Interview avec Kobi Fahri, chanteur d’Orphaned Land

"The storm still rages inside" Orphaned Land. Le groupe israélien sort Unsung Prophets and Dead Messiahs, leur sixième album, cinq ans après All is One, deux après le projet Kna’an. Le chanteur Kobi Fahri nous a reçu à Paris pour s'en expliquer, parler de prophètes et de messies, mais aussi évoquer son impossibilité d’abandonner le growl, de Yossi Sassi, d’Edward Snowden et de Kim Kardashian.

Peux-tu expliquer le concept du nouvel album Unsung Prophets and Dead Messiahs. Qui sont les prophètes et les messies dont tu parles ?

Il y a deux ans, j’ai découvert l’histoire de la caverne de Platon. Il l’a écrite après que les grecs ont tué Socrate, parce qu’il ne pouvait pas comprendre comment on pouvait tuer un homme aussi brillant. Ce qui m’impressionne, c’est que même si ce texte a plus de 2000 ans, on est toujours en plein dedans. La technologie avance, mais nous, on retourne toujours dans la caverne. À chaque fois qu’il y a eu un homme intelligent, un révolutionnaire, les hommes ont choisi de le tuer au lieu de l’écouter. Martin Luther King, Gandhi, Jésus Christ. Ils ont tous été tués. Il y a quelque chose de pourri dans l’humanité. À chaque fois qu’on a l’occasion de quitter notre caverne, on préfère rester dedans, comme l’écrit Platon. Même si on lit la Bible, on voit que les gens d’Israël ne voulaient pas quitter l’Égypte. Moïse est arrivé et leur a montré le chemin vers la Terre Promise, et ils ont répondu : "Non, je préfère le mal que je connais. Tu veux m’emmener dans cette mer, ce désert que je ne connais pas ? Non." C’est le problème de l’humanité, on est bloqué.

Ces gens dont je parle, ce sont, en un sens, les messies morts. Les prophètes, ce sont ceux que personne ne reconnaît encore en temps que tel, mais ce qu’ils écrivent est bel et bien prophète. Il y a Platon, mais aussi Aldous Huxley, l’écrivain de Brave New World (Le Meilleur des mondes), ou George Orwell avec 1984. Aujourd’hui, Edward Snowden a montré des choses qu’Orwell avait prophétisé. Un pays qui espionne le monde ? Les USA l’ont fait. Ce sont eux, les "unsung prophets". Personne ne sait encore qui ils sont, et on raconte leur histoire dans l’album.

Comme pour All is One, la pochette de l’album est signée par l’artiste français Valnoir. Comment as-tu collaboré avec lui et peux-tu nous expliquer les détails de l’illustration ?

Valnoir est un "very talented crazy motherfucker" (désolé on ne traduit pas, l’insulte-compliment est trop belle NLDR). On est amis et ses œuvres sont incroyables. Avec la pochette de l’album, on a voulu montrer le chaos du monde. Il y a des références au dollar avec la pyramide et l’œil. À côté du logo du groupe, il y a aussi des ornements qu’on voit sur les billets. Les bombes qui tombent sur le livre, les pistolets pointés sur toi et les rouages représentent le système. L’œil, c’est Big Brother. La pochette est chaotique et ressemble un billet, ça représente à quel point le monde est pourri. Je l’adore.

C’est aussi le premier album composé sans Yossi Sassi, depuis son départ en 2014, comment avez-vous travaillé sans lui ?

Yossi était très important, mais il n’a jamais été le seul cerveau du groupe. Ce n’est pas comme Steven Wilson avec Porcupine Tree, il y a d’autres personnes qui dirigent le groupe. Bien sûr, j’avais peur au début parce que j’ai grandi avec Yossi, on est amis et on a une vraie alchimie. Mais le groupe a un esprit, une énergie qu'on peut transmettre. Si tu sais jouer de la guitare et que je t’apprends l’esprit d’Orphaned Land, tu peux écrire un album avec nous.

Dans le livret de l’album, tu dis que le monde n’a pas changé depuis la naissance d’Orphaned Land. Tu penses que le message de paix qu'envoie du groupe est entendu et compris ?

Je pense que la musique est importante, elle donne de l’espoir. Il y a des musiciens qui sont des révolutionnaires comme Victor Jara, un chanteur chilien. Il a été tué par le gouvernement à cause de sa musique. On a utilisé une phrase d’une de ses chansons dans le dernier morceau de l’album. Il y a aussi Mercedes Sosa qui a du quitter l’Argentine parce qu’elle chantait des chansons contre le gouvernement. Ce qui est ironique, c’est qu’une fois qu'ils l'ont expulsé, le monde entier a entendu parler des problèmes de l’Argentine. On voit bien que le pouvoir peut être effrayé par la musique, ça peut faire une vrai la différence.

Avec Orphaned Land aussi, je pense qu'on a réussi à faire changer certaines mentalités. Je sais que beaucoup de gens dans les pays arabes ont changé leur façon de voir les autres en écoutant notre musique, en allant à nos concerts, en lisant nos interviews. Donc oui, on fait partie de ceux qui changent l’esprit des gens.

Avant All Is One tu disais vouloir abandonner le growl, mais on t’entend utiliser cette voix sur cet album et le nouveau. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?

Avant All Is One, je disais qu’il n’y aurait pas de growl parce que je voulais vraiment montrer mes talents en chant clair. Puis j’ai écrit la chanson "Fail". J’étais tellement énervé que je me suis dit : "Il faut que je growl". Dans cet album, j’étais encore plus énervé. Je pensais que je pourrai arrêter, mais je ne peux pas ! Je n’arrive pas à exprimer autant de colère en chant clair. Le growl, c’est le growl. Si je veux exprimer de la colère et de la frustration, c’est le meilleur moyen. Donc pas d’inquiétude, le growl est là pour rester !

L’album a aussi beaucoup de chœurs et de passages progressifs, il sonne assez différent du heavy des débuts du groupe.

On voulait faire un album qui puisse être un mélange entre Mabool, ORWarriOR et All Is One. Les deux premiers sont des albums concepts, avec des éléments très progressifs. All Is One  est plus direct, plus facile à comprendre, avec des violons, des chœurs, du pathos. Je me disais que si on combinait les deux, on aurait le meilleur album possible d’Orphaned Land et je pense qu’on a réussi.

Steve Hackett, Hansi Kursch (Blind Guardian) et Tomas Lindberg (At the Gates) chantent et jouent dans l’album, pourquoi as-tu fait appel à eux ?

Steve Hackett voulait que je chante sur son album The Night Siren. Il a écrit une chanson sur la paix, "West To East" et il a entendu parler de moi. Il m’a demandé si je voulais de l’argent pour l’enregistrement ou si je préférais qu’il m’écrive un solo. Qu’est-ce que je peux faire avec de l’argent ? Acheter un manteau, à manger ? Bien sur que j’ai choisi le solo, pour le morceau "Chains Fall To Gravity". Et je pense que c’est l’un des meilleurs solos de sa carrière !

Pour Hansi, c’est la femme de Marcus Siepen, le guitariste de Blind Guardian, qui leur a parlé de nous. On est devenu amis, on a le même manager et on a fait une tournée ensemble en 2015. J’ai demandé à Hansi de chanter sur la chanson "Like Orpheus", quand le héros sort de la caverne de Platon, découvre le monde qui l’entoure et se met à chanter comme Orphée, pour ouvrir les enfers comme dans la mythologie grecque.

Pour Tomas, j’avais besoin d'une voix théâtrale pour la dernière chanson, quand les messies sont tués et qu’on retourne dans la caverne. Tomas a un growl très spécial, personne ne chante comme lui, c’était parfait.

En plus du mythe de la caverne, qu’elles ont été tes influences pour écrire cet album ?

J’ai lu beaucoup de livres sur des dystopies, Le Meilleur des mondes, 1984, Sa Majesté des mouches. Sa Majesté des mouches, c’est l’histoire de jeunes garçons sur une île. Tout le monde a peur, sauf un enfant qui dit qu’il faut entretenir le feu pour que quelqu’un leur vienne en aide. Il est le seul a avoir compris, mais les autres veulent le tuer ! Ça rejoint l’idée des messies morts. Pour le reste, je suis inspiré quand je suis énervé. Quand je vois comment les gens sont manipulés par un gouvernement ou un système, ça m’inspire. Je demande toujours aux gens en interview : Sais-tu qu’en Inde, 70 000 enfants sont kidnappés chaque année ? Non. Et Kim Kardashian, tu la connais ? Bien sûr, tout le monde la connaît. Je hais ça, c’est pour ça que j’écris. Le monde, l’humanité, ce sont des miracles, mais qu’est-ce qu’il se passe ? Dans Le Meilleur des mondes, A.Huxley dit : "Ils vous droguent avec leurs propagande". Il a raison. Qu’est-ce que Kim Kardashian apporte à mon âme, à ma vie, à mon esprit ? Rien. Comme le Néant de L’Histoire sans fin qui mange Fantasia parce que les gens ont arrêtés de rêver. Mon inspiration vient de là. Les dystopies, L’Histoire sans fin, Kim Kardashian et toute cette merde. Quand je suis heureux, je n’ai rien à écrire ! J’aimerai n’avoir rien à dire, je ferai autre chose, peut-être que j'ouvrirai un café à Tel Aviv. Mais ce n’est pas près d’arriver, l’humanité va continuer à m’énerver. C’est au moins une bonne nouvelle pour l’industrie musicale.

En 2016, vous avez célébré les 25 ans du metal oriental. Qu’espères-tu pour les 25 prochaines années ?

Je veux qu’on ouvre les yeux des gens, qu’on les aide, qu’on leur apporte de la connaissance et de l’espoir. C’est le but d’Orphaned Land, d’aider les gens.

Unsung Prophets and Dead Messiahs sort le 26 janvier via Century Media Records.
Le groupe sera en tournée à Paris, Nantes, Montpellier et Pagney en février et mars 2018.

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