Tom S. Englund, chanteur et guitariste d’Evergrey


Malgré une belle carrière et une discographie solide, Evergrey n'a jamais eu la reconnaissance qui devraient justement lui revenir. Et même si le combo a connu une petite baisse de régime à la fin des années 2000, depuis Hymns for the Broken en 2014, les Suédois enchaînent les réussites en studio. Escape of the Phoenix est dans la lignée de ses prédécesseurs, proposant des titres efficaces et catchy. Nous en avons profité pour faire le point avec Tom S. Englund, leader du combo de metal progressif.

Bonjour Tom et merci de nous accorder cet entretien. Parlons un peu d'Escape of the Phoenix, votre nouvel album. Peux tu nous parler un peu de ce titre ? Qui est ce phénix qui "veut voler mais ne pas ressusciter" dans tes paroles ?

Pour moi c'était surtout une façon de jouer avec les mots. J'avais en tête cette idée de phénix, mais je me sentais un peu désolé pour ce pauvre oiseau qui est condamné à ressusciter chaque jour, encore et encore, après s'être consumé chaque nuit. Et j'ai mis ça en mots, tenté une approche anthropocentrée où dans un contexte "humain", si tu étais un phénix, tu serais comme piégé dans une période de ta vie sans pouvoir en sortir et aller nulle part. En y réfléchissant, je me suis dit "qu'est-ce qui se passerait si on laissait enfin ce pauvre oiseau en paix et qu'on le laissait perdre définitivement ?". J'en ai parlé d'ailleurs à Giannis Nakos, la personne qui s'est occupée de l'artwork. Il a réalisé ce que j'avais en tête avec cette créature moitié homme moitié phénix qui tente de briser ses chaînes.

Durant ta carrière avec Evergrey, as-tu déjà ressenti cette impression d'être le phénix que tu décris ?

Oui, je pense que chacun ressent cette impression. On a tous parfois l'impression d'être piégé quelque part sans pouvoir spécialement s'en sortir. Cela m'est arrivé à de nombreuses reprises au cours de ma carrière et dans ma vie privée.

Sur ce nouvel album, Henrik Danhage s'occupe d'une grande partie des solo. Mais tu en joues deux particulièrement marquants sur "You From You" et "In Absence of the Sun". Comment vous distribuez-vous ce rôle tous les deux ?

On joue ensemble depuis tant d'année maintenant que l'on sent à l'avance quand un solo doit être joué par l'un ou par l'autre. Je pense qu'Henrik joue 60% des solos et je fais le reste. Mais c'est toujours à peu près ce ratio sur chaque album. Ce n'est pas nouveau pour moi d'en jouer. Mais j'ai toujours beaucoup de choses à faire, entre chanter, jouer de la guitare, faire les solos ou encore écrire les chansons ! [rires] Donc je suis content d'avoir un très grand guitariste comme Henrik à mes côtés pour me décharger de cette tâche. [rires]

Vous avez également deux approches différentes dans vos solos, Henrik jouant probablement des choses plus techniques tandis que tu mets l'accent sur l'émotion...

Oui, je suis d'accord. Henrik joue plus sur l'aspect technique, en disséminant notamment du tapping dans ses plans de guitare. Il est plus talentueux que moi dans ce rôle de "guitar hero". De mon côté, je sais jouer des choses rapides, mais je me retrouve plus dans une approche à la David Gilmour de Pink Floyd dans ma façon de jouer.

Tu es donc le responsable de l'approche progressive des chansons ?

Oui ! Même si on essaye surtout d'apporter à une chanson ce dont elle a besoin, ni plus ni moins. Si un titre nécessite un plan rapide, je peux aussi le faire. Et d'ailleurs, je sais que je suis probablement capable de jouer plus vite avec mon médiator qu'Henrik, qui lui est plus à l'aise que moi sur des plans en tapping. On se complète tout simplement très bien !

Vous avez invité James Labrie de Dream Theater pour interpréter le titre "The Beholder". Comment êtes-vous entrés en contact ?

Initialement, nous étions assis en studio à écouter cette chanson. Cela fait partie de nos habitudes en studio de réécouter nos titres tous ensemble. Alors que nous réécoutions ce morceau, j'ai dit "il nous faudrait un deuxième chanteur sur ce passage". Il y eu un silence, puis tout le monde a dit en même temps : "il faudrait que ça soit James Labrie !" Nous avons tous eu la même idée ! C'était un moment magique !

Et tu le connaissais auparavant ?

Oui. Mais je ne peux pas dire que nous étions amis, il vit au Canada, et moi je vis en Suède. Mais je suis persuadé que si nous vivions dans la même ville, nous deviendrions rapidement bons amis. Pour l'heure, nous sommes de bons collègues de travail qui s'apprécions mutuellement. Nous avons déjà tourné avec Dream Theater ainsi qu'avec James lorsqu'il promouvait pour son projet solo. Je lui ai donc écrit un mail en lui envoyant des idées de paroles et lui parlant un peu de ce que j'avais en tête pour cette chanson. Il m'a répondu immédiatement qu'il était partant.

Pourquoi sur ce titre en particulier ?

C'était une question de feeling, de ressenti général comme je t'ai dit. Dans cette composition, il y avait quelque chose qui nécessitait la voix de James. Quand il m'a répondu positivement, ça a été facile pour moi de retourner en studio, de réécouter le morceau et d'écrire des paroles pour lui. D'autre part, c'était très important pour moi car il a été une très grande influence pour Evergrey et moi. Dream Theater a été le point de départ de beaucoup de choses pour nous. Même si par la suite, nous avons réalisé qu'il était important de jouer nos propres compositions car nous ne pouvions pas jouer et sonner comme eux et que nous n'étions pas aussi talentueux qu'eux sur nos instruments. Nous avons trouvé notre propre voie mais James et Dream Theater ont toujours été là quelque part pour nous, en toile de fond. C'était donc une très belle façon de fermer la boucle et de lui laisser chanter mes paroles.

Malgré une telle influence, tu as toi-même ta propre voix avec ses intonations particulières.

Pour être honnête, je ne sais pas réellement quelles influences vocales j'ai, car je n'étais pas censé être chanteur à la base ! [rires] Nous avions un chanteur initialement, mais il a quitté le groupe deux semaines avant l'enregistrement du premier album et je me suis retrouvé à chanter un peu par défaut en un sens ! [rires] J'utilise un peu ma voix comme on utilise une guitare sur une chanson. Il s'agit d'un outil qui me permet de faire sonner les choses comme je l'entend. Bien évidemment, au fil du temps, elle est devenue... [il réfléchit NLDR]

Plus technique ?

Non, pas spécialement. C'est juste que je connais bien mieux ma voix qu'au début et que je sais mieux comment l'utiliser, ce qui fait de moi un meilleur chanteur je pense.

Tu compares ta voix à un outil pour l'écriture. Mais comment composes-tu tes lignes de chant ? Démarres-tu d'un accord, d'une ligne mélodique au piano ?

J'écoute les parties déjà enregistrées. Parfois les choses démarrent à partir d'une ligne de texte. Ça a été le cas sur cet album pour "In Absence of Sun", dont j'avais déjà ces quelques mots écrits. J'ai ensuite essayé d'écrire une mélodie à partir de ces quelques lignes. Mais la plupart du temps, j'ai déjà la musique enregistrée, puis je rajoute des sons, des fredonnements à la voix sans texte pour chercher les lignes de chant. Les paroles viennent souvent plus tard. J'ai pas mal d'idées de texte dans mon téléphone et il m'arrive de regarder dedans pour trouver ce qui correspondrait. En général, cela sert de base mais il faut réécrire certaines strophes.

Où trouves-tu l'inspiration pour ces paroles ? Dans des livres, ou dans ta vie de tous les jours ?

Je suis simplement moi-même. Je ne pourrais pas écrire des histoires de donjons et de dragons ! [rires]

Pour ce nouvel album, "Forever Outsider", "Eternal Nocturnal" et "Where August Mourns" ont été choisis en single. Un bon choix selon moi puisqu'elles représentent bien l'esprit du nouvel album...

C'est amusant car en douze album, c'est la première fois que nous ne choisissons pas les singles. Nous avons laissé le label décider. [rires] Parce que pour nous, cela n'avait pas d'importance. Cette fois-ci, nous avions le sentiment que cet album était si solide que peu importe le morceau choisi, il représenterait bien le groupe. Nous avons laissé cela au label car il avait un regard extérieur sur les titres et savait ce qui pourrait fonctionner. Et il semblerait que cela marche bien pour être honnête ! [rires] Après, ces chansons sont peut-être les plus immédiates, mais j'espère que les auditeurs ne seront pas effrayés par le reste. Car il y a pas mal de titres qui sont relativement progressifs avec des montées en puissance et qui sont bien moins catchy que les singles. Mais c'est la bonne chose avec Evergrey. Nous avons une vraie liberté de création. Nous pouvons faire ce que nous voulons, sans nous limiter, comme au premier jour. Tu vois, j'adore AC/DC, mais AC/DC sonne toujours pareil ! On n'a jamais vu AC/DC sonner comme Mötley Crüe ! [rires] Pour Evergrey, nous avons une formule, qui est celle mélangeant des choses heavy à des choses plus atmosphériques et tristes. Mais on peut changer pas mal de choses au sein de cette formule et faire varier les compositions.

Et pourtant, ce nouvel album sonne simultanément de façon nouvelle et familière, ce qui est un peu paradoxal... C'est votre recette, on retrouve votre empreinte...

Oui, d'ailleurs la première chronique qui est sortie et que nous avons lue dans le Rock Hard allemand lors de la sortie de The Dark Discovery nous a flattés car elle parlait d'un "son unique". Pour notre première chronique ! Et là je me suis dit à l'époque "c'est cool, on l'a fait !" [rires] C'est ce que j'avais toujours voulu, sonner de façon personnelle et unique ! Attention, unique ne veut pas dire bon, et ça ne m'aurait pas dérangé que l'on sonne de façon mauvaise mais unique ! [il éclate de rire]

Depuis le retour d'Henrik Danahge (guitare) et Jonas Ekdahl (batterie) en 2014, le groupe a l'air très solide. Est-ce que ce line up est le secret de la réussite ?

Je ne sais pas. Nous avons eu la chance d'avoir toujours d'assez bonnes chroniques. Ce qui est également positif dans le fait de ne pas être un gros groupe – et j'ai plein d'amis dans des groupes assez importants comme Sabaton, Nightwish ou In Flames qui ont bien plus de succès que nous -  c'est que nous ne pouvons que progresser et devenir toujours plus gros ! [rires] Je pense que nous n'avons pas encore atteint notre sommet discographique. Même si certains fans ne jurent que par In Search of Truth (2003) et en parlent comme de l'album clé d'Evergrey. Oui, c'était un album important pour nous, mais ça a été le cas de chacun de nos disques. In Search of Truth est l'album qui a connu le meilleur succès commercial. Mais si l'on prend le titre "The Masterplan", qui est celui le plus écouté sur Spotify, il n'atteint "que" 200 000 écoutes. En comparaison, "Forever Outsider" a été dévoilé il y a deux semaines et atteint déjà 50 000 écoutes. [riresJonas et moi écrivons 90% de la musique. Et le seul objectif que nous avons en tête, c'est d'écrire la meilleure chanson possible, c'est tout. Et nous n'avons jamais sorti de composition dont nous n'étions pas fiers. Chacune d'entre elle nous représente.

J'imagine que cela rend particulièrement difficile le fait d'établir une setlist ?

Oui ! Nous avons désormais quelque chose comme 120 chansons en tout, donc forcément, ça devient difficile de choisir ! [rires]

La dernière fois que nous nous sommes rencontrés pour une interview, c'était pour la sortie de The Storm Within. Je t'avais alors demandé de choisir un mot et un seul pour décrire chaque album de ta discographie. Pourrais-tu poursuivre avec The Atlantic et Escape of the Phoenix ?

Un seul mot ? Pour The Atlantic, je dirais "heavy". Et pour ce nouvel album... "Liberté" !

Depuis quelques années, tu es également chanteur de Redemption où tu as succédé à Ray Alder (Fates Warning). Et tu t'es également lancé dans un nouveau projet, Silent Skies, beaucoup plus calme, basé uniquement sur un duo entre ta voix et le piano de Vikram Shankar, également claviériste de Redemption. Comment appréhendes-tu ces différents projets d'un point de vue vocal ?

Déjà, ces projets sont tous très différents pour moi. Au sein d'Evergrey, je fais beaucoup de choses. Pour Silent Skies, je produis les titres, mais Vikram écris la majeure partie de la musique. Sur ce projet, je peux donc tenter des choses avec ma voix, que je ne pourrais pas faire chez Evergrey. Vu qu'y chante sur un style musical différent, mon approche vocale est également différente. Pour Redemption, c'est encore autre chose. Je ne suis qu'un outil au service de ce groupe puisque je n'ai qu'à mettre ma voix au service d'une musique que d'autres ont écrite. C'est une façon très agréable de travailler et c'est très important pour moi. J'apprécie beaucoup le fait de mettre ma voix au service de la musique de quelqu'un d'autre. C'est très gratifiant et c'est un honneur pour moi de le faire. Je suis toujours content de faire plaisir aux compositeurs des titres sur lesquels je chante. Dans le passé, j'ai déjà réalisé de nombreuses collaborations en tant que guest pour un titre, dès que l'occasion et le temps me le permettaient.

Te sens-tu plus libre lorsque tu n'as qu'à te contenter de chanter pour un autre artiste, sans rien faire d'autre ?

Dans tous les cas, je me sens libre de faire ce que je fais. Mais lorsque j'interviens pour quelqu'un, c'est également un challenge. Je dois m'immiscer dans les pas de quelqu'un d'autre, m'intégrer parfaitement dans la création d'un tiers. C'est inspirant et à la fois très difficile à faire !

As-tu des nouvelles à nous donner à propos de Redemption ? Avez-vous commencé à travailler sur le successeur de Long Night's Journey Into Day ?

Oui, la musique a été composée par Nick [Van Dyk, claviers et guitares, NDRL] et Vikram. Ils ont déjà enregistré une partie, et dernièrement ils en était à l'enregistrement des pistes de batterie. Je pense que quand la situation sanitaire se sera améliorée, je pourrai aller à Los Angeles pour mettre en boite mes lignes de chant. Et si ce n'est pas possible, je le ferai dans mon studio en Suède. Mais je préfère être avec Nick au moment de l'enregistrement car Redemption, c'est son bébé.

J'imagine que la situation sanitaire t'a permis de dégager beaucoup de temps pour collaborer encore avec de nombreux artistes ?

Oui, mais ce qui a été positif pour nous, c'est que nous n'avions pas spécialement prévu de tourner au moment du début de la pandémie. Nous étions dans le processus d'écriture, ce qui nous a permis de ne rien annuler. C'est peut être la première fois dans l'histoire d'Evergrey que nous avons eu de la chance ! [rires] C'est pour cela que tout à l'heure, j'ai utilisé le mot "Liberté" pour qualifier cet album. Car nous n'avions rien d'autre à faire que de créer pour aboutir à cet album. Lorsque nous composons, j'ai besoin d'être dans ma bulle, de ne pas être en tourner à droite et à gauche et d'avoir du temps pour le faire. Et voilà le résultat ! C'est ce que nous voulions faire...

A titre personnel, comment as-tu vécu cette année particulière ?

Cela m'a permis de méditer un peu sur tout cela. Je m'estime suffisamment chanceux de ne pas avoir été impacté directement par la crise, d'avoir survécu à tout cela. Et en même temps, je pense que le monde doit changer rapidement pour faire face à cette crise.

Durant la pandémie, vous avez malgré tout pu donner quelques concerts en streaming. Quel souvenir gardes-tu de ces concerts sans public et comment vois-tu le futur de la musique en live ?

Je crois que nous étions parmi les premiers artistes à donner des concerts dans ce format streaming. Nous en avons donné un en juin, de façon professionnelle, avec six ou sept caméras. Et nous avions tout de même cinquante personnes avec nous dans le public ! [rires] Aujourd'hui, nous serions chanceux de pouvoir à nouveau jouer devant cinquante personnes ! [rires] C'était un moment un peu spécial pour nous. Nous jouons de la musique pour aller à la rencontre des gens. Je ne me vois pas comme un musicien de studio, j'ai besoin de me retrouver face à face avec un public et il est vrai que je n'imagine pas ne donner que des concerts dans ce format là. Quand tu composes et enregistre un album, égoïstement quelque part, tu n'attends qu'une seule chose, c'est de le présenter à un public. Les artistes ont de l'égo ! [rires] Ne pas pouvoir le faire reste frustrant.

Tu as commencé la musique avec un groupe de death metal, appelé Caedes, dans les années 90. Ecoutes-tu toujours ce style de musique plus extrême ?

Oui ! Mais en même temps, j'écoute principalement de la musique quand nous sommes en tournée. Je ne le fais pas trop lorsque je suis dans ma phase de composition. En tournée, nous écoutons de tout dans le tour bus, surtout quand nous sommes à moitié bourrés [rires]. Mais c'est triste, car du coup je n'ai pas écouté beaucoup de choses c'est derniers temps, alors que je me considère comme un nerd de la musique ! [rires]

Quel est le dernier album que tu as acheté ?

Ouh ! Je n'ai pas acheté d'album depuis 20 ans au moins ! [rires] Non, plus sérieusement, je crois que le dernier album que j'ai acheté était le dernier Pink Floyd, The Endless River.

As-tu un dernier mot pour nos lecteurs ?

J'ai hâte de venir en France pour "eat le boeuf bourguignon and drink le vin rouge" [sic] et surtout de vous revoir sur scène. [la prononciation de "boeuf bourguignon" de Tom est magique...imaginez plutôt "Bouffe bourguignonne" NDLR]

On te garde donc une bouteille de rouge de côté pour ce moment alors !

Prends en cinq, on aura du temps à rattraper ! [rires]

Interview réalisée le 5 février par skype
Photographie promotionnelle : DR / Evergrey
Escape of the Phoenix disponible le 26 février chez AFM records

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