Interview de Williams Brutus pour la sortie de L’Estère

Alors que son premier album L'Estère (la grosse chronique ici) sort tout juste demain 2 février, nous sommes partis à la rencontre de Williams Brutus afin qu'il nous en dévoile les secrets de fabrication.

Nous avons interrogé le chanteur peu de temps avant qu'il ne donne un concert sur la scène de L'Arc au Creusot (71) en première partie de Joe Pilgrim & The Ligerians.

Williams Brutus revient sur les grands thèmes qui parsèment L'Estère, sur les différents genres musicaux qui ont pu l'influencer. Et il en profite même pour nous annoncer un second album déjà en préparation.

Bonjour Williams Brutus, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Qu'as-tu voulu exprimer à travers le titre de ton album, L'Estère ?

L'Estère est le nom de ma ville natale en Haïti. J'y suis retourné pour la première fois en 2014 et j'allais entamer mon projet solo peu de temps après. Par conséquent, je me suis dit que c'était une bonne chose de choisir ce titre pour un album. D'autant plus que ça sonne bien !

Cet album est donc à l'image de ton retour aux sources en Haïti ?

Tout à fait ! Je me suis rendu en Haïti en 2014 et j'ai écrit la totalité des chansons de l'album seulement quelques mois plus tard. Ces morceaux relatent l'atmosphère que j'ai pu connaître là-bas.

Et en ce qui concerne la musique, es-tu l'unique compositeur ou as-tu fait appel à d'autres personnes ?

Je suis intégralement auteur-compositeur. Mais j'ai également fait appel à un arrangeur pour donner un aspect plus moderne, plus pop à l'album afin que ça ne sonne pas spécifiquement reggae pour des puristes. Je voulais quelque chose d'assez ouvert.

Alors justement, des artistes comme Chronixx ou Naâman injectent aussi un peu de pop dans leurs productions actuellement. Est-ce l'une des directions que prend aujourd'hui le reggae ?

Oui, je pense. Le reggae s'ouvre de plus en plus. Même Sizzla avec son album Born A King, dont le morceau "I'm Living", a apporté une touche plus electro, contrairement au roots plus traditionnel. Pour Naâman, effectivement, il suit aussi cette direction-là avec Beyond, ce qu'on pouvait déjà observer avec Rays Of Resistance. Et il en va de même pour Chronixx. Est-une bonne chose ? Je ne sais pas si tout le monde y trouvera son compte, notamment les puristes. En tout cas, c'est bien de ne pas vouloir se fermer et de ne pas rester sur ses acquis. Le fait de métisser la musique, cela fait partie du métier d'artiste. Je ne vois pas bien l'intérêt de faire continuellement ce que tu maîtrises parfaitement. De ce point de vue, Sizzla pourrait tout le temps faire le même album façon années 90. Et même le public serait fatigué de toute façon d'entendre la même chose en permanence.

williams brutus, interview, l'estère

Il y a également une tonalité très soul sur l'album. La Stax, la Motown, ce sont des labels qui t'ont influencé ?

Oui, bien sûr. J'aimerais bien faire d'ailleurs un album complètement soul avec 12 ou 14 titres. C'est la base. La soul, le blues et le gospel représentent la maison-mère de toute la musique contemporaine.

Ta voix aussi est plus soul que reggae...

C'est un beau compliment ! Merci ! (rires) On me dit souvent que je n'ai pas nécessairement un timbre reggae. Et il faut dire que ça sonne bien lorsque je chante de la soul.

On remarque énormément de références à l'Afrique dans l'album, avec "Dilé" ou "African Dream". En quoi es-tu marqué par ce continent ?

J'adore l'Afrique ! Je suis amoureux de la musique africaine dans son ensemble, qu'il s'agisse de la rumba congolaise, du ndombolo, du blues mandingue. Le blues américain que l'on connaît vient d'ailleurs du blues mandingue. La musique africaine te touche directement au cœur, lorsque tu en écoutes tu as directement envie de pleurer. Il n'y a que ces musiques qui me marquent de cette manière-là.
Pourtant, je ne suis jamais allé en Afrique Noire. J'ai déjà été en Afrique, mais uniquement en Egypte ou au Maroc, pas au Sénégal ou au Mali, par exemple. Mais c'est dans mes projets.

                             williams brutus, interview, l'estère

Qui a joué les parties de kora sur l'album ?

A Dijon, je croise régulièrement un joueur de kora qui s'installe dans un coin de rue pour jouer de son instrument. Et comme je voulais absolument mettre quelques morceaux avec des sonorités africaines dans l'album, j'ai décidé de le contacter. Il s'appelle Bademba Kanouté. Je suis super fier qu'il ait accepté la proposition. Dès que tu ajoutes de la kora dans une chanson, tu es tout de suite en Afrique.

Comment s'est passé la création avec lui ? L'as-tu laissé improviser ou avais-tu déjà une trame bien définie ?

Ça s'est fait au feeling. Je lui ai présenté mon morceau et il s'est accordé dessus. Il a essayé deux ou trois choses et en une après-midi, il avait trouvé sa partition à la kora. Respect !

Sur "Look Into My Eyes", on entend par contre un violoncelle, instrument absent dans le reggae...

J'ai commencé la musique par le Conservatoire et j'ai donc déjà fait des duos avec des pianistes ou des violonistes ou joué avec des ensembles de 50 guitares ou de violoncelles. Le violoncelle est l'un des instruments que j'aime le plus : le son, le coffre et le timbre de cet instrument, c'est un truc de dingue !

D'autant plus que "Look Into My Eyes" a une portée symphonique...

Oui, il fait penser à une musique de film joué par un orchestre.

L'amour est un thème très présent dans ton album...

Oui, c'est le thème universel. Quel artiste n'a jamais écrit dessus. Tu peux l'aborder de différentes manières : l'amour complet et positif, l'amour déçu, l'amour qui trahit, etc... De toute façon, tout est amour : quand tu montes sur scène, tu as envie que le public aime ce que tu fais et qu'il passe un bon moment.

Mais ne manque-t-on pas de chansons d'amour dans le reggae français ?

C'est vrai que ce n'est pas le thème majoritaire. Avec le reggae français, on va plus dans le contestaire ou dans le conscient et c'est une bonne chose. Le reggae est né dans le ghetto et il est là pour porter des messages forts.
Mais il y a quand même des chansons d'amour. Sur chaque album de Pierpoljak, mon producteur, tu vas en retrouver. Danakil en fait aussi. Mais, effectivement, tu ne cites pas ces artistes en les étiquetant comme des lovers, à part peut-être Taïro. Quant à moi, je n'ai pas de problème avec cela, je pourrais même faire un album complet sur l'amour.

L'Estère est donc un mélange de thèmes conscients et de choses plus personnelles ?

Tout à fait, cela résume bien l'album. Je vais me poser sur des thèmes généralistes dans le sens où je vais parler de l'état actuel de la société. Et je vais aborder des aspects auxquels j'ai été confronté, qu'il s'agisse de l'amour ou de ce que je décris dans "Look Into My Eyes", qui fait référence à quelque chose que j'ai vécu : je me baladais en ville avec un ami quand une adolescente nous demande une cigarette. On lui répond qu'on ne fume pas et là elle nous rétorque : "Ce n'est pas possible, avec les têtes que vous avez, forcément vous fumez". Sur le coup, ça m'a choqué et j'ai essayé de retranscrire ça en chanson. Ce sont des thèmes auxquels on a tous eu plus ou moins à faire selon nos origines.

"You Can't Stop The Rain" est en feat. avec Beat Assailant. Comment es-tu venu au hip-hop ?

En fait, j'ai commencé à m'intéresser à faire de la scène et des prestations via le rap. Quand j'étais ado vers 14/15 ans, j'écrivais déjà des textes avec un pote à moi. Je reconnais que les textes en question était un peu crades (rires) mais c'étaient les premiers que j'écrivais. J'ai donc débuté par le rap avant de me mettre au reggae. Je kiffe le rap d'avant, pas celui de maintenant. J'essaye, mais je n'y arrive pas. Il y a très peu d'artistes français, et même américains, auxquels j'adhère. Musicalement, tant en ce qui concerne les textes, ça ne m'évoque rien d'intéressant. Je trouve ça fade, mal écrit et pas recherché du tout. Ils ont tous le même flow. Damso, Fianso, Booba, ça ne me parle pas. Je préfère Kery James, Youssoupha, Nekfeu ou des rappeurs à l'ancienne comme Tunisiano ou le Soprano d'avant, pas celui d'aujourd'hui.

Nekfeu est pourtant très actuel dans sa démarche...

Tout à fait, mais il pratique un vrai rap avec des messages et des textes authentiques. Ce n'est pas du "J'te b****, sal***, dans ta ch****, ouais, ouais !" Quand on était gamins, dans le rap, chaque artiste avait son style. Maintenant, tout est identique : quand j'écoute un Damso, j'ai l'impression que c'est la même chose qu'un Keblack. A la base, le rap c'est celui de NTM ou d'IAM, ça parle de politique ou de quartiers dans le bon sens du terme, ce n'est pas "ta ch****" ou "j'ai de la thune". Et quand je vois que la jeune génération a ces gens-là comme repères musicaux, je me dis qu'on est dans la merde ! Je suis assez tranchant, mais ce n'est que mon avis !

Après un album soul, tu pourrais donc produire un album de hip-hop ?

Oui, carrément ! Mais ce serait à l'ancienne et aussi ouvert, à l'image de "You Can't Stop The Rain". Même si tu n'aimes pas le rap, tu peux apprécier ce genre de morceau.

                            williams brutus, interview, l'estère

Dans notre précédente interview, tu nous faisais part de ton goût pour les reprises de titres des années 80. Pourquoi avoir placé celle de Cindy Lauper dans ton album et pas une autre ?

Honnêtement, je ne sais pas ! C'est juste que je kiffe cette chanson depuis que je suis gamin. Je suis capable de l'écouter en boucle dix fois de suite. J'adore cette mélodie, la voix, les arrangements. Cette chanson est vraiment une tuerie. Sur le prochain album, je ferais probablement une autre reprise des années 80 ou des années 70. Peut-être Gold ou Patrick Hernandez ! (rires)

Parlons d'autre chose à présent. Tu as participé au clip "Negro y Blanco" de Daniel Fernandez, chanteur dijonnais. Comment t'es-tu retrouvé dans ce clip ?

En fait, j'étais à Paris en studio alors que je rentrais tout juste de Nouvelle-Calédonie. Daniel m'appelle en me disant : "La personne qui devait tourner dans mon nouveau clip n'est plus disponible et j'ai absolument besoin d'un black pour jouer mon ennemi. Es-tu disponible incessamment sous peu ?" C'était donc uniquement pour dépanner. Mais c'était super, sachant que c'était ma première expérience dans un clip avec des gros moyens : grue, caméra Red-One, etc... On a tout tourné en fond vert et le réalisateur a incrusté le bar par la suite. J'ai vraiment adoré ça et aussi et surtout de mettre un chapeau (rires). Merci Daniel !

Comment te sens-tu à une semaine de la sortie de l'album ?

On est sur ce projet depuis 2014, année où j'ai écrit les chansons. En 2015, on était en pourparlers avec le label, à savoir si on allait ou non produire l'album. En 2016, j'étais en studio et en 2017, on a fait le développement avec la parution de l'EP et la réalisation des trois clips. Donc là, je suis content que l'album sorte enfin. Je dis "enfin", puisque ça a été un long cheminement. Maintenant, L'Estère appartient au public et je me dédouane de tout cela ; ce n'est pas de ma faute si l'album ne plaît pas (rires). Plus sérieusement, j'espère qu'il trouvera son public et que je pourrai faire beaucoup de concerts à partir de ce premier album. Et maintenant, place au deuxième !

Tu es déjà en train de travailler sur un nouvel album ?

Oui, depuis l'an dernier. L'idée est de sortir un prochain album assez rapidement et de ne pas laisser trois ans entre les deux, sinon le public t'oublie. Quand tu vois les rappeurs d'aujourd'hui dont je parlais plus haut, ils sortent deux ou trois albums par an. Ils n'ont pas tort : sachant qu'on est dans une consommation tellement immédiate et excessive de la musique, tu risques de disparaître si tu ne produis pas constamment. Tu as beau faire des concerts, être relayé dans les médias, etc, les gens sont tout le temps en demande de nouvelles choses. Je vais donc retourner en studio cette année afin de sortir un nouvel album en 2019.

Quelle direction musicale vas-tu donner à cet album ?

Je vais essayer de ne pas faire un copié-collé de L'Estère, mais sans m'en éloigner non plus. J'ai la chance de pouvoir évoluer dans plusieurs styles différents : soul, reggae, world, etc... Ce sera donc quelques chose d'éclectique. Il y a des genres musicaux, comme la chanson française, que je n'ai pas mis sur L'Estère ; j'aimerais bien chanter en français sur ce deuxième album, tout comme partir sur de la véritable musique traditionnelle africaine avec un côté très mandingue et moins world que "Dilé" par exemple. Les morceaux sont déjà là, je suis en train de peaufiner les arrangements.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

Merci ! BIG UP La Grosse Radio. Vous êtes toujours là au rendez-vous.

BIG UP à toi aussi Williams Brutus ! Merci de nous avoir accordé cet entretien !
Merci également à Eiffer !

Crédit photos : Live-i-Pix

 

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