Manudigital & Bazbaz – #LoveBordel

Le 11 février sortait l'opus annuel (album ou EP) de Manudigital chez X-Ray Production. Habitué des collaborations en tout genre, cette fois-ci c'est avec Camille Bazbaz que l'auteur de Bass Attack (la grosse chronique ici) s'est associé. Cette production réunissant leurs deux univers porte le doux nom de #LoveBordel.

La genèse de cette nouvelle aventure musicale remonte à 2020. En effet, #LoveBordel fait partie de ces nombreux projets nés pendant le confinement (voir à ce propos le crew Bold avec High Ku de Chinese Man et Supa-Jay de Scratch Bandits Crew) et empreints d'originalité. Les artistes n'ayant rien d'autre à faire que de rester à la maison faute de concerts, il aura bien fallu trouver des palliatifs. Une rencontre sur les réseaux sociaux et hop, la magie a opéré.

Manudigital et Bazbaz ont donc travaillé à distance et l'on n'ose même pas imaginer le nombre d'heures passées sur WhatsApp ou sur Zoom de la part des deux protagonistes pour mener à bien l'élaboration de ce #LoveBordel. Et malgré l'absence de rencontre en live & direct pour peaufiner tout cela, le résultat n'en est pas moins réjouissant.

Réjouissant pour la vibe en elle-même propagée par ce #LoveBordel, mais aussi et surtout car il s'agit d'un EP qui sort de l'ordinaire et des poncifs reggae/dub que l'on a l'habitude d'entendre. Ainsi, pour la faire courte, ce #LoveBordel, c'est tout simplement le reggae/dub qui rencontre la chanson française.

Dub, chanson française et electro

 

Le duo s'est donc engouffré dans la brèche percée par un certain Chaton qui, avec son rafraîchissant Possible en 2018, nous chantait ses "Poésies" sur des prods planantes à la sauce dub vapor façon Atili tout en se référant à Baudelaire ou Horace Andy. Du Gainsbourg dans le texte quand L'Homme à tête de chou posait ses paroles sur des instrus de Sly & Robbie il y a quarante ans et qu'il faisait déjà du reggae à sa propre manière.

Ainsi, au tournant des années 2020, reggae/dub et chanson française font donc toujours bon ménage, mais les temps ont changé et le roots et le rockers ont cédé la place à des tons beaucoup plus electro. Qu'il s'agisse de Chaton, de Bisou avec Suzanne Léo dans "On sera beau" (voir ici) ou de la reprise du "Temps de l'amour" de Françoise Hardy par Mahom, l'heure est à des riddims truffés de nappes digitales et aériennes.

 

Une rencontre logique

 

Mais à vrai dire, ce n'est pas véritablement la première fois que Manudigital s'essaye à ce rapprochement entre le reggae planant et la chanson française. En effet, il nous en avait déjà offert un aperçu avec le troisième album de Biga*Ranx, Nightbird, qu'il avait en grande partie composé avec le Tourangeau himself et dans lequel ce dernier gazouillait quelques mots dans la langue de Molière.

Par conséquent, ce dub meeting entre Manudigital et Camille Bazbaz n'est absolument pas une surprise quand on observe leurs pedigrees respectifs. Et si Manudigital se plonge sans cesse dans ses classiques pour mieux affronter le présent et l'avenir, le mantra est à peu près similaire chez le chanteur.

On se souvient tous de ses expériences avec Winston McAnuff où le reggae s'acoquinait avec la soul et le funk. Mais on avait surtout pris une belle claque quand il avait fait péter le dancefloor avec Mysti K Dub et leur "Return of Jacky Manzarek". Le track avait eu l'audace de réunir symboliquement les claviers de Jackie Mittoo et de Ray Manzarek des Doors sur un beat dub techno autant hérité des Disciples que de Rhythm & Sound, et le résultat en avait été plus qu'époustouflant !

Un beau bordel musical

 

#LoveBordel. Les deux acteurs de cet EP aiment donc le bordel a priori. Et il est vrai que cet opus est un beau bordel, mais un bordel musical cela va sans dire. Ainsi, comme évoqué plus haut, le mélange des genres fait figure de ligne directrice ici. C'est un fourre-tout, certes, mais ordonné ; une sorte de force tranquille, pour ceux qui aiment les paradoxes...

On y retrouve ainsi la puissance des riddims de Manudigital coordonnée avec la voix suave et eraillée de Camille Bazbaz, héritée de celle de Gregory Isaacs. Le chanteur reprend notamment les célèbres gimmicks du Jamaïcain dans "Dernière danse" et tout porte donc à croire que le Cool Ruler et son lovers rock demeurent une influence majeure pour le Français.

C'est en effet une évidence d'affirmer que Camille Bazbaz parle beaucoup d'amour dans ses chansons. Amour fou ou désabusé, rupture, toutes les sensations y passent. Car si l'intéressé opère une "Dernière danse" dans le morceau du même nom, l'amour semble être la seule chose en laquelle l'artiste ait encore confiance dans "C'est pas la joie" sur une instru rub-a-dub et electro, ponctuée de percus nyabinghi et d'effets dub, de Manudigital.

Camille Bazbaz embrasse donc l'amour sous toutes ses formes et pas uniquement les "Lèvres" de sa moitié, acte exutoire lui permettant d'échapper à la vanité de la condition humaine, alors que le beatmaker offre un one drop digital tout aussi délicat que sensuel. C'est ainsi une belle alchimie qui existe entre les sensibilités des deux protagonistes de ce #LoveBordel.

Une atmosphère rétrofuturiste

 

En effet, on ne peut être que transporté par les sifflements façon Ennio Morricone et le beat rub-a-dub sur "En laisse", alors que le titre fait pourtant part d'illusions amoureuses perdues. Constat similaire sur le très pessimiste "Humanoïdes", dans lequel le riddim stepper et synthwave de Manudigital absorbe totalement les vers presque cyberpunk du chanteur. Une atmosphère rétrofuturiste : on vous parlait de paradoxes...

On kiffe d'ailleurs aussi le melodica sur "Humanoïdes", instrument que l'on retrouve tel un leitmotiv dans "C'est quoi ton problème ?" entre dub et lo-fi. Là encore, on pourrait parler de rétrofuturisme, notamment dans la dernière partie du track. Melodica, percus nyabinghi et chopped & screwed viennent en effet se mêler de manière complètement limpide ici.

Un bordel, certes, mais intelligible. Et ce n'est pas le funky new wave G-funk synthwave (appelez cela comme vous voulez) de "Babyblue" qui nous prouvera le contraire. "Babyblue", c'est un peu comme si Roger Troutman avait matché avec Stand High Patrol.

Décidément, nous aussi on aime bien le bordel !

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