Entretien avec Marcel Salem

Son dernier album intitulé Les Charognards, dont nous avons été partenaire lors de sa sortie, fait partie de ces petites perles qui font qu'on aime cette musique, qui nous fait tantôt vibrer, tantôt nous pousse à la réflexion. Vous pouvez d'ailleurs en retrouver la chronique faite juste.

Marcel Salem chante si bien son Afrique natale. Dans cet entretien qu'il nous a accordé par mail avec la complicité de i Welcom, il évoque bien entendu son dernier opus, mais revient aussi pour nous sur sur son enfance, ses espoirs et ses luttes. De quoi en connaître un peu plus long sur cet artiste généreux.

Bonjour Marcel Salem. Merci pour cet entretien au nom de La Grosse Radio. Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore?

Bonjour et merci pour cet interview. Je suis donc Africain sénégalais, fils de paysan et fier de l'être. Je suis auteur-compositeur-interprète, un très beau cadeau que m'a fait Dieu. Je suis un ancien boxeur et je suis parti en aventure pendant 12 ans, j'ai fait toute l'Afrique noire et l'Afrique centrale. Je suis revenu de ce long périple loin des miens avec 800frs CFA en poche. C'est extrêmement compliqué de revenir dans son pays, dans son village les poches vides. L'aventure c'est difficile, très difficile, mais il faut rester droit même si le ventre est creux. Il faut garder sa dignité aussi, pas facile mais faisable. La preuve.

Marcel Salem

Ton album Les Charognards est sorti en Décembre dernier, dont nous sommes fiers d'avoir été partenaire. Ce dernier est résolument plus roots reggae que les précédents. Comment as tu préparé ce projet?

Je profite tout d'abord de cet interview pour vous remercier d'avoir été partenaire. J'ai mis du temps à le concrétiser. Non pas pour les textes, non pas pour la musique, j'ai eu largement le temps au cours de mon aventure de remplir des cahiers entiers, mais pour le réaliser matériellement. N'oublions pas que je suis auto-producteur et que bien sur, c'est tout de même plus compliqué. J'écris mes textes et mets au fur et à mesure ma musique dessus. Tout le monde me dit que mon album est plus roots que les autres. A vrai dire, je ne vois pas la différence entre la world music et le roots, car pour moi, tout ce qui vient de l'Afrique est roots. Le mot world pour moi n'existe pas, c'est un mot qui a été crée par l'occident.

En parlant de ton son justement, que peux-tu nous dire sur les musiciens qui t'entourent? Comment s'est passée la composition musicale? Est-ce toi qui l'a faite aussi, ou bien as tu laissé libre cours à leurs inspirations?

Comme je vous le disais, je suis auteur-compositeur, donc je suis à la base de ma musique. J'ai travaillé avec Charles Avot, Vales Assouan et Eric Delloye, qui sont respectivement claviériste, bassiste et batteur, et avec qui je travaille régulièrement. Alex Armel (guitare), David Desert (percussion), Nana (choriste), Philippe Slominski (trompette), Thierry Farrugia (sax tenor), et Julien Daian (sax soprano), sont venus travailler sur l'album en studio à l'auditorium de Saint Ouen. Les arrangements sont de Charles Avot et Vales Assouan, et masterisé à Translab par Benjamin Weber.

La majorité des titres sont en sérère, ta langue natale. Que représente pour toi aujourd'hui cette Afrique que tu chantes?

C'est mon patrimoine, je dois vraiment exploiter cette langue que je ne veux absolument pas voir disparaître. Les musiciens ont tendance dans le reggae à chanter en français ou en anglais, et comme vous pouvez le constater dans les villages, la majorité de la population ne comprend aucune des deux langues. Je chante en wolof, en mandingue et en français. Chanter en Sérère est une façon pour moi de planter cet arbre qui restera pendant des siècles et des siècles. J'ai été élevé avec de merveilleux chants sérères que les femmes chantaient entre elles. Le soir, nous pouvions nous endormir au son de leurs voix et de leurs mélopées. C'était magnifique mais cette Afrique là a malheureusement disparu, la plupart des jeunes s'étourdissent avec du bruit plus qu'avec du bon son.

Avec "Mayama Sama Baat" et "Woula", tu traites l'infidélité, et évoques certaines pratiques en vogue chez nous. Quelle serait, pour toi, la définition de l'amour? Que représente ce terme à tes yeux?

Lorsque l'on voit des maris qui font le maximum pour faire venir leur femme et leurs enfants dans le but de réunir la famille et de continuer ensemble à lutter, et que ces mêmes femmes en arrivant en France et en ayant de mauvaises fréquentations se rendent compte quand étant mère isolée au foyer avec un ou plusieurs enfants, elles pourront toucher l'allocation correspondante, n'hésitent pas à demander le divorce.Ces femmes font souffrir d'une façon terrible leur mari qui en arrive parfois à se suicider. On ne parle pas assez de ces cas qui n'intéressent personne. Je suis particulièrement sensible à çà, j'ai fait l'aventure, et je sais ce que c'est de partir seul et de tout faire pour y arriver, et espérer réunir les siens.

L'amour pour moi est la base de la vie et du couple. La fidélité n'a pas de prix. Vivre ensemble demande beaucoup de respect et d'abnégation de soi. Il est important d'être bien soi-même pour aimer l'autre. La vie à deux c'est comme la musique, il faut comprendre l'harmonie pour bien la réaliser.

On a le droit à deux titres en français avec "Maman çà suffit" et le titre éponyme de l'album, sur deux thèmes forts que sont l'immigration clandestine et les abus du système politique en place. Est-ce une façon de dire que tu aimes notre pays?

J'adore votre pays, comment ne pas aimer un pays démocrate comme le vôtre? Tout semble en ordre et pourtant j'entends les gens râlér continuellement. Qu'ils aillent donc faire un tour dans quelques pays africains, je suis certains qu'ils reviendront calmés. Vos campagnes sont superbes, vos champs ressemblent à de véritables tableaux. J'aime voyager en train, la Bretagne et la Normandie sont des régions magnifiques. Petit à petit, je connaîtrais d'autres régions, peut-être en allant y jouer. Qui n'aime pas Paris? Souvent je dis que le blanc est malin pour exprimer mon étonnement positif.

Marcel Salem

Tu évoques la terre que tu as toi-même cultivée étant jeune dans "Pasoob Fa". Tu reviendrais pour nous sur cette période de ton enfance?

Enfant, j'étais le muet du village (liga thiaw en sérère), et ma mère disait toujours, peut-être pour conjurer le sort: "si un jour Marcel parle, il parlera plus que les autres". Un jour, j'ai parlé avec les mots de tout le monde et j'ai dit à mon grand frère: " Emile, la cloche sonne, il est midi, il faut nourrir les enfants". J'avais 7 ans. Je ne suis donc jamais allé à l'école, mon père disait que ce n'était plus la peine étant donné que je n'avais pas la langue propre (expression sérère), et je l'ai suivi aux champs. Nous chantions des chants sérères sur le chemin, 8km aller et autant pour revenir nous en donnaient largement le temps. J'accompagnais également mon père à l'église et je l'écoutais chanter en latin. J'ai encore sa voix dans mes oreilles. C'était mon père mais c'était mon meilleur ami. J'ai vraiment été le plus heureux des enfants.

Tu abordes le sujet de la guerre en Irak, visant clairement les USA pour les dommages causés. Penses-tu que l'on puisse changer les chose et stopper là, ou bien es-tu plus sceptique sur le sujet?

Avant que l'Irak de Sadam Hussein soit attaquée, les chrétiens vivaient en paix avec leurs voisins. Bush a complètement détruit cette harmonie qui était certainement fragile mais qui fonctionnait. Actuellement, je pense qu'il faudra des décennies pour réinstaller cette paix, mais je suis très sceptique. Espérons, nous ne pouvons qu'espérer.

Tu parles aussi d'un fléau qu'est la famine avec "Yaabi Ndout". Comment toi, fils de la terre, vois-tu çà au XXIème siècle? Que faudrat-il changer ou revoir selon toi?

Si nous avions l'eau, uniquement l'eau dans nos champs, la famine n'existerait pas. La plupart des champs au Sénégal n'a pas accès à l'eau et l'hivernage (la saison des pluies entre Juillet et Septembre), se passe mal. Depuis les années 75, la sécheresse a tout détruit, il n'y a plus de savane. Il faut savoir que les paysans vendent à très bas prix leur lopin de terre afin de récupérer un peu d'argent, et les producteurs aux aguets sont sans pitié. C'est le seul héritage des sérères, comme je l'évoque dans "Pasoob Fa".

Fin poignante pour cet album avec "Guerem", témoignage d'une mère à son fils mort au combat pour la France?

La chanson parle d'une mère qui remercie son fils d'aider sa famille. Son père va enfin pouvoir se reposer après une vie de dur labeur. Au Sénégal, les enfants sont censés aider leurs parents toute leur vie.
Par contre, dans mon premier album Carroy 44, je relatais justement l'histoire des tirailleurs sénégalais morts pour la France. Ce pays qui finalement n'a eu aucune reconnaissance ou si tard pour ces jeunes soldats enrôlés de force dans les villages sénégalais.

Quels sont tes projets pour cette année? Concerts? Tournée?

Je serai en concert le 4 Février au Zèbre de Belleville, et je pars au Sénégal fin Février pour la promotion de l'album. Là-bas, je ferai trois dates à Dakar, Mbour, et mon village de Mont-Rolland qui se trouve à côté de Thiès.

Merci encore Marcel pour cette entrevue qui nous permet de mieux te connaître à travers cet album. Pour finir, un dernier mot pour les auditeurs et lecteurs de La Grosse Radio Reggae?

Je voulais vous remercier et vous souhaiter, à vous La Grosse Radio, à vos auditeurs et lecteurs, une très belle année 2017, et surtout, surtout la paix dans le monde.

Marcel Salem

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