Rencontre avec Delphine

Alors que son album Blue Soul (la grosse chronique ici) est sur le point de sortir en physique le 31 mars (il est en effet disponible en digital depuis le 10 mars), nous sommes partis à la rencontre de Delphine.

Cette interview a été l'occasion d'aborder avec la chanteuse la diversité musicale qui règne au sein de Blue Soul et les très larges influences qui le composent. Delphine ne se limite pas qu'au reggae et cet éclectisme ne pouvait que nous toucher à La Grosse Radio.
Nous sommes également revenus sur son passage chez Tuff Gong et son travail avec les Jamaïcains.

L'entretien s'est déroulé à Villejuif le 6 mars dernier.

Bonjour Delphine, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Peux-tu te présenter ?

Bonjour, mon nom est Delphine. Je présente actuellement mon premier album qui s'appelle Blue Soul composé de 10 titres. Il est très coloré, en tout cas c'est ce qui en ressort dans la presse et des premières écoutes. C'est ce que je souhaitais avant tout, puisque je ne voulais pas rentrer dans une case bien déterminée, ni reggae, ni pop, ni soul ; c'est ce qui pose peut-être un problème, à savoir dans quel bac placer cet album, sachant qu'on aime bien catégoriser les gens. Certains vont me dire que c'est de la variété, d'autres du roots, bref, appelez ça comme vous voulez ! C'est mon style, ma musique et chacun l'interprète à sa manière. De toute façon, dès le départ, je voulais imposer cette esthétique éclectique, je ne suis pas une artiste reggae à 100%, peut-être que ça viendra par la suite, lorsque les gens me connaîtront mieux. Et finalement, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que tout le monde écoute des choses différentes ; en l'occurence, c'est mon cas : un jour ce sera du reggae et le lendemain, je passerai à Alicia Keys ou Emeli Sandé, par exemple. Je trouve dommage de se borner à un seul style. Et quand on apprend un peu plus à savoir qui je suis, du fait que j'ai beaucoup voyagé, cette orientation apparaît logique. On est influencé par un tas de choses dans la vie.

Quels sont ces voyages que tu as effectués justement ?

J'ai parcouru à peu près tous les continents (Afrique, Asie, Amérique), mais il me manque encore quelques régions du globe à explorer (rires). Qu'il s'agisse de Madagascar ou du Cambodge, j'y suis allé simplement munie de mon sac à dos et de mon passeport, sans avoir réservé d'hôtel ou de taxi.

A l'aventure...

En effet. C'est le meilleur moyen pour découvrir un pays et les gens qui y habitent, des cultures et des façons de vivre. C'est ce que j'explique notamment dans "Pon the Road", allez voir comment ça se passe ailleurs et vous comprendrez pourquoi on est peuples du monde. J'ouvre ainsi un grand panel de styles et d'écritures, par contre je prends le risque, et j'en suis consciente, à la première écoute, qu'on me dise : "Elle ne sait pas ce qu'elle veut ! Elle joue de la pop ou du reggae ?". Du coup, le fait qu'on me donne la parole, comme tu le fais aujourd'hui, ça me permet d'expliquer cette volonté d'ouverture. Il faut mélanger toutes ces cultures, c'est, j'espère, ce qui va ressortir de cet album et ce que les gens vont retenir.

Le titre de l'album Blue Soul fait-il référence à la blue note du jazz ?

Non, pas du tout. Mais je ne peux pas dire non plus que ce n'est pas le cas, puisque, comme le reste de l'album, chacun peut s'en faire sa propre idée. "Soul", tout d'abord, parce que la musique vient du cœur et de l'esprit, mais aussi parce que j'adore la soul et les voix soul, surtout quand elles sont posées sur du reggae (Beres Hammond en est un très bon exemple). De toute façon, le reggae descend du blues, du gospel et de la soul ; tous ces styles peuvent donc se mixer. Ça permettra peut-être à l'auditeur d'apprendre ou de réapprendre d'où vient le reggae et quelles sont ses influences.
Et "Blue", car le bleu est une couleur que j'affectionne ; je ne vois pas la vie en rose, mais plutôt en bleu, le bleu de l'océan, le bleu du ciel ; ça paraît peut-être bête et enfantin, mais c'est naturel, il n'y a rien de plus réjouissant de voir un beau ciel bleu quand on ouvre la fenêtre.
Le blues, la soul, le gospel étaient initialement chantés par des Afro-Américains et lorsque ces genres ont été interprétés par des Blancs, on a parlé de blue-eyed soul. Je n'allais pas appeler mon album Blue-eyed Soul, j'ai donc choisi Blue Soul.

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Blue Soul est distribué par Tuff Gong. Pourquoi avoir démarché cette structure qui reste emblématique dans le monde du reggae, alors que l'album n'est pas un album de reggae à part entière ?

Mes influences principales viennent avant tout du reggae, c'est essentiellement ce que j'écoute. Mon oncle a une collection très étendue de disques de jazz et de reggae, il les écoute avec énormément de passion et cela m'a beaucoup marquée quand je me rendais chez lui quand j'étais petite. Ces vibrations et les rythmes de basse/batterie que j'ai pu ressentir à cette époque sont restées en moi, du coup maintenant quand j'entends un riddim, j'ai tout de suite envie d'écrire et de chanter.

"Music" est le premier single de l'album, basé sur une instru reggae, mais avec des touches jazz et soul. Fallait-il un condensé de toutes ces influences pour justement exprimer ton amour de la musique à travers ce morceau ?

C'est un titre essentiellement roots reggae joué par des musiciens reggae, mais je voulais les orienter également sur une tonalité jazzy ; je me revois même limite en train de m'énerver en studio en leur disant : "Je veux que ça sonne jazz !". Je n'ai eu que des retours positifs sur ce morceau, même de la part de personnes qui n'écoutent pas nécessairement de reggae justement parce qu'il y a cet apport jazz. "Music" a été mixé par un ingé son qui a plus l'habitude de traiter de la pop au studio Metropolis, maison qui a notamment vu passer Michael Jackson, Amy Winehouse, Adele, et quelques albums de Bob Marley me semble-t-il. On a donc pu démontrer que ça marchait de pouvoir mélanger des musiciens reggae, une touche jazz et un ingé son pop. C'est le premier single que j'ai sorti, la réception a été bonne et cela m'a donc conforté dans mon idée de poursuivre l'album dans cette voie.

Les styles sont variés dans l'album, mais aussi le chant. Peux-tu nous en dire un peu plus ?

Je dirais qu'il existe quand même un fil rouge au niveau de ma voix, où l'on retrouve encore l'aspect soul. Même sur les chansons reggae, je ne chante pas comme la plupart des artistes reggae. Après je pense qu'il s'agit du mariage de la musique : quand tu composes un morceau et que tu associes du piano et de la guitare, si tu as un minimum de talent et d'expérience, ils finissent forcément par se marier. Ainsi, quand j'entends une instru funk, j'ai toutes mes influences pop, funk qui reviennent et, spontanément, j'essaye de calquer ma voix sur la musique qui m'est mise à disposition.

Tu as précédemment sorti un EP avec le guitariste Tony Nephtali. Est-ce lui qui a composé l'album Blue Soul ?

Certains morceaux, oui. Sinon, c'est mon bassiste, Patrice Dicuonzo, qui a composé les riddims. D'autre part, sur "The Moon My Home", c'est l'ensemble des musiciens qui ont participé en y mettant chacun leurs influences propres. Les titres plus funk sont l'œuvre de Giuliano Veludo, qui habite dans le sud de la France. D'une manière générale, je travaille toujours avec la même équipe ; tout se fait collectivement, moi-même je veux être là et donner mon avis. En fait, ils me donnent une sorte d'ébauche de riddim et ensuite je leur dis s'il faut rajouter des cuivres, si la basse doit être plus lourde, etc... Au début, cela pouvait paraître difficile, mais maintenant que nous sommes bien rodés, j'ai juste à prononcer un mot et ils savent immédiatement où je veux en venir.

Revenons à Tuff Gong. Comment s'est déroulé l'enregistrement là-bas ? Quelles sont tes impressions ?

Alors que l'album était terminé, Patrice Dicuonzo m'a fait écouter un riddim et j'ai d'emblée accroché dessus. Je tenais donc, non seulement à le mettre sur l'album, mais également à ce qu'il soit enregistré en Jamaïque par des musiciens jamaïcains. Trois ou quatre ans plus tôt, on m'aurait pris pour une rêveuse. Cependant, maintenant on me connaît et on sait que je vais jusqu'au bout des choses. Par conséquent, quinze jours plus tard, on était en Jamaïque et on enregistrait. Le travail a été orchestré par Dean Fraser et c'est là que je me suis rendu compte qu'il respectait énormément ce que je faisais, sachant qu'il m'a mis à disposition certains des meilleurs artistes de l'île, dont Robbie Lynn, Kirk Bennett, Denver Smiths, Glen Browne. C'est exceptionnel ce que j'ai vécu là-bas, je dirais presque majestueux. En effet, je pensais arriver comme une chanteuse lambda qui a fait une demande d'enregistrement d'un riddim, alors que pas du tout ! Le fait de signer chez Tuff Gong, c'est une reconnaissance pour les Jamaïcains. Cedella Marley, qui est à la tête de Tuff Gong, n'est pas réputée pour être quelqu'un qui mâche ses mots et qui ne sait pas ce qu'elle fait. Elle tient un empire, donc si elle, elle valide, les gens vont forcément suivre son avis, puisqu'ils ont un énorme respect pour elle et son père. Du coup, partout où j'allais, j'étais vraiment reçu comme une reine, on me disait : "Tuff Gong, c'est la famille". Je ne m'attendais pas du tout à cela ! L'expérience était vraiment royale !

Tu viens de le rappeler, Cedella Marley dirige Tuff Gong. Son fils, Skip, a lui aussi beaucoup d'influences, notamment via ses deux derniers morceaux, "Lions" mais aussi "Chained to the Rhythm" avec Katy Perry. Penses-tu que cet aspect éclectique qu'on retrouve chez toi a motivé Cedella Marley à te signer ?

En premier lieu, elle n'a écouté que "Music", mais je pense que c'est au-delà d'une écriture et d'une musique, il y a eu un vrai feeling. Il y a eu aussi le fait que j'ai vraiment insisté pour les rencontrer. Je voulais qu'ils sachent que s'ils me signaient, c'est avant tout parce que je respecte Bob Marley, la famille Marley et tout leur travail. Je souhaitais aussi leur montrer que j'étais la même personne à la fois sur scène et dans la vie et que je défends des valeurs qui me tiennent vraiment à cœur.

Les cuivres sont très présents sur ton album, alors que c'est le genre de choses qui avait été beaucoup délaissé ces derniers temps. N'observe-t-on pas aujourd'hui un regain pour les instruments d'une manière générale ?

Effectivement, on voit de plus de plus de musiciens sur scène. Mais il faut signaler qu'il y a eu un gros problème en ce qui concerne les budgets. Dans mon cas, je me déplace avec une équipe assez conséquente, je n'ai pas encore de cuivres avec moi alors que nous sommes déjà neuf. En France, à un moment donné, ça n'a plus été possible de pouvoir se retrouver à jouer à une dizaine de musiciens dans une salle. Du coup, on s'est retrouvé avec des cuivres produits par les synthés, ce qui a pu donner des sons exécrables ; à la rigueur, je préfère ne pas mettre de cuivres (rires) ou alors il faut avoir du très bon matériel qui te permette de reproduire authentiquement une trompette ou un trombone.
Finalement, oui, on revient à de vrais musiciens et la musique électronique va avoir tendance peut-être à reculer. Je fais partie des personnes qui aiment échanger sur scène et l'electro, de même que le sound system, de ce point de vue-là, ne me conviennent pas. J'ai déjà fait du sound system, mais je n'ai pas réussi à vivre les chansons.

A ce propos, que penses-tu de Bruno Mars, qui participe de ce renouveau des musiciens sur scène ?

C'est un très bon exemple. On a pu le voir récemment lors des Grammys notamment. Ainsi, je me dis que j'arrive sur la bonne vague où on s'aperçoit qu'il y a beaucoup d'artistes qui se situent dans cette mouvance. Mais il s'agit d'une démarche authentique pour moi, j'ai toujours voulu mettre en avant des musiciens sur scène, de la même manière que je veux revenir à des textes qui véhiculent des valeurs essentielles que les gens ont perdu.

Quelques réactions concernant Nambo Robinson malheureusement disparu récemment et qui a joué sur ton album ?

Je suis heureuse qu'il ait pu prendre part à mon projet, je pense que c'est l'un des derniers sur lequel on a pu le retrouver. C'est idiot de dire cela quand on l'a croisé sur une seule session, mais c'était un artiste exceptionnel. On ressent beaucoup de choses, de vibrations. Il nous a quittés il y a quelques semaines, mais il est sur mon album, et ça c'est à tout jamais.

Tu as pratiqué le sport de haut niveau. Quels liens peut-on faire entre le sport, qui connote le dépassement de soi, et le reggae qui lui aussi prône la lutte ?

Les deux sont essentiels et vont de paire. Si l'on veut mener un combat et partir en mission, il faut être en forme. Ce n'est pas au fond de son canapé qu'on va changer les choses. Sur les trois dernières années, où j'étais plus concentrée sur la musique et la production, j'ai fait beaucoup moins de sport et ça me manque énormément. Le peu de jours que j'ai passé à Paris où j'ai marché, j'ai l'impression que je me suis sentie revivre.

Tu as rencontré Usain Bolt en Jamaïque...

(rires) En effet, une autre figure emblématique de la Jamaïque. Je vois cette rencontre une fois de plus comme une validation. Je ne fais jamais les choses intentionnellement, plus dans la spontanéité, et finalement, j'ai réussi à travailler avec Metropolis, l'un des meilleurs studios au monde, et avec Cedella Marley ; et Usain Bolt, d'une certaine manière, vient couronner tout ça. On s'est croisé en studio, vu qu'il sortait de sa session et qu'il m'avait mis en retard. Du coup, il a pris une photo avec moi, mais on voit qu'il a un sourire un peu pincé. Il était pressé de partir, mais je lui ai quand même demandé si je pouvais lui dire quelque chose. Il répond par l'affirmative tout étonné et je lui confie : "Tu es là aujourd'hui et pour moi, c'est un signe. Tu es l'homme le plus rapide du monde et j'enregistre le dernier morceau de mon album chez Tuff Gong qui s'appelle "Winning Races" [Courses gagnantes en français, NDLR]". Et là, il me regarde avec un smiley jusqu'aux oreilles et il me checke avec un "Merci, cool !". Il était content que je lui parle de cela. Je ne peux pas l'interpréter autrement que comme un signe.

Tu es originaire de l'Yonne. Que préfères-tu ? L'odeur de la ganja ou le nez d'un Chablis ?

Alors là, tu poses la question à la mauvaise personne (rires). Je ne bois pas d'alcool et je ne fume ni ganja ni cigarettes. De toute façon, ça ne va pas avec le sport et le chant.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

J'espère que les auditeurs prendront le temps d'écouter Blue Soul et qu'ils trouveront ce qui leur manque dans leur vie ou ce qui a déjà existé et qu'ils ont perdu. Je leur souhaite de bonnes vibrations.

BIG UP Delphine !! Merci de nous avoir accordé cette interview. BIG UP également à Tony Nephtali et à Maxime Nordez d'iWelcom

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