Cela fait désormais plus de 20 ans que Groundation magnifie la scène reggae internationale. Du roots au jazz, de l’improvisation à la composition rigoureuse, Harrison Stafford et son groupe se sont progressivement imposés comme les représentants d’un style musical éclectique qui n’a pas son pareil dans l’actuelle génération.
Ce mélange des genres constitue la ligne directrice des compositions de Harrison Stafford. Le musicien cultive la diversité, dans tout ce qu’elle a de plus noble, pour tisser une dentelle sonore à la fois réfléchie, originale et personnelle.
Parvenant à faire du complexe une évidence, il devient un conteur d’histoires, donnant vie à chaque note.
Au fil des années, la musique de Groundation s’est codifiée, précisée, pour devenir un genre à part entière très apprécié de son public averti. Le groupe — qui s’est vu recomposé depuis peu par de nouveaux musiciens — doit éviter les dommages que pourraient causer des changements de direction trop prononcés, tout en faisant attention à ne pas reproduire indéfiniment les mêmes schémas instrumentaux. Harrison Stafford est donc conscient que le renouvellement, l’invention et la création sont les maîtres mots de ses compositions dont l’âme, l’intensité et la musicalité doivent demeurer celles propres au projet Groundation.
photo aimablement fournie par IWelcom
Il a toujours existé, dans l’histoire de la musique, un fossé presque indicible entre l’enregistrement studio et le live. Si les titres que les musiciens choisissent d’interpréter sont connus du public, leurs réalisations sur scène diffèrent toujours.
Mais, lorsque la magie opère, l’instant musical se suspend alors dans le temps, et la musique devient universelle. C’est certainement l’éphémère qui offre au live toute sa force. Il semble donc difficile de rendre compte correctement d’instants musicaux merveilleusement renforcés par la fugacité d’un moment qui ne peut exister qu’une fois.
C’est un défi que Damien Coutrot, l’ingénieur du son de Baco Records, s’est donné dans cet enregistrement de la tournée pour l’album The Next Generation. (Le mix et le mastering étant au final réalisés par Jim Fox, au Lion and Fox Studios).
Alors qu’il a toujours été difficile de retransmettre l’atmosphère d’un concert, l’exploit est ici d’autant plus grand puisqu’il s’agit d’un premier album live pour le groupe.
Dès la première écoute, il se passe quelque chose de particulier et de différent. Est-ce la dextérité des musiciens ? La voix inimitable de Harrison Stafford ? Les quelques cris et exclamations du public que l'on entend parfois ? Peut-être l’enregistrement en lui-même…
Il est simplement possible d’assurer que le pari est relevé. Il ne s’agit plus là d’une simple captation live de quelques dates italiennes, mais d’une réelle compréhension de la musicalité et de l’atmosphère crées par le groupe.
La tournée de The Next Generation met l’improvisation jazz à l’honneur.
Le ton est donné, ainsi, dès les premières notes. Tous les musicien, dans leurs spécialités et leurs créations propres, trouvent leur place et se fondent dans un live construit pour que chaque parcelle de chaque instrument soit correctement entendue et appréciée. Les chansons s’enchainent, les fusions se forment, fonctionnent, nous charment et nous ravissent progressivement.
"Lion in Man" oscille entre le reggae et la funk, "One but Ten" se prête volontiers, d’une manière aussi subtile que réfléchie, à l’improvisation jazz, "Warrior Blues", élégant retour à un rythme plus roots devient, de temps à autre, un berceau pour l’imagination du saxophoniste Roger Cox.
La construction et l’évolution musicale du live, dans le choix de l’enchainement des chansons, révèlent une réelle attention du groupe à l'égard du ressenti du public. En effet, c’est bien l’émotion éprouvée qui permet toujours de donner toute l’envergure à un projet musical et de parachever l’oeuvre de ses musiciens.
"If I" rejoint la tradition jamaïcaine et se maintient par le biais de la batterie de Zach Morillo dont les influences roots, jazz et même parfois trip-hop acidifient la ligne mélodique de base. Le groupe s’amuse, s’envole vers des sonorités qu’il maitrise, jouant avec les styles, mélangeant les genres et faisant ainsi de leurs compositions les exemples d’une mixité homogénéisée par la sensibilité et l’intelligence musicale.
Alors, dans toute cette envergure, on retrouve des influences à la Herbie Hancock dans sa période afro, quelques petites notes distordues d’Archie Shepp, parfois du jazz blues que maîtrisait si bien Art Blakey, un jeu d’orgue rappelant Santana dans les années 70 et, de temps à autre, un swing funk des instrumentaux de James Brown.
C’est dans cet incroyable tableau musical que le groupe se fraye désormais un chemin de plus en plus assumé. Alors que l’enregistrement ne comporte que quatre titres issus de l’album The Next Generation sorti en 2018, les autres morceaux choisis — tous issus des différents albums Each one Teach one, Hebron Gate ou A Miracle — sont revisités et remaniés par ces nouveaux musiciens, leur offrant ainsi renouvellement et renaissance.
"Weeping Pirates" devient alors le lieu d’une expérimentation par le biais d’un roots traditionnel mêlé à un jazz grandiloquent, presque free, et discrètement teinté de rythmes afro-latinos. "New Life" s’ouvre quant à elle sur des notes faisant penser à celles que pourraient ordinairement chanter Cedric Myton, et c’est d’ailleurs une des choristes qui reprend avec humilité et élégance les passages inspirés et mystérieux qu’il interprète dans "Undivided" — titre originalement élaboré avec Don Carlos et The Congos.
Et, lorsque l’on écoute les premières notes de "One More Day", lorsque l’on entend le public chanter avec ferveur ces premiers mots qu’Harrison Stafford parvient toujours à faire vibrer sur chacune de ses scènes, une vive émotion, piquante comme un bonheur teinté de nostalgie ne peut que s’emparer de nous. C’est ainsi qu’opère toujours, depuis 2001, l’époustouflante magie de l’album Each one Teach one.
Toutes ces raisons couchées ici par les mots, défendront, je l’espère, un album qui mérite une attention toute particulière.
Groundation, le groupe d’une génération, celui de la suivante et de bien d’autres certainement, marque ici de son sceau son désir d’allier l’actuel avec la tradition, dans tout ce que cette union symbolique représente à la fois humainement et musicalement.
Groundation - The Next Generation Live
Sorti le : 05/06/20
Label : Baco Records, IWelcom promotion
1- One but Ten (Live)
2- Warrior Blues (Live)
3- Lion in Man (Live)
4- Jah Spirit (Live)
5- Undivided (Live)
6- One More Day (Live It Up) [Live]
7- Weeping Pirates (Live)
8- New Life (Live)
9- If I (Live)
10- Hold your Head up (Live)