Entretien avec Bold

Bold, c'est le nom du tout nouveau groupe fondé par High Ku de Chinese Man et Supa-Jay de Scratch Bandits Crew. Après plusieurs bribes lancées par-ci par-là via quelques singles, le duo a sorti son premier album éponyme il y a une quinzaine de jours (voir ici). Désireuse d'en apprendre un peu plus sur les tenants et les aboutissants de ce projet tout frais, La Grosse Radio est donc allée poser une série de questions aux deux artistes.

 

 

Bonjour High Ku et Supa-Jay, merci d'avoir accepté de répondre à nos questions. Pouvez-vous, pour commencer, nous expliquer comment est né ce nouveau projet ?

High Ku : Avec Supa-Jay, on se connaît via nos deux groupes respectifs, Scratch Bandits Crew et Chinese Man, depuis une petite quinzaine d'années, je dirais.

Supa-Jay : 2009, je crois !

High Ku : Voilà. On s'est croisé initialement sur quelques concerts et le courant est immédiatement bien passé entre les différents membres des groupes. Un peu plus tard, Scratch Bandits Crew a rejoint le label Chinese Man Records, ce qui nous a donné l'occasion de faire encore plus de dates ensemble et même des featurings. Ce qui nous amène à il y a deux ans où on a sorti le cinquième opus des Groove Sessions (la grosse chronique ici), qui sont une sorte de compilations où on dresse un panorama du label à un instant T.

Pour cet album, on a décidé de pousser le concept un peu plus loin en réunissant Baja Frequencia, Scratch Bandits Crew et Sly et moi de Chinese Man. Du coup, Supa-Jay et moi-même (et Sly dans une certaine mesure), on a énormément travaillé tous les deux pour la supervision du projet, que ce soit pour la composition de l'album ou la création du live.

Par conséquent, on s'est très vite rendu compte qu'on kiffait bosser ensemble et qu'on avait une super bonne entente à plein de niveaux. On s'est alors dit que ce serait bien de commencer à faire des morceaux nous deux. Et vu que la tournée des Groove Sessions a été annulée trois jours avant le début à cause de la pandémie, on a profité du confinement pour échanger des prods. J'ai envoyé des maquettes avec des samples à Supa-Jay et lui m'a renvoyé des compos. Voilà comment est née l'histoire !

 

 

"on travaille de la même façon qu'avec nos groupes respectifs, mais là, en quelque sorte, nos deux techniques se complètent de manière inédite. C'est cela qui fait la richesse et la fraîcheur du groupe"

 

 

Très bien ! Nouveau projet, donc nouvelle manière de travailler pour vous deux, contrairement à ce que vous pouvez faire avec Chinese Man et Scratch Bandits Crew ?

Supa-Jay : Il y a un peu de tout cela à la fois. Vu que c'est notre nouveau projet à tous les deux, on travaille de la même façon qu'avec nos groupes respectifs, mais là, en quelque sorte, nos deux techniques se complètent de manière inédite. C'est cela qui fait la richesse et la fraîcheur du groupe. Même si on a des bases communes, une culture commune et des goûts communs, on n'a pas forcément la même manière d'arriver à nos fins. Bold mélange donc deux esthétiques qui sont à la fois proches, mais qui ont aussi leurs propres caractéristiques.

High Ku : En ce qui me concerne, je vois une différence entre le rôle que je peux avoir dans Bold et dans celui de Chinese Man. Avec Bold, je dirais que chacun a une fonction bien déterminée : c'est moi qui ai proposé les samples de base avec une esthétique en tête, alors que Supa-Jay s'occupait de parties techniques pour les arrangements ou la composition avec des savoir-faire que je ne maîtrise pas spécialement. Au contraire, dans Chinese Man, ces aspects s'entremêlent beaucoup plus. Par exemple, je n'ai pratiquement jamais été sur l'ordinateur dans Bold, alors qu'avec Chinese Man, je le suis beaucoup plus.

Et donc, même si on a enchaîné directement après les Groove Sessions, notre manière de travailler a vraiment été différente. Pour les Groove Sessions, il s'agissait de résumer le travail de six compositeurs sans intention de départ. On a ainsi pris les influences et les samples de chacun et on a fait un gros mix de tout cela. Pour Bold, même si la vision de départ n'était pas forcément bien tranchée, on avait des idées précises en tête : on voulait partir dans telle direction, avec telle esthétique et tel but final, etc... C'était donc assez différent, à la fois dans la composition et dans la manière dont on abordé les deux albums.

 

 

"Ghost Killer" est une sorte d'ovni dans l'album. On s'est tâté longuement avant d'inviter des rappeurs dessus, mais on avait envie de conserver un côté instrumental sur l'album"

 

 

Donc tout est très cloisonné dans Bold ?

Supa-Jay : Oui et nan. Les samples de base, sur lesquels on a construit les morceaux, c'est High Ku qui les as trouvés, puisque c'est vraiment son domaine. Donc finalement, le fait que ce soit la même personne qui a fait ce travail, ça donne un ensemble cohérent pour la suite. Et pour rebondir sur ce qu'il disait précédemment, à savoir que j'ai fait les premiers arrangements et ébauches de composition, là aussi ça donne un liant.

Par contre, pour la suite du boulot, les choses s'entremêlent, puisqu'on discute des morceaux ou de la manière dont on va intégrer les featurings à l'album. Donc finalement, les rôles étaient assez distincts au départ, notamment à cause de l'éloignement dû au confinement, mais après les choses se quand même faites en équipe.

Alors justement, on retrouve deux feat. instrumentaux, General Elektriks et Celia Picciocchi, sur votre album. Avez-vous pensé à eux dès le départ ou l'idée de les inviter est venue au cours de la réalisation de l'album ?

High Ku : En ce qui concerne Celia, que l'on retrouve sur plusieurs arrangements de cordes dans les morceaux, l'idée est apparue assez rapidement, puisque j'avais déjà travaillé avec elle sur Chinese Man. Par conséquent, je savais vraiment ce qu'elle pouvait nous apporter et quand on a eu les premières maquettes, on a commencé à se dire : "Ah oui, éventuellement on pourrait avoir des cordes sur tel et tel morceaux !". Du coup, pour certains, ça s'est confirmé par la suite, et pour d'autres, non. Mais c'est vrai qu'on s'est assez vite rendu compte qu'elle pourrait amener une certaine cohérence à l'album avec ses arrangements.

Pour General Elektriks, c'était plus lié spécifiquement au morceau "Ghost Killer", qui est une sorte d'ovni dans l'album. On s'est tâté longuement avant d'inviter des rappeurs dessus, mais on avait envie de conserver un côté instrumental sur l'album. Mais on a galéré pendant un moment à en faire un instrumental, sachant qu'on n'est pas solistes ou claviéristes ; ce sont des choses qu'on a appris à faire, mais ce n'est pas notre métier de base. Et là encore, vu que j'avais déjà bossé avec General Elektriks, très rapidement on s'est dit que ça pourrait être le genre de personne qui nous débloque complètement le morceau. Il a enregistré ses clavinettes et ses synthés vintage et du coup, c'est devenu un véritable track avec une histoire et un développement.

Supa-Jay : Il y a une sorte de double travail, puisqu'on va redigérer les parties proposées par les autres musiciens et les intégrer comme samples supplémentaires qui vont venir se fondre dans les morceaux ; ce sont différentes couches de travail successives.

Il y a eu aussi Lucas Garnier qui est venu rajouter quelques claviers sur l'album. Ce sont tous des gens avec qui on bosse d'habitude et qui sont des inspirations pour travailler différemment. On pourrait faire vivre les morceaux en mettant des scratches, des chanteurs ou de la programmation, mais on avait justement envie de conserver ce côté musique instrumentale vivante.

 

 

"c'est de la musique électronique avec des instruments, mais il ne faut pas que ça sonne comme cela à la fin"

 

 

L'album est donc un mix entre musique électronique et musique instrumentale ?

Supa-Jay : C'est plus une synthèse de tous nos outils en fait.

High Ku : Après c'est vrai que c'est de la musique électronique avec des instruments, mais il ne faut pas que ça sonne comme cela à la fin (rires). Il faut que ce soit un ensemble cohérent et pas qu'on se dise à un moment : "Ah tiens, ils ont mis un solo de violon !". Il y a des groupes qui ont vraiment une partie électronique définie et dedans ils ont un trompettiste, un guitariste, etc. En ce qui nous concerne, il ne faut pas que les gens sachent si le violon est un sample ou joué par un musicien, afin de rester sur quelque chose d'homogène.

A propos de Biga*Ranx, il a également joué de son clavier (pour rajouter le skank, par exemple) ou il est juste venu chanter ?

Supa-Jay : Alors son clavier, c'est l'OP-1. Mais nan, c'était juste un featuring vocal pour sa part. High Ku a une anecdote d'ailleurs à ce sujet (rires).

High Ku : Oui en effet. Biga*Ranx est une personne adorable qui a toujours mille idées différentes en même temps. On a rigolé, car quand il nous a renvoyé la maquette du morceau, ce n'était plus du tout notre instrumentale (rires). Du coup, pendant un moment on n'a pas trop su ce qu'il se passait, mais je l'ai eu au téléphone et il m'a expliqué qu'il était "un gros skankman" et qu'il avait demandé à Lil Slow de retravailler l'instru afin qu'il réussisse à se poser dessus. Mais on a fini par reprendre la voix qui allait parfaitement sur notre instru. Voilà, c'est pour la petite anecdote (rires).

Mais au final, c'est cool, car Biga*Ranx était super content du projet. Je tiens vraiment à le remercier car il a tout fait pour pousser le morceau de son côté et le sortir sur ses réseaux. D'autant plus qu'il a lui-même réalisé le clip avec d'autres personnes. Là encore, tout s'est fait à distance, mais c'était vraiment super cool ! C'était drôle, mais c'était cool ! (rires)

 

 

 

 

"malgré tous les problèmes rencontrés, notamment la distance, on a fait en sorte de finaliser les choses conformément à l'objectif qu'on s'était fixé au départ"

 

 

CW Jones a aussi son originalité, vu qu'il peut autant rapper que chanter. C'est quelqu'un à qui vous avez pensé immédiatement afin de coller à votre univers ?

High Ku : Complètement ! On avait justement travaillé avec lui pour les Groove Sessions 5 et il m'avait bien fait halluciner. On lui avait envoyé une maquette et il avait répondu avec une proposition une demi-journée plus tard. C'est quelqu'un de très spontané avec un vrai talent de voix et d'écriture. Donc oui, on a directement pensé à lui pour le morceau grâce au sample qu'on avait. Je pense que c'est quelqu'un avec qui on va être amené à collaborer par la suite, puisqu'il est vraiment cool.

Et concernant Youthstar et Miscellaneous, ils ont également sorti un album commun récemment. La prod sur laquelle vous les avez invités était-elle destinée à cet album pour finalement aboutir sur le vôtre ?

Supa-Jay : Non, c'était vraiment une prod pour notre album, prod qu'ils ont d'ailleurs honorée de la meilleure des manières. En fait, sur cet album, on a fait 10 prods qui sont devenues 10 morceaux, c'est-à-dire qu'on n'a pas fait 50 prods et qu'on a données à 50 artistes différents. De base, on s'est dit tel morceau sera pour telle personne.

Et malgré tous les problèmes rencontrés, notamment la distance, on a fait en sorte de finaliser les choses conformément à l'objectif qu'on s'était fixé au départ. Et si tous les morceaux ont des histoires et des cheminements complètement différents, on a réussi à les rendre tels qu'on les voulait initialement. Bien évidemment, il y a toujours des surprises, mais on s'est donné les moyens de parvenir à nos fins.

Au final, vous n'avez rien jeté alors ?

Supa-Jay : Tout à fait !

High Ku : A la base, il y a un tout petit peu plus de maquettes ou quelques samples qui ont évoqués. Mais ils ont été très vite écartés pour se concentrer sur les prods qu'on avait envisagées dès le départ parce qu'elles avaient une cohérence et une esthétique qui nous plaisaient. Mais oui, comme le dit Supa-Jay, on a su dès le départ dans quelle direction on voulait aller et quels chanteurs inviter. On a fini l'album, mais on n'a plus rien en stock (rires).

Supa-Jay : On a tout donné ! (rires)

 

 

"à la base, on a uniquement pensé l'album pour être écouté et pour se suffire à lui-même, d'autant plus que ce sont des musiques qu'on a faites pendant le confinement. Elles ont donc des ambiances de home studio"

 

 

Avez-vous comme projet de défendre l'album sur scène ou est-il juste destiné à sortir sur disque ou à écouter sur son PC ?

Supa-Jay : En fait, à la base, on l'a uniquement pensé pour être écouté et pour se suffire à lui-même, d'autant plus que ce sont des musiques qu'on a faites pendant le confinement. Elles ont donc des ambiances de home studio, contrairement aux Groove Sessions qui ont une énergie un peu plus forte qui vise la scène.

Après, il faut dire aussi que le live est une extension naturelle de tout ce qu'on fait, donc tout ce qu'on peut composer en studio, on a envie de le partager sur une scène en le réarrangeant. Mais dans le cas de Bold, on a profité de la parenthèse du report de tournée des Groove Sessions pour faire cet album. Du coup, vu que la tournée est censée commencer dès le mois de mars, on ne va pas jouer Bold tout de suite sur scène. Mais à terme, ça pourrait être envisageable.

Alors, vu que l'album est lié, d'une certaine manière, au confinement, serez-vous dans le même état d'esprit pour un éventuel prochain album ?

High Ku : Je ne sais pas trop. Après, il ne faut jamais rien s'interdire et même avec cette esthétique-là, tu peux avoir des morceaux qui seraient plus énergiques. Mais c'est vrai que le côté onirique ou cotonneux de l'album, c'est comme ça que j'ai envie de continuer à le développer. Et ça m'offre un bon complément de ce que je peux faire avec Chinese Man où c'est beaucoup plus porté sur la "patate" ou la puissance. On a donc encore plein de choses à dire sur disque avec Bold, mais aussi en live, mais ce ne sera pas sur des ambiances qu'on a avec Scratch Bandits Crew ou Chinese Man. Ce serait plutôt sur des premières parties ou des concerts tranquilles, mais c'est vrai qu'il y a une esthétique qui pourrait être jolie à développer sur scène justement.

 

 

"pour le clip de "Ginette", tu as une musique onirique et sans paroles, mais par-dessus un univers immersif et poétique qui vient proposer une illustration" 

 

 

Avec de la vidéo, pourquoi pas aussi, sachant que les clips ont leur originalité ?

High Ku : C'est vrai qu'on a une esthétique visuelle qui commence à bien prendre forme aussi, à travers les clips ou les logos. Mais envisager de la vidéo sur scène, ce n'est pas pour maintenant, vu qu'on repart pratiquement de zéro pour ce projet. On va déjà penser à la musique avant la vidéo (rires), mais pourquoi pas par la suite. Avec notre univers lo-fi, on pourrait rentrer dans un système peu onéreux et facile à déplacer, mais avec la vidéo on rentre immédiatement dans une production qui n'a plus rien à voir.

Supa-Jay : En tout cas, culturellement, c'est quelque chose qu'on a toujours défendu dans nos projets respectifs d'avoir une illustration de la musique instrumentale qu'on développe. En l'occurrence, le clip de "Ginette", c'est exactement ça. Tu as une musique onirique et sans paroles, mais par-dessus un univers immersif et poétique qui vient proposer une illustration. Et hormis tous les problèmes financiers qui se posent, on souhaite quand même avoir une cohérence visuelle et sonore dans ce qu'on peut faire.

 

 

 

 

Avez-vous quelque chose à rajouter ?

High Ku : Un grand merci à Fred et Annabelle qui ont réalisé le clip de "Ginette". Ils ont réussi à acheter une vraie maison de poupée à l'ancienne et ils ont mis 6 mois à produire le clip, c'est donc un beau cadeau qu'ils nous ont fait. Merci aussi à toutes les équipes du label qui se bougent pour faire parler de l'album.

Ils réalisent également la plupart de vos clips avec Chinese Man ?

High Ku : Tout à fait ! On se connaît même d'avant le label, ce sont des amis de 20 ans !

Le mot de la fin ?

High Ku : Avant de nous voir avec Bold, on sera sur scène avec Chinese Man, Baja Frequencia et Scratch Bandits Crew à partir du mois de mars. On est six sur scène avec un travail vidéo de fou et aussi Youthstar et Miscellaneous. Ça fait deux ans qu'on attend de faire la première de ce show, donc on croise les doigts et on espère que ça va passer !

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