Laibach à  la Laiterie de Strasbourg (26.03.2019)

La Mano Negra peut trembler : la peste pas si brune que ça de Laibach est de passage à la Laiterie de Strasbourg, pour un concert placé sous le signe du totalitarisme le plus absolu.

Arrivé de bonne heure dans la salle, nous pouvons profiter de l’ambiance offerte par Laibach. Pas de première partie, le groupe dispose de la salle selon son bon vouloir. Plusieurs synthés, une guitare électrique au pédalier conséquent, une batterie, deux pieds de micros et plusieurs écrans seront les outils de propagandes de ce soir. La sono diffuse des sons de fermes : des poules caquettent, des vaches meuglent… On s’ambiance à la mode bavaroise ce soir pour apprécier au mieux ce concert placé sous le signe du dernier album des Slovènes : The Sound of Music, du nom du film musical over culte. "La Mélodie du Bonheur" par chez nous. Oui, après les Beatles et JS Bach, c’est au tour de la famille Trapp d’être laibachisée. Le groupe jouera l’ensemble de l’album ce soir.

Pour ceux qui n’auraient pas suivi l’actu du groupe : il s’agit d’un album décalé, grotesque même, que la formation a composé afin de présenter un show maintenant mythique en Corée du Nord où le film de Robert Wise fait office de manuel d’apprentissage de l’anglais. Grâce à cet album, Laibach a été le premier groupe de rock à jouer dans la dictature de Kim Jong-Un. Cette aventure complètement méta du groupe le plus autoritaire s’exprimant dans le plus complet totalitarisme a fait l’objet d’un documentaire : Liberation Day.


Revenons à nos moutons qui bêêêêlent dans la sono de la Laiterie. Le groupe arrive sur scène, et c’est la voix de la chanteuse invitée Marina Martensson qui ouvre le bal avec la chanson titre. Puis le formidable frontman /dictateur/guide bien aimé Milas Fran fait son apparition sous des applaudissements nourris. L’homme pue le charisme à plein nez, porte son mythique couvre-chef de mineur et porte sa toge vue dans le clip de "Lonely Goathderd". Sa voix grave inimitable résonne, elle doit faire trembler tout Strasbourg. Les mélodies sont douces, candides, enfantines, rassurantes. Les écrans projettent des images de petits poneys, de campagnes, de petites filles souriantes, des images de la Corée du Nord aussi : ses défilés militaires, ses leaders, ses chars d’assauts roses fluos. Eh, on est à un concert de Laibach, non ? Tout n’est qu’ironie ici.

Le groupe tire dans le mille à chaque chanson, les musiciens leur apportant ce petit côté résolument plus rock qui leur manque peut-être en studio. Le public est captivé. Ça commence toujours comme ça les dictatures : du charme, des sourires, des caresses, des rêves de lendemains qui chantent, et notre bon guide qui pose pour une photo avec les enfants. Le set se termine dans la plus pure beauté lyrique d’un chant coréen : "Arirang", également présent sur l’album et qui n’est pas sans rappeler le travail fait par le groupe sur leur excellent album Volk. Laibach se retire de la scène, et nous laisse patienter pour un petit quart d’heure chronométré d’entracte.


Les musiciens reviennent sur scène et en un quart d’heure les choses ont bien changé. Les promesses fraternelles ont tourné à la tyrannie. Fini les sourires, finies les douces mélodies. Place à un set martial, totalitaire, sans concession. Milas est de retour sur scène, seul, et a troqué ses habits de bon berger du peuple pour son complet habituel. Le genre de look qui peut te condamner à être fusillé juste en faisant un pli. Le groupe assène plusieurs de ses plus anciens morceaux revisités. Les écrans diffusent des images de mort, de guerre, de visages torturés, de barbelés. Des femmes hurlent, en l’occurrence la chanteuse Mina Spiler, présente à l’écran à défaut d’être avec nous pour cette tournée. Le show se fait plus complexe aussi, plus expérimental. Le groupe abandonne la propagande populiste de son premier set kitscho-pop et se révèle sous son vrai visage : un groupe d’avant-gardistes de l’avant-garde qui joue avec nos pires cauchemars politiques.

Une voix démoniaque psalmodie des paroles signées Mick Jagger. Laibach lâche ses panzers pour une nouvelle offensive, plus indus que jamais, pour jouer leur reprise de "Sympathy for the devil". Les écrans balancent des images de conflits lourdement armés. On voit Poutine. On voit le Sergent Peppers Lonely Hearts Club Band. Ca fait un sacré spectre culturel... Laibach nous inflige une véritable blitzkrieg. L’ambiance se détend et de doux accords au synthé viennent caresser mes oreilles d’une mélodie que nous ne connaissons tous que trop bien. On doit être à un véritable meeting politique pour que le groupe nous flatte de la sorte en nous offrant le sublime "Francia", reprise de "La Marseillaise" issue de l’album Volk, et véritable hommage au peuple français, ces Gaulois réfractaires qui ne pensent qu’à tout casser les vitrines et cramer les Fouquet’s de l’Histoire pour mieux y bâtir une nation. Tu te feras ta propre interprétation au pire.

Les fans de Iron Sky sont aussi caressés dans le sens du poil avec "The Coming Race", moment de grâce et de sexitude vocale offert par Marina. « Make Earth great again » nous dit Milas. Les écrans affichent des images du film puis une parodie de jeu vidéo 8 bits où Milas Fran chevauche un missile spatiale. Ce dernier revient sur scène, affublé d’un chapeau texan (probablement un cadeau diplomatique de George W. Bush Jr.) pour conclure la soirée, avec un titre pseudo-country potache, "Surfing through the galaxy".


Laibach aura assuré un show sans faute, parfaite représentation du groupe : quelque chose de sérieux. De grave. D’appliqué. Mais aussi de conceptuel, avec toute la dose d’humour, de ridicule, de grotesque et de second degré exigée pour apprécier l’expérience. Comme d’habitude, une telle setlist fait des déçus (eh ouais les gars, on sifflera pas "The Whistleblowers"). On peut regretter l’absence du chanteur Boris Benko et des choeurs d’enfants, dont les voix sont samplées, ce qui tue un peu le live. L’éternel débat, hein ? Mais bon. C’était une soirée spectaculaire qui restera gravée dans les mémoires.

Setlist :

The Sound of Music
Climb Every Mountain
Do – Ré – Mi
Edelweiss
My Favorite Things
The Lonely Goatherd
Sixteen Going On Seventeen
So Long, Farewell,
Maria/Korea
Airang

Mi kujemo bodocnost (Revisited)
Smrt za smrt (Revisited)
Nova Akropola (Revisited)
Vier Personnen (Revisited)
Krvava gruda -plodna zemija (Revisited)
Ti, ki izzivas (Revisited)

Encore :
Sympathy for the Devil
Francia
The Coming Race
Surfing Through The Galaxy
 

Roman
 

Remarque : Les photos proviennent du concert de Paris du 25.3.2019
Photos : Arnaud Dionisio / © 2019
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.

 

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