival in Bergen. To perform that, we have selected a number of locations along the Norwegian coast. And what will happen after that is difficult to say. We might do something if we’re happy with it.

I saw you and Ivar Bjørnson playing together at the first edition of the Midgardsblot Festival in Norway, and it could be great to see you play in other places than in Norway.

Einar: The production is so big. The first piece Skuggsjá, was commissioned to be Wardruna and Enslaved together. But now we are heading to something different, and we don’t have to have so big a production because traveling with Skuggsjá would be very difficult. It’s been very challenging to perform live. But I believe the new pieces will be easier to travel with.

If you could define Wardruna in just one word, what would it be?

Einar: It is difficult just to use one word but if I could use one sentence I would say : Wardruna is very much about our relationship to Nature, to each other and to something bigger than yourself.” That’s the essence of Wardruna.
 

Interview : Eloïse Morisse
Photos : © 2017 Thomas Orlanth  - galeries complètes sur le site internet: www.thomasorlanth.com / facebook

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