Brain Damage meets Harrison Stafford – Liberation Time

Parmi tous les fondateurs de l'emblématique scène dub live française, Brain Damage reste peut-être celui qui aura le plus fait appel à des chanteurs, singjays et autres MCs. La liste de ces collaborations serait trop longue à dresser, mais il est quelque chose de très intéressant à noter : la palette de ces invités est large, elle court du Maroc à la Jamaïque en passant par l'Angleterre. Qu'il s'agisse de poètes, des elders jamaïcains ou de toasters anglais, Brain Damage n'a eu cesse d'élargir le cercle de ses invités.

Deux ans après Walk The Walk et un an après la déclinaison dub Talk The Talk (la grosse chronique ici), le Stéphanois revient le 20 octobre, toujours chez Jarring Effects bien évidemment, avec un nouvel opus au parfum roots. En effet, ainsi qu'il nous le confiait en interview cet été aux Nuits de Fourvière, Brain Damage "rootsifie [s]on propos depuis quelques temps". Par conséquent, afin de continuer sur cette trajectoire, il s'est permis de faire appel à l'un des plus grands représentants du reggae roots contemporain en la personne d'Harrison Stafford pour un Liberation Time qui, à la fois, s'inscrit dans la continuité de leurs escapades jamaïcaines précédentes, mais qui sait également s'en affranchir. Car si les deux artistes qui nous intéressent aujourd'hui ont tout juste auparavant travaillé avec des Jamaïcains (Kiddus I, Horace Andy, etc, pour Brain Damage et Flabba Holt, Leroy "Horsemouth" Wallace, etc, pour Harrison Stafford), ils ont su, ici, insuffler une patte qui leur est propre, bien que les références à Yard, tant musicalement qu'en ce qui concerne les textes, traversent cet album.

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Composés dans le studio de Brain Damage à Saint-Etienne, les riddims ont ensuite voyagé à travers le cyberespace jusqu'en Californie afin que Harrison se les approprie. Les artistes n'ont pas partagé de session en commun (physiquement parlant) pour le processus de création de l'album. Tout s'est fait à distance et l'on pourrait croire, a priori, que le résultat ne fût pas à la hauteur. Il n'en est rien ; malgré l'éloignement, une réelle osmose règne au sein de ce Liberation Time. La preuve en images avec le premier clip, dans lequel les deux hommes ont enfin fini par se rencontrer. Les notes légèrement psyché à la guitare côtoient une batterie très nyabinghi et la voix exaltée de Stafford entre en symbiose avec elles.

Mais pour bien comprendre l'esprit de cet album, il faut nous référer à sa pièce maîtresse, piste centrale de Liberation Time, à savoir "Harrison Hello", profession de foi du chanteur dans la langue de Molière, où, dans une véritable déclaration d'amour à la France, à sa culture, à ses valeurs et à son histoire, Harrison Stafford exprime les liens indéfectibles qui rapprochent "les rastas du monde" et "le grand esprit révolutionnaire" et qui unissent la Jamaïque et l'Hexagone d'un point de vue musical. La France étant en effet l'une des grandes terres d'accueil du reggae music et, par extension, du dub (avec toute sa vague live ou sound system), Harrison Stafford en profite pour souligner son attachement à "la culture française" sur un sublime riddim stepper de Brain Damage aux accents cuivrés. Cuivres que l'on retrouve sur le touchant "Baby", pour une autre déclaration d'amour prononcée par Harrison Stafford.

"Singing Soldiers", "Raw Talking Rebels, "Rebel Music", "Everyone A Christ", les titres sur lesquels se pose l'Américain sont effectivement empreints de son attachement à la philosophie rasta. Brain Damage était d'ailleurs très clair à ce sujet dans notre interview de cet été : il voulait travailler avec H. Stafford sur un album complet et non pas pour un featuring évasif, afin "qu'il raconte une histoire", que ce Liberation Time fasse sens et qu'il garde une cohérence du premier au dernier morceau.

"Reggae is the natural mystic" clame ainsi le chanteur sur "Rebel Music", fortement marqué par Bob Marley ; et bien sûr, outre les hommages rendus à certains morceaux du "Tuff Gong", Stafford s'autorisera également à le citer dans "Singing Soldiers" en compagnie de Peter Tosh, forcément. Et concernant les instrus, on sent une filiation évidente entre Brain Damage et Carlton Barrett, le batteur des Wailers, avec, comme nous l'indiquions plus haut, des percussions portées sur le nyabinghi. Le stepper à l'anglaise n'est plus tant de mise sur les riddims de cet album, à part quelques exceptions comme sur la longue partie instrumentale dans "Stand By Me" où le Stéphanois fait une percée dans le dub qui l'a initialement inspiré. L'intermède dub que l'on peut également entendre sur "Pick Up Yourself" ravive lui aussi le stepper mais il est contrebalancé par des percus nyabinghi qui apportent une autre saveur au morceau avant que ne surviennent quelques chœurs façon Abyssinians ou Congos (observables aussi mais plus furtivement sur l'extended version "Everyone A Christ") qui nous rappellent les plus belles harmonies jamaïcaines du reggae originel.

Finalement, parmi tout ce que le producteur a pu composer au cours de cet album, on restera charmé par le rub-a-dub "Raw Talking Rebels" agrémenté d'un piano façon Marcus Urani (il fallait forcément le citer) et du chant de Harrison Stafford qui nous gratifie d'un flow singjay en fin de morceau. Génial !
Liberation Time se conclut par le jazzy (morceau le plus groundationien de l'album ?) "Open Up", tant on a l'impression que les baguettes ont été remplacées par les balais sur la batterie et que là aussi Marcus Urani serait revenu se faufiler dans ce morceau avec son clavier.

Brain Damage Meets Harrison Stafford ou comment la musique permet de transcender les frontières (physiques, culturelles, morales, intellectuelles...). On n'en attendait pas moins de la part de ces deux artistes qui, malgré la distance qui les sépare, restent chacun bercés par leur dévotion au skank.

TRACKLIST

1. Liberation Time
2. Everyone A Christ
3. Singing Soldiers
4. Rebel Music
5. Harrison Hello
6. Stand By Me
7. Baby
8. Raw Talking Rebels
9. Pick Up Yourself
10. Open Up

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NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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