Entretien avec le chanteur de Soen, Joel Ekelöf

A l’occasion de la sortie du nouvel album de Soen, Imperial, La Grosse Radio vous propose aujourd’hui l’interview de son chanteur, Joel Ekelöf. Lors de cette interview réalisée à distance, situation sanitaire oblige, le frontman de la formation de metal progressif suédoise est revenu sur la production de cet album et sur les choix artistiques engagés du groupe. Une très bonne occasion également de découvrir les secrets de production d’un authentique album de prog. Sans oublier le secret de la voix d’un chanteur au timbre reconnaissable entre mille. Alors, prêts à plonger dans l’univers progressif de Soen ?

Bonjour Joel, pour commencer, une question portant sur ton regard sur la situation sanitaire : comment la vis-tu personnellement ? Et surtout dans quelle mesure a-t-elle influencé la production de l’album ?

Salut, tu sais c’est difficile pour tout le monde cette situation. Du coup j’ai envie de dire qu’on s’adapte. En Suède il n’y a pas non plus eu trop de réglementations, donc on a encore eu pas mal de liberté. J’espère en tout cas que ça va nous permettre de réaliser, nous Européens, que de graves choses peuvent également nous arriver. Depuis des décennies, aucun événement pareil n’était arrivé en Europe. D’un certain point de vue les conséquences de cette crise vont être intéressantes. Mais pour revenir à l’album, la production de celui-ci avait déjà commencé avant la crise sanitaire, donc il n’y a pas eu tant d’impact que ça je dirais par rapport aux plans initiaux. Le fait de ne pas pouvoir faire des concerts nous a néanmoins permis de se consacrer à 100% sur sa production. 

C’est intéressant que tu évoques justement cette société en évolution. On a l’impression, que, dans vos chansons, et encore une fois dans cet album, vous êtes finalement très engagés et assez critiques vis-à-vis de la société dans laquelle nous vivons. A l’image de votre nouveau single "Antagonist" avec ses paroles fortes comme « Fire up your guns »,  est-ce dans l’ADN de Soen d’être des artistes engagés ?

Oui, car je pense que, mon groupe et moi-même avons la conviction qu’il est nécessaire de s’exprimer. De dire les choses avec sincérité et honnêteté. On peut rire parfois, mais je pense que la vie c’est plus que ça. Pour moi la musique, c’est un art qui doit te toucher, te procurer des émotions. Et je pense que c’est avant tout parce que nous pouvons parler de choses sérieuses dans nos chansons. Et c’est même dans l'art de la musique que cette liberté d’expression prend le plus de sens pour nous. Car de la musique, c’est ce qu’on sait faire de mieux. Pire encore, je pense que ça serait une mauvaise chose de ne pas le faire.

Mais alors que pourrait être ta plus grande revendication ? Si tu pouvais changer une chose dans la société d’un coup de baguette magique, qu’est-ce que ça serait ?

Et bien j’aimerais finalement mettre les gens dans des camps pour qu’ils se rendent compte qu’ils ne s’écoutent pas. Le vrai problème aujourd’hui, c’est le manque de solidarité. Ce que j’aimerais vraiment, c’est que les gens comprennent qu’au fond, nous souhaitons tous la même chose. Nous aspirons tous à être heureux, mener une vie en paix, et prospère. Nous voulons avoir une famille et être aimés par nos proches. Et je trouve que ce qui va mal, c’est que les gens sont sans cesse dans la contestation à se taper les uns sur les autres et à s’insulter. Il y’a vraiment un manque de dialogue, de compréhension de chacun et un manque d’empathie. C’est ce que je voudrais changer, définitivement.

Pour revenir à l’album, comment ne pas parler de vos pochettes qui sont toujours très artistiques. Encore une fois c’est un animal de représenté, mais cette fois, c’est un serpent. C’est un reptile qui a vraiment différentes symboliques. Pourquoi un tel choix ?

Oui, c’est vrai que nous utilisons souvent des animaux sur nos pochettes. Sur Tellurian, il y’avait un rhino, c’était le premier. Et plus tard, sur Lykaia, un loup. Nous aimons vraiment utiliser des symboles pour illustrer notre musique. Mais pour revenir au serpent, c’est un animal à la fois dangereux, qui peut représenter le mal. Mais d’un autre côté, il est aussi sophistiqué, élégant, majestueux et il peut aussi être symbole de guérison. Et je pense que c’est tout ce que cet album représente en fait. C'est ce côté glorieux. Imperial, c’est surtout tout ce qui touche à la grandeur, à l’élégance même. C’est ce qu’on retrouve musicalement dans cet album. (ndlr : le clip de "Monarch" et sa musique illustre parfaitement bien les propos de Joël)

Mais par rapport aux autres albums, typiquement, Lykaia était vraiment différent. C’était plus quelque chose de très personnel, où il y’avait ce côté exploration des mauvais penchants de notre humanité. Ces choses que nous ignorons nous-mêmes, mais qui sont finalement très importantes. J’aimais vraiment bien ce thème aussi.

C’est ton moment promo de l’interview, qu’est ce qui fait qu’on devrait acheter ton album ?

Bon et bien ce que je vais dire c’est très cliché vu que tous les artistes le disent, mais c’est vraiment le meilleur album que nous ayons fait jusqu’à maintenant. Jamais autant de personnes ont été mobilisés dans la production d’un album de Soen. Mais surtout, je dirais qu' Imperial est un hymne au heavy metal, une sorte de retour aux sources, à ce metal traditionnel. Finalement c’est je pense là que sont nos origines, pour moi, et les autres membres du groupe. Nous avons une sorte de dette envers ce genre de musique d’une certaine façon et cet album lui rend vraiment hommage. Tu sais, j’ai un peu honte de voir que beaucoup de groupes, dont un certain nombre dans le metal progressif, renient un peu leur origine musicale. Alors qu’ils devraient en être fier.

Donc tu fais sûrement référence à tous ces groupes de metal qui se tournent vers des sonorités pop, voire même électro ? Tu penses que c’est purement une raison commerciale, pour vendre plus d’albums et de tickets ?

Oui, je pense qu’aujourd’hui, et je l’observe beaucoup en Suède, il y ait une pression sociale qui fait que les gens ont tendance à mépriser un peu ce genre de musique. Ce qui fait qu’un certain nombre de groupes de metal progressif tombent dans cette pression sociale, et se mettent à faire des sons plus jazz ou encore du art-rock, afin que ça respecte une sorte d’« Establishment ». Alors que je pense vraiment qu’il n’y a aucune raison de négliger le metal, et ses fans.

Le metal est en effet devenu assez mainstream ces derniers temps, entre des festivals toujours plus grands avec plus de rock, et des écoutes de streaming plus importantes…

Non, mais je ne pense pas que le metal ait fondamentalement changé. Je pense surtout que beaucoup de groupes s’en éloignent. La communauté metal est, et reste à mes yeux, très présente. C’est comme ça depuis des décennies, ça ne changera pas de sitôt selon moi. Et le metal reste comme il est.

Tu parles justement de ces racines metal du groupe, certaines personnes qualifient Soen plutôt du côté rock, qu’en penses-tu ? Quelle est vraiment l’identité musicale de Soen ?

Je pense que nous restons avant tout un groupe de metal progressif. Mais c’est sûr que la richesse de nos morceaux, et le côté plus rock vient de nos influences rock progressif. J’en suis très fier. Personnellement, je viens du rock progressif et je me suis grandement inspiré de Jethro Tull, de King Crimson, et de Genesis (à leur début). Ce que j’ai aimé chez ses artistes, ce sont toutes ces explorations musicales. Et je dirais que nous avons beaucoup de ces éléments progressifs de cette époque-là.

Du coup, vous êtes un groupe de metal moderne avec des influences de prog classique finalement ?

Oui d’ailleurs, ce qu’on fait est très différent du rock prog ou du metal prog actuel selon moi.  Aujourd’hui beaucoup de groupes ne sont focalisés que sur la technique et le fait de jouer tout extrêmement rapidement. Le prog moderne d'aujourd’hui, c’est de montrer sa technique, juste parce que ça fait bien de montrer sa technique. Mais c’est dommage de penser comme ça je trouve. Selon moi la technique doit rester à la marge, ça doit être utilisé avec parcimonie, c’est ce qui rend notre musique encore plus belle. On ne doit pas se forcer à mettre de la technique partout, même si on est doué pour ça. 

Ton analyse fait penser justement à la dernière chanson de l'album, "Fortune"  qui combine vraiment bien ces deux aspects de tradition et de modernité. D'ailleurs ta voix sur celle-ci ressemble un peu à celle de Serj Tankian de System Of A Down, on te l'a déjà dit ? 

Oui, on me l'a déjà dit à plusieurs reprises ça, et même sur les précédents albums. Par contre je ne réfléchis pas du tout à imiter sa voix lorsque je chante mes chansons. Mais il y'a peut être une ressemblance. C'est un groupe très sympa en tout cas. J'aime bien ! (rires)
En ce qui concerne la dernière chanson, elle est vraiment épique et combine vraiment plein d'aspects différents. Il y'a vraiment eu beaucoup d'arrangements comme les harmonies des guitares à la fin. Elle est vraiment différente de ce qu'on fait d'habitude. Je l'adore en tout cas, c'est une de mes préférées. 

C’est clair, que vos morceaux dans cet album sont un vrai appel au voyage, à l’exploration musicale. Ce sont des morceaux qu’il faut vraiment écouter quinze à vingt fois pour en saisir la subtilité. C’est aussi ton ressenti ?

Je suis content que tu dises ça, parce que je pense que c’est exactement l’illustration du travail que l’on met dans cet album. A chaque fois qu’on écrit un album, c’est un vrai défi. On y met vraiment beaucoup de travail et d’énergie. Il y’a des moments où parfois c’est très dur et où on était vraiment à bout après avoir écrit un morceau. Parfois, la tension était à son comble. C’est à l’image de ce que l’on fait. Et c’est vrai que notre musique se trouve dans tous ces détails, à découvrir écoute après écoute. 

Comment arriver à un tel résultat ? Toutes ces chansons, que tu composes majoritairement avec Martin Lopez (l’ancien batteur d’Opeth), comment les écris-tu ?

C'est souvent Martin qui trouve une structure et de bonnes idées. Ensuite on travaille tous les deux là dessus et on réfléchit à la voix, aux mélodies, puis on commence à construire quelque chose. Et ensuite c'est un processus assez itératif, on fait des modifications, on revient sur des détails, encore et encore. Mais généralement les paroles viennent vraiment après avoir trouvé le bon feeling de notre chanson. Vraiment une fois qu'on se dit qu'on tient quelque chose. 

Lorsque on écoute cet album, il est peut-être un peu plus optimiste et lumineux que les autres qui sont plus obscurs. Que répondre aux auditeurs qui veulent écouter Soen et qui ont l’impression que votre musique reste finalement très sombre et mélancolique ?

Je ne pense pas que nos chansons soient si sombres que ça. Les sujets sont parfois durs et sombres, mais ils sont sincères. L’idée principale de Soen, ça reste vraiment de garder cet élément optimiste et cette lumière au bout du tunnel. Et c’est un élément qu’on retrouve dans tous nos albums à mon sens. La situation peut être sombre, voire même très très grave. Mais je pense qu’on peut toujours faire quelque chose pour s’en sortir. Et en étant constructif, on peut même tirer quelque chose de bon de ces situations. Notre musique n’est pas de la mélancolie à outrance. On a réellement ce message d’espoir dans toutes nos chansons.

Ce qui fait l'identité de Soen, c'est aussi ta voix, comment l'as-tu travaillé ? Est-elle venue naturellement avec le temps ?

Non je ne pense que ça n'a rien de naturel, mais que c'est surtout beaucoup de travail. Quand j'ai commencé à chanter, à l'adolescence, ma première source d'inspiration, ça a été Lane Stanley, d'Alice in Chains. C'était mon héros et je voulais véritablement arriver à chanter comme lui. Mais j'ai vite réalisé que je ne pouvais pas arriver à faire ce qu'il faisait (rires). Après j'ai essayé différentes choses, et j'ai trouvé mon identité vocale avec le temps, je pense. Et c'était la bonne ! 

C'est un peu triste de ne voir aucune date en France pour votre prochaine tournée européenne, non ? 

Oui malheureusement pour cette tournée, nous ne passerons pas chez vous. Ce sont les contraintes d'organiser une tournée, ça suit toujours un circuit bien défini et on a pas eu l'opportunité d'y mettre une date française. Pourtant, on rate rarement la France, car on adore jouer ici. Mais si les conditions le permettent, nous serons au Hellfest cet été, et c'est un des événements que nous attendons le plus cette année ! Espérons pouvoir y jouer ! 

Un dernier mot pour tous nos auditeurs qui ne vous ont jamais écouté ? 

Je leur dirais d'être curieux et de tenter leur chance ! Essayez notre musique ! En plus comme je le disais, c'est notre meilleur album ! (rires)

Album disponible dès à présent via Sliver Lining Music.

Retrouvez également la chronique de l'album ici !

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