John Petrucci (guitare) et James Labrie (chant) de Dream Theater

"En étant dans un groupe, tu as toujours tendance à revenir à l'essentiel, c'est à dire se retrouver ensemble"

Deux mois avant la sortie de Distance Over Time, le quatorzième album studio de Dream Theater, John Petrucci (guitare) et James Labrie (chant) étaient de passage à Paris pour nous parler de ce nouvel opus. Un belle occasion pour nous d'interroger les deux musiciens sur le processus de composition, l'importance du travail collectif au sein du groupe, la relation que portent les deux artistes aux nouvelles technologies ou encore le Hellfest, auquel Dream Theater participera en juin prochain.

Bonjour James, bonjour John et merci de nous accorder cet entretien. Nous sommes ici pour parler de Distance Over Time, mais avant cela, j'aimerais revenir un peu sur The Astonishing, votre album précédent. Ce dernier avait été écrit uniquement par John et Jordan (Rudess, claviériste NDLR). Cette fois-ci, il semblerait que le travail de composition ait été totalement différent. Etait-ce une réaction à The Astonishing ? Le travail collectif vous manquait-il particulièrement ?

John Petrucci : Oui, une chose vers laquelle nous voulions revenir, car cela génère beaucoup de plaisir. La façon dont Jordan et moi avons écrit The Astonishing était très différente par rapport à tout ce que nous avions déjà réalisé. Nous avions choisi à l'époque de procéder de cette façon car il s'agissait d'une sorte de bande-originale pour une histoire et que les choses devaient être contrôlées pour garder le sens initial. Mais en général, sur la plupart de nos autres albums, nous avons toujours souhaité travailler tous ensemble. Dès lors que nous avions terminé The Astonishing (et c'était un gros projet où nous avons pris beaucoup de plaisir), nous nous sommes dit "maintenant revenons à ce que nous faisions auparavant". 

Quelque chose de plus classique ?

JP : Oui, quelque chose de plus classique, exactement !

A ce sujet justement, l'album regroupe plusieurs chansons courtes, indépendantes les unes des autres, ce qui me rappelle le travail que vous aviez réalisés sur l'album éponyme, Dream Theater, en 2013...

James LaBrie : Je peux effectivement noter quelques similitudes entre les deux. Mais pour moi, l'éponyme possède plus de passages heavy. De mon point de vue, la réelle différence entre les deux, c'est que les titres de Distance Over Time sont un peu plus concis. Nous voulions avant tout écrire des chansons qui tuent, très puissantes et ne pas se retrouver nécessairement piégé par ce qui est naturel pour ces mecs (il pointe John du doigt NDLR), à savoir faire un instrumental de six minutes ! (rires) et se perdre dedans ! En écrivant ces titres, nous étions conscients du fait qu'en écrivant, l'un d'entre nous voudrait aller dans une mauvaise direction. Non, il fallait rester concentrés et compléter une idée, du moment qu'on sentait tous qu'elle était la bonne. C'est pour moi, la plus grande différence entre cet album et celui de 2013. Et le travail était d'ailleurs beaucoup plus collectif.

Est-ce que l'idée principale était d'effectuer une sorte de retour aux sources ? Car je trouve qu'il y a une forte influence de Rush sur "Backstool Warrior" ou "S2N", comme à vos débuts, notamment avec ce gros son de basse de John Myung.

JP : Oui. Quand tu parles de retour, cela nous ramène forcément à lorsque nous étions des adolescents ou au début de notre vingtaine. Tu parles de John, nous avions 12 ans lorsque nous nous sommes rencontrés et avons commencé à jouer ensemble. Nous jammions, nous nous retrouvions entre amis. Et aux débuts de Dream Theater, c'était pareil, nous allions en répétition, écrivions pour Images and Words... Nous avons fait pareil lorsque James nous a rejoint. Nous allions en répétition pour écrire Awake avec Mike (Portnoy, co-fondateur du groupe et ancien batteur NDLR). C'était une fois de plus similaire avec Train of Thought, Scenes from a Memory... Pour Distance Over Time, nous sommes revenus à cette atmosphère, en ramenant notre matériel en studio, en mettant les potards à fond et chacun était impliqué. Les choses étaient très interactives, il y avait beaucoup de fun. De plus, nous nous sommes retrouvés dans un studio assez loin de chez nous, ce qui nous permettait de rester ensemble après les prises, de boire un verre, de faire un barbecue... Cela me rappelle effectivement cette ambiance qui remonte à nos vingts ans.

JLB : Ce qui est super avec ce groupe (et qui diffère peut-être de beaucoup d'autres qui ont la même longévité que nous), c'est que tout au long de notre carrière, il y a eu divers moyens pour nous d'exprimer ce que nous voulions dire. Cela s'est manifesté à travers beaucoup de périodes d'expérimentation. Un exemple récent qui me vient en tête, c'est The Astonishing. C'était très expérimental pour John et Jordan d'écrire de cette façon. C'est la raison pour laquelle l'album sonne de cette manière. Je pense que c'est un excellent résultat. Mais, en étant dans un groupe, tu as toujours tendance à revenir à l'essentiel, c'est à dire se retrouver ensemble, à trois, quatre, ou cinq mecs, jouant dans une pièce, faisant du bruit, et peu à peu, créer ce qui te caractérise. Je pense que c'est ce qu'il y a de beau en tant qu'artiste. Chaque album te fait évoluer pour continuer à grossir, non seulement pour toi mais aussi pour tes fans.

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Dans vos chansons, vous avez toujours abordé des sujets divers et variés, tels que la guerre ("Prophet of War", "In the Name of God"), les addictions (la 12 step suite, "The Mirror"), la fantasy / S-F ("In the Presence of Enemies", The Astonishing) ou encore le modernisme ("New Millenium", "Learning to Live"). Cette fois-ci, vous abordez un sujet particulièrement grave sur "At Wit's End", qui parle du viol et de la réaction post-traumatique d'une femme après un tel acte. Ce sujet a-t-il été inspiré par le mouvement #Metoo ?

JLB : Oui. On ne peut pas ne pas être affecté par un tel sujet ! On est touché par de nombreux témoignages notamment à travers les réseaux sociaux ou les journaux. J'ai évoqué justement ce sujet avec John hier, car nous étions à Berlin pour la promotion de l'album. Et il y avait un écran qui diffusait une interview d'Ashley Judd, une militante pour l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. Je pense que désormais, ce sujet grave est dans tous les esprits et c'est une très bonne chose, car peu importe notre genre, nous méritons tous un respect absolu. Pour revenir à "At Wit's End", j'ai été inspiré par un article que j'ai lu à propos du viol. Il parlait non seulement de l'horreur de l'acte, mais également de ce qu'il se passe après, pour que la victime se reconstruise. Dans de nombreux cas, une relation n'y survit pas. Car les femmes portent une cicatrice, elles sont marquées à jamais et ne peuvent plus revivre de la même façon. Et dans la plupart des cas, les compagnons des femmes qui ont subi un tel acte essayent de les comprendre et de les convaincre que cela ne changera rien. On ne peut pas penser comme cela car c'est faux ! On ne peut pas convaincre quelqu'un de passer à autre chose car l'effet psychologique d'un tel acte est profondément accablant.

Sur un autre sujet, l'artwork fait écho à Hamlet, mais évoque également les relations entre l'espèce humaine et la technologie...

JP : Nous avons effectivement évoqué ce sujet avec Hugh Syme (qui a réalisé l'artwork NDLR), lorsque nous avons trouvé le titre de l'album, Distance Over Time. Il nous a présenté cette référence à Hamlet, ce qui était très intelligent, avec ce crâne porté par un bras artificiel. Cela évoque un lien entre passé et futur, comment l'humanité était et vers où le futur nous mène. C'est très cool comme référence, quand tu regardes l'artwork, ton cerveaux commence à réfléchir tout seul (rires). 

Ca aurait pu être un Nomac (rires) ! (Les Nomacs sont les robots présents dans le concept du précédent album, The Astonishing NDLR).

JP : (rires) Exactement ! Un Nomac à qui un bras a poussé ! (rires). Comme dans Jurassic Park, "la vie trouve son propre chemin" ! (rires).

J'aimerais parler un peu du titre bonus, "Viper King", qui sonne un peu comme du Whitesnake ou du Deep Purple. Elle est très directe et différente de ce que vous faîtes d'habitude. Dans quel état d'esprit étiez vous au moment de composer ce titre et l'avez-vous composé en étant conscients qu'il serait présent en guise de bonus ?

JP : Non, pas du tout. A l'origine, "S2N" devait être un titre bonus. Quand on a écouté l'ensemble, c'est là que l'on s'est dit que "Viper King" collait plus à cette place. Car l'album comporte de thèmes plus sérieux et profonds. Avec "Pale Blue Dot", c'est comme si l'on terminait un film, comme un générique de fin. Et tu sais, parfois à la fin d'un film, on rajoute une chanson un peu fun. C'est ce que l'on a voulu faire. L'idée principale de "Viper King" est venue d'un soundcheck. La plupart du temps, pendant ces soundcheck, on peut jammer entre amis, prendre beaucoup de plaisir à jouer. On peut faire des impros blues, avec beaucoup de groove...

Enregistrez-vous ces jams ?

JP : Oui, on les enregistre à chaque fois ! Souvent, il y a cet esprit Van Halen ou Deep Purple, avec un tempo ternaire et groovy. Mais habituellement, nous n'ajoutons pas cela dans notre musique. Cette fois, nous nous sommes simplement dit, "amusons-nous avec ça !". Cette chanson est très rock n' roll, le jeu de claviers de Jordan est très cool avec un son un peu distordu. De mon côté, il y a un côté Satriani, James chante comme Robert Plant...C'est très classique, mais très amusant à faire !

JLB : De mon côté, je suis très friand de ce rock classique à la Deep Purple, Mountrose avec beaucoup de groove. Comme John l'a dit, c'est une chanson fun. C'est un peu notre "Highway Star" (classique de Deep Purple NDLR) ou notre "Red Barchetta" (titre de Rush NDLR).

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Il y a par ailleurs d'autres titres qui comportent un côté groovy dans cet album...

JLB : Absolument !

JP : Mais même dans "Viper King", il y a quand même une petite vibe Dream Theater, avec le pattern de batterie de Mangini sur le couplet. Il y a une signature rythmique bizarre, en 9/8 je crois...Ce titre garde plusieurs petits éléments typiques de DT. Mais c'est vrai que le côté groovy de notre musique est assez accentué sur cet album.

John, penses-tu que ta dernière tournée avec le G3 l'an dernier t'a influencé pour ce côté rock n' roll ?

JP : Bien sûr, cela m'a influencé. Dès lors que je fais ce genre d'expérience, avec le G3 ou durant mon "Summer Camp", il y a beaucoup de travail de jam. Et quand on se retrouve en studio, on se rappelle ces moments de fun, de jam. Tu peux le remarquer dans plusieurs de nos titres, dans les parties solo, comme sur "Viper King", "Room 137" ou même "Unthetered Angel"... Oui, le G3 est une belle source d'inspiration pour cela, à titre personnel. Joe (Satriani NDLR) a ce jeu très influencé par Hendrix, avec un son brut, presque primaire et très rock n' roll. C'est très cool !

L'été prochain, vous serez de retour au Hellfest, après plus de dix ans sans y avoir joué. Que peut-on attendre de ce concert ?

JLB : Je n'en ai aucune idée ! (éclats de rires) Cela dépend surtout du temps dont on disposera. Honnêtement, notre set est bien sûr différent d'un set "An Evening with" car c'est plus condensé. Il faudra que nous travaillions ensemble pour établir la setlist de cette tournée des festivals.

Est-ce frustrant pour vous de jouer en festival, sachant que vous n'avez qu'une heure et que vous ne vous produisez pas nécessairement devant vos fans ?

JLB : Non, pas du tout ! Au contraire, je trouve cela excitant. Il y a quand même une partie de nos fans présents en festival, mais également de nouvelles personnes qui n'ont jamais entendu une seule note du groupe.

JP : D'autre part, on sait que tourner c'est être tout le temps sur la route. Et la meilleure partie de la journée, c'est quand on est sur scène. Même si ce n'est que pour 45 minutes. On veut juste jouer tu vois, donc même en festival c'est du fun.

JLB : Et en backstage, c'est encore mieux ! (rires) La meilleure partie du show se déroule backstage ! (rires).

Et à propos du Hellfest, vous verrez que les choses ont bien changé depuis votre dernière venue...

JLB : C'était un peu la folie la dernière fois que nous sommes venus...

JP : Ce dont je me rappelle c'est de la pluie et de la boue ! (rires) Quand nous sommes montés sur scène, il y avait une pile de boue devant nous ! (rires).

L'an prochain, vous célébrerez également les vingt ans de Scenes from a Memory en l'interprétant sur scène. Qu'est-ce que cet album représente à vos yeux aujourd'hui ?

JP : Vingt ans après...c'est fou ! Et bien, d'abord, c'est notre premier album concept, le premier avec Jordan... C'est un anniversaire important ! Je me rappelle que nous jouions dans le groupe depuis près de quinze ans. Nous étions des grands fans d'oeuvres telles que The Wall, Operation : Mindcrime, Tommy... Et à l'inverse de ces grands groupes et du style prog, nous n'avions jamais fait d'album concept. Donc l'idée était d'écrire une histoire, de trouver des thèmes, c'était très excitant. Il s'avère que c'est désormais le préféré d'une grande partie de nos fans. Et cela nous a fournit une sorte d'énergie nouvelle au sein du groupe. Pour cette tournée, nous avons d'ailleurs choisi un artiste qui travaille avec nous, afin de proposer de nouvelles animations pour mettre en lumière l'histoire.

Vous avez accompli pratiquement tout dans votre carrière. Vous avez joué avec un orchestre, dans des lieux magnifiques comme des théâtres antiques, vous avez écrits des albums concepts, réalisés une musique de jeu vidéo, travaillé sur des side-projects... Quelle serait votre prochaine étape ?

JLB : Je ne sais pas, je ne réfléchis pas en ces termes. Il y a toujours de nouvelles choses à accomplir pour un groupe musicalemnt parlant. Nous devons surtout être concentrés sur la direction vers laquelle aller et surtout définir qui nous voulons être artistiquement. Comme tu l'as souligné, nous avons eu beaucoup d'opportunités musicalement parlant, en travaillant avec des orchestres ou jouer partout dans le monde. Ce qui nous importe c'est surtout de toucher de nouvelles personnes, d'aller jouer dans des nouveaux pays. Musicalement, je ne sais pas trop... (s'adressant à John Petrucci NDLR) John, tu veux que l'on fasse un album de country ? (rires)

JP : Un album entier de blues ! (rires)

JLB : Ou du jazz allez !

D'accord, on vous prend au mot ! (rires)

JP  : Pour répondre à ta question, on se trouve déjà assez chanceux d'avoir pu réaliser tout cela. Et de faire ce que nous aimons. Nous avons eu de grands moments dans notre carrière et je suis sûr qu'il y en aura d'autres.

Avez-vous un dernier mot pour nos lecteurs ?

JLB : Tu sais, nous construisons cette relation particulière avec la France depuis 1992. John, tu te rappelles de notre premier show en France ?

JP : Oh oui, je m'en souviens !

JLB : Et te rappelles-tu de l'heure à laquelle nous sommes montés sur scène ? (rires)

JP : Je me rappelle surtout de l'endroit, à la Locomotive !

JLB : Et il était deux heures du matin quand on a joué ! Et je crois que Stéphane était là (James parle de Stéphane Auzilleau, éminent collègue journaliste chez Rock Hard et fondateur du fan-club français de Dream Theater, Your Majesty NDLR).

JP : Oui, et il a donné sa première interview il me semble.

JLB : On a surtout trouvé que l'ambiance en France pour ce premier rendez-vous était excellente. Les choses étaient nouvelles pour nous, et vingt-cinq ans plus tard, on s'en rappelle.

Interview réalisée le 7 décembre 2018 à Paris
Merci à Valérie d'Inside Out d'avoir permis cet entretien
Crédits photos : droits réservés Inside Out

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