Déluge – Ægo Templo

On ne peut pas dire que Déluge soit le groupe le plus prolifique de France. Depuis leur magnifique Æther sorti en 2015 chez Les Acteurs de L’ombre, les cinq musiciens se sont tus sur album. Cinq ans pendant lesquels les Messins ont beaucoup joué avant de s’accorder ce long temps de composition dont Ægo Templo est le résultat. Revoici donc aujourd’hui le quintet, désormais signé chez l’un des plus gros mastodontes du genre, Metal Blade Records. Et, autant ne rien vous cacher, il n’a rien perdu de sa hargne et malgré ce nouveau label, aucune compromission n’est visible à l’horizon.

On ne peut pas dire que l’eau soit l’élément le plus représenté dans le metal. Au contraire de ce feu brûlant que l’on adore mettre en avant, à cette terre foulée des ancêtres dont on aime conter les histoires, le liquide fait figure de parent pauvre. Et pourtant, l’eau n’est-elle pas le point d’orgue des opposés ? Des fracas des vagues au silence des abimes, des pluies torrentielles qui s’abattent des airs aux tsunamis venus des fonds océaniques, n’est-ce pas un sublime vivier musical ? Déluge cultive cette ambivalence. Loin d’un Ahab qui conte des histoires marines, l’eau est ici insidieuse, apparaissant en arrière-plan d’une mélodie qui, elle aussi, se construit sur ces opposés.

Ainsi, malgré son attachement à des racines black-metal toujours très présentes, Ægo Templo se repose plus encore qu’auparavant sur une approche post-hardcore. À la différence de bien des groupes de post-black, Déluge aime jouer des cassures, nettes, sans transition entre ses différents passages. Pourtant loin de briser la continuité des chansons, le tout sonne comme un véritable récital. "Abysses" en est un bel exemple, où les cadences et styles s’enchevêtrent avant de fusionner sur un mid tempo final porté par les chœurs lumineux d’Hélène Muesser. Les amateurs de black metal en auront heureusement pour leur argent avec Ægo Templo, tant les blast beats, la vitesse et cette froideur inhérente au genre sont présents sur le disque.

Et pourtant, derrière cette violence, sèche et abrupte, qui apparaît au détour des morceaux, se cache une subtile mélancolie. Ces bruits d’océan, de pluie et de marasmes aquatiques, ces guitares atmosphériques qui précèdent et succèdent à la brutalité donnent une tournure réellement cinégénique à ce disque.

Il n’y a qu’à jeter une oreille sur la chanson éponyme ou encore "Gloire Au Silence" pour s’en rendre compte. La présence sur ce morceau de Tetsu des Japonais envy, qui déclame d’intenses spoken words, accorde à la piste une profondeur, une âme quasi charnelle. Il est rare dans les groupes de ce style de prodiguer un tel corps à la musique, ici amplifié par ces nappes de clavier, ces notes de saxophone ou même ces transitions brutales.

Plus encore qu’ Æther, Ægo Templo remonte des images, des souvenirs ou des (res)sentiments que l’on associe aux compositions. Ce temple de l’ego que nous compte le guitariste  François-Thibaut Hordé est un passage vers l’accomplissement, de soi-même, tant pour soi-même que pour les autres.

Le tout est mis en valeur par une production elle aussi à la croisée de ces deux univers, entre lourdeur et évanescence. Le mix est aéré - voire quasi aérien – alors que succèdent aux chœurs et aux chants non saturés de belliqueuses salves de guitares, sans que cette apparente douceur ne disparaisse. Le rendu sonore est donc extrêmement travaillé, chaque instrument étant une partie tant audible qu’essentielle au résultat de l’ensemble. Les multiples passages en voix claire sont d’autant plus indispensables à cette sensation de bloc que dégage Ægo Templo. Le contraste est présent, pressant, amplifié par les cris intenses de Maxime Febvet. Et malgré des structures similaires, l’agencement et les orchestrations évitent l’impression de répétitivité qui surgit parfois au détour d’autres disques de ce genre.

Au creux du roulis des vagues, un sentiment de plénitude. L’effet de ce Ægo Templo une fois terminé est lancinant et profondément émotionnel. À travers ces dix pistes, Déluge vient de marquer 2020 d’une pierre blanche. Son nouvel album est beau, tant complexe dans ses arrangements que facile à appréhender et se tient dans le haut du panier des sorties de l’année. Au milieu des frontières, entre black-metal et post-hardcore, les Messins portent bien leur nom et exaltent ici les affres et sentiments les plus noirs. Avec une violence continue, les voici délivrant un véritable cataclysme qui détruit ces barrières que s’imposent certains metalleux… Et prouvent que signer chez un grand label n’est pas incompatible avec une exigence musicale. Soyons donc bref, ce disque est à écouter et à posséder pour s’y replonger encore et encore pour déceler tous ses secrets. 

Déluge Ægo Templo : sortie le 6 novembre 2020 chez Metal Blade Records

Tracklist :
01. Soufre
02. Opprobre
03. Abysses
04. Fratres
05. Gloire Au Silence
06. Ægo Templo
07. Baïne
08. Digue
09. BeÌryl
10. Vers

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NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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