Entretien avec Yugen Blakrok

Lorsque nous avons écouté Anima Mysterium (la grosse chronique ici), le dernier album des Sud-Africains de Yugen Blakrok, nous avons été immédiatement conquis. Les atmosphères sombres de cet opus couplées à un hip-hop old school et boom-bap nous avaient particulièrement interpellés.

C'est pourquoi, afin d'en savoir un peu plus sur la genèse, la construction et les étapes de cet Anima Mysterium, nous avons sollicité une interview avec les membres du groupe, la MC Yugen Blakrok et le beatmaker Kanif The Jhatmaster

Pouvez-vous vous présenter ?

Yugen : Je suis Yugen Blakrok, MC, et voici Kanif The Jhatmaster, producteur.

Votre musique est assez axée sur le hip-hop boom-bap, a contrario des instrus trap modernes. N'est-
ce pas trop difficile de se faire entendre lorsqu'on est "à contre-courant" de la sorte ?

Yugen : Pas vraiment. Cette différence de style fait que nous arrivons à nous distinguer.

Kanif : En effet, je pense que c'est de cette façon qu'on peut se démarquer. Et pour les jeunes artistes qui arrivent et qui sont à la recherche de sons inédits, le boom-bap est comme un tout nouveau genre. 

Et à ce propos, Anima Mysterium est-il un album hommage aux années 90 (je pense notamment à
l'utilisation du sample, technique pratiquement oubliée aujourd'hui) ?

Yugen : Je suis d’accord dans une certaine mesure, mais je pense que c’est une conception futuriste, une dimension différente. Le sample serait plutôt à envisager comme un sous-genre du hip-hop plutôt que comme quelque chose propre à une époque donnée.

Kanif : D’une certaine façon oui, mais je ne pense pas que ce son soit vraiment défini par l’époque. Même si l'utilisation du sample a eu ses meilleurs moments pendant cette période. Ce sera toujours un élément essentiel du hip-hop.

Même l’art de l’échantillonnage a évolué. En découpant vraiment vos sons ou même simplement en échantillonnant vos propres sons pour obtenir des effets. Beaucoup de sons sur Anima Mysterium ne proviennent pas de vieux vinyles, mais l'idée vient de là.

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Ton flow est également plus rapide que ceux d'aujourd'hui dans le rap. Là aussi, s'agit-il d'un retour
aux sources du hip-hop ?

Yugen : En fait, ce que j'aime avec le rap, c'est que vous pouvez mettre une énorme quantité d'informations dans un laps de temps assez court. C'est pour cette raison que je suis tombée amoureuse du hip-hop.

Le beatmaker Kanif The Jhatmaster a déjà sorti un album de dub. Est-ce que ce style de musique
vous influence pour vos productions actuelles ?

Kanif : Oui, tout à fait ! La culture du sound system a eu une énorme influence sur le hip-hop. Des gars comme Prince Far I, des producteurs comme Lee Perry, qui sont les initiateurs de certaines des techniques que nous utilisons encore, c’est tout une évolution. En terme de fréquence aussi je pense que le dub est la chose de laquelle nous nous rapprochons le plus. Rime et basse. C’est comme une méditation.

De la même manière, on sent une grande influence du trip-hop (Massive Attack, Portishead...) dans
votre musique. Est-ce que ces groupes ont pu vous inspirer ?

Yugen : Je ne sais pas trop, cependant j’aime la musique qui vous donne de l’espace et vous divertit de différentes façons. J’ai aussi une affinité pour les mélodies lentes et hantées.

Kanif : Oui, ils interprétaient le hip-hop à leur manière, avec une façon bien à eux de le ralentir. Ils sont arrivés avec quelque chose de frais. Mais surtout ils étaient énormément influencés par le dub, ainsi que je le disais plus haut. Et de la même manière, je pense que quelque part le trap s'est beaucoup inspiré du trip-hop, par son rythme, son humeur, son tempo. Ce vide entre le kick et le snare qu'on retrouve également dans le dub, et même dans le grime aujourd'hui. 

On entend souvent une trompette tout au long de l'album. Est-ce pour apporter une touche plus jazzy
? Et à ce propos, s'agit-il de samples ou avez-vous invité un musicien ?

Yugen : Nous avons travaillé avec un musicien du Swaziland appelé Ralph Smit. Il joue aussi d’autres instruments de l’Afrique australe. Je pense que le mélange du live et de l’électronique est intéressant. Couper des sons en direct et les mettre sur des pads. Nous voulions une sensation plus réelle que le projet précédent, moins de sons de science-fiction. Garder les pieds sur terre.

Peux-tu nous parler de la scène hip-hop du Cap, et plus généralement de la scène sud-africaine ?
Est-elle largement influencée par les Etats-Unis ?

Yugen : Le Cap est la ville mère, la scène Bboy en Afrique du Sud a commencé là. Nous avons eu POC et quelques-uns des premiers crews venaient de là vers la fin des années 80. Culturellement, j’ai l’impression que c’était la plaque tournante. Les États-Unis ont été la principale influence et continuent de l’être, avec des genres comme le trap.

Kanif : A Johannesburg, d’où je viens, il y a probablement eu un pic autour de 2000 en terme de créativité. Audio Visual, Cashless Society, BMP, Hymphatic Thabs. A Soweto, un style différent a également émergé appelé Kasi Rap, avec plus de rimes en langue vernaculaire. Un peu plus influencé par le son kwaito de la fin des années 90. Il y a également beaucoup de talents bruts en ce moment. Il existe plein de home studios et les gens organisent des soirées à domicile en opposition aux shows plus conventionnels.

Vous allez être programmés au côté de Chinese Man dans quelques mois à Londres. Connais-tu ce groupe français qui pratique lui aussi un hip-hop très hybride et éclectique

Yugen : Oui, j'ai entendu parler d'eux notamment via leur collaboration avec le MC Sud-Africain Tumi. J'aime beaucoup leur approche de la musique, leur vibe et l'ambiance qu'ils instaurent. J'ai vraiment hâte de les voir sur scène.

Un dernier mot pour La Grosse Radio ?

Yugen : Peace, love and respect !

Merci Yugen Blakrok et Kanif The Jhatmaster d'avoir accepté de répondre à nos questions !
Merci également à Marion d'Ephélide pour avoir organisé cet échange !

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